Le vitriol sauve-t-il de la vieillesse ? Avec Panique générale, le très prolifique James Ellroy revient sous sa forme la plus mesquine et malintentionnée pour faire un anti-portrait du Hollywood des années 1950. Si la méchanceté intacte de l’auteur rassure sur son état de santé, suffit-elle à faire vivre le livre ?
Le « dog », comme il se surnomme lui-même, avait déjà trollé ses lecteurs en publiant pour la première fois une novella, Extorsion (2014), une petite centaine de pages qui installaient les personnages d’un livre final encore en devenir. Un format en réalité peu adapté à celui qui se décrit en tant qu’écrivain comme une « mitraillette humaine ».
Panique Générale est en fait le produit fini ébauché par Extorsion. S’y déploie plus clairement un thème ellroyen par excellence : les aveux depuis son purgatoire d’un flic hollywoodien véreux et voyeur, Freddy Otash. Aveux troubles, puisque, comme dans le plus ancien Un tueur sur la route (1991), ces aveux confessent autant qu’ils remémorent, délectent autant qu’ils voudraient dégouter. Si le véritable Freddy Otash a existé, son avatar fictionnel tient donc, ici, du cauchemar.
« Je suis Freddy Otash. Je suis mort. Ancien flic de L.A., je me suis reconverti en voyeur, manipulateur, indic… J’entends tout, je sais tout, je fais chanter, je raconte tout ce qui ne doit pas se savoir dans Confidential, le magazine qui fait scandale. Je suis Freddy Otash, je suis mort et je vais tout te raconter. »
James EllroyPanique générale
La cité des anges aux ailes rognées
Après son chef-d’œuvre constitué par la trilogie Underworld USA parue en 1995, qui retraçait la face sombre des États-Unis depuis la guerre de Corée jusqu’à l’assassinat de Kennedy, Ellroy était revenu à sa terre et son époque de prédilection : le Los Angeles des années 1940 et 1950, ville de starlettes prostituées et de drogués célèbres où il avait déjà mis en scène les pérégrinations de flics médiocres, mais magnifiques, entre femmes fatales (L.A. Confidential, 1997) et tueurs en série (Le Dahlia noir, 2006).
Libéré du grand œuvre – puisqu’il est déjà accompli – Ellroy se lâche, mêle les fils de son récit à l’Histoire – comme il l’avait déjà fait, mais sans plus de souci de vraisemblance. James Dean, le « cendrier humain » est ainsi l’un des personnages du livre, où le name dropping suffit parfois à planter un décor. On y croisera aussi Jean-Paul Sartre à une partouze ou encore Kennedy en éjaculateur précoce.
Mais le bât blesse quand l’histoire, trop tordue, rechigne et relève les ficelles d’un délire qui dépeint de grandes stars hollywoodiennes en collectionneuses d’objets nazis ou en organisatrices de ratonnades fascistes… Comme si Ellroy lui-même, dans l’Amérique de Trump, s’était laissé convaincre du charme facile de nauséabondes vérités alternatives.
Le dernier chant de l’écrivain-voyeur ?
Reste le style baroque et moderne – malgré la disparition de son traducteur historique, Freddy Michalski, en 2020 –, ses mélopées jazz qui s’achèvent à la limite de la gamme, mais sans fausse note, le son tordu d’une langue qui râpe et qui cogne, hallucinante comme un cauchemar sous benzédrine. Le plaisir aussi de voir, derrière les couvertures en papier glacé, le fourmillement des passions médiocres et des jeux de pouvoir sordides.
Grandiloquent, excessif et menteur, Ellroy signe ici le roman d’un voyeur moins complexe qu’il n’y paraît – mais jouissif tout de même. Devenu depuis 20 ans un auteur à succès, l’écrivain n’est plus l’ovni punk en costume de lin qui avait su renouveler les styles et les thèmes du roman noir pour lui donner une dimension balzacienne et politique. Enfant gâté de ses maisons d’éditions, il swingue à présent dans le vide, faute d’un vrai mur à affronter ; et ses outrances éclatent en creux, sans joie, dans une Amérique sans illusion. Au lecteur hameçonné, néanmoins, d’apprécier le dernier ersatz d’une œuvre qui a atteint son but, et le panache acide d’un auteur rattrapé par son temps.