Critique

Qui sait, de Pauline Delabroy-Allard : les vérités de la littérature incarnée

18 août 2022
Par Sophie Benard
Qui sait, de Pauline Delabroy-Allard : les vérités de la littérature incarnée
©Francesca Mantovani/Gallimard

[Rentrée littéraire 2022] Portée par la plume virtuose qu’on lui a récemment découverte, Pauline Delabroy-Allard confirme avec ce deuxième roman l’ampleur de son talent.

C’est le prodigieux Ça raconte Sarah (Éditions de minuit, 2018) qui a introduit Pauline Delabroy-Allard sur la scène littéraire. En plus d’avoir été en lice pour les prix Goncourt et Goncourt des lycéens, ce récit intime d’une dévorante passion amoureuse a été récompensé, entre autres, par Le Prix du Style, le Prix du roman des étudiants France Culture/Télérama et le Prix des libraires de Nancy/Le Point.

Depuis, Pauline Delabroy-Allard a fait paraître un album jeunesse, Avec toi (Thierry Magnier, 2019) – illustré par l’artiste japonais Hifumiyo – ainsi qu’un recueil de poésies et de photographies, Maison tanière (Éditions Iconoclastes, 2021).

L’écriture de la recherche

Dès sa naissance, la narratrice de Qui sait a hérité ; elle s’est vue attribuer quatre prénoms : Pauline, Jeanne, Jérôme, Ysée. Mais, des trois derniers, Pauline ne sait rien : qui les a portés avant elle ? Pourquoi ses parents les lui ont-ils légués ? Qui sont ces trois inconnus qui l’accompagnent ?

Pas de questions alors, pas de vagues. J’écris parce que le regard de ma mère s’évapore, parce que son silence m’enveloppe. J’écris pour remplir les vides. J’écris pour voir après. J’écris pour plaire. J’écris pour passer la nuit. J’écris pour triturer du bout du doigt les blessures de l’existence. J’écris pour déplaire. J’écris pour ne plus avoir peur. J’écris pour sauver ce qui peut l’être. J’écris pour savoir qui je suis. Si je n’obtiens pas de réponses, alors j’inventerai.

Pauline Delabroy-Allard
Qui sait

C’est alors pour combler les silences de sa mère que la littérature se déploie. Obsédée par les quatre mystérieuses identités « qui se promènent en rang serré derrière [elle] » et incapable d’obtenir des réponses de ses parents, l’autrice se lance dans une enquête intime, dans un vagabondage géographique et intérieur, et qui la mène, tout naturellement, vers la littérature.

La recherche de Jeanne, de Jérôme et d’Ysée, de celles et ceux qui ont vécu avant, mène ainsi l’autrice à interroger sa propre pratique littéraire – et à lui déclarer l’ampleur de sa confiance. Porté par la délicatesse et par la puissance de son écriture, on découvre les vérités et on adhère aux fantasmes ; surtout, on se souvient de ce que peut la littérature.

Je n’aurai probablement pas de réponses, et même si j’en avais, elles ne changeraient rien. Rien à ma vie aujourd’hui, ma vie dans le présent. Rien au monde.

Pauline Delabroy-Allard
Qui sait

Hantée par le « jour blanc » qu’elle a vécu, la naissance d’une petite fille qui ne vivra pas, l’autrice déploie une langue d’une rare sensibilité, une langue-matière, qui fait vivre et permet d’étreindre les corps – même ceux des disparus.

Rythmé par les célèbres questions kantiennes – que puis-je savoir ? que dois-je faire ? que m’est-il permis d’espérer ? – et emmené par une inébranlable foi en la littérature, Qui sait reste néanmoins un texte infiniment incarné. Un texte qu’on voudrait toucher, emporté par la même pulsion que la narratrice qui, dès les premières pages, alors qu’elle visite un site préhistorique, peine à se retenir de poser les doigts sur la main qu’elle aperçoit, peinte bien avant le présent, bien avant aujourd’hui.

Qui sait, de Pauline Delabroy-Allard, Gallimard, 208 p., 19,50 €. En librairie le 18/08/2022.

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Article rédigé par
Sophie Benard
Sophie Benard
Journaliste