Décryptage

Peut-on parler d’un retour en grâce du CD ?

27 juin 2022
Par Milo Penicaut
Les 15 exemplaires en édition limitée de “Civilisation” d’Orelsan.
Ils se revendent aujourd’hui à des centaines voire des milliers d’euros sur eBay et Leboncoin.
Les 15 exemplaires en édition limitée de “Civilisation” d’Orelsan. Ils se revendent aujourd’hui à des centaines voire des milliers d’euros sur eBay et Leboncoin. ©Wagram Music

Dans les années 2000, la démocratisation d’Internet semblait avoir sonné le glas de l’objet CD : les plateformes de téléchargement puis de streaming se sont en effet imposées avec succès sur le marché de la musique. Mais, en 2021, pour la première fois depuis 20 ans, la Fédération internationale de l’industrie phonographique a enregistré une croissance des revenus liés à l’industrie physique. À l’image du vinyle, le compact disc serait-il en train de faire son retour ?

Le dernier album d’Orelsan, Civilisation (2021), s’est écoulé à plus de 96 000 exemplaires physiques en une semaine : du jamais vu. La recette ? Miser sur l’attachement émotionnel des fans, créer de la rareté en proposant des éditions limitées et faire des 15 designs différents de Civilisation – un pour chaque titre de l’album – des objets de collection que l’on s’arrachait déjà en pré-commande.

Une stratégie redoutable qui permet de booster les ventes : « Au-delà des chiffres, il semble que le CD change en réalité de statut (…). Objet industriel de nos tendances collectives à la consommation de masse, peu onéreux, il deviendrait (comme le vinyle) un objet rare, collector, et un peu plus cher que par le passé », remarque Alexandre Lasch, directeur général du Syndicat de l’édition phonographique, au micro de France Culture.

L’augmentation des chiffres repose très largement sur le succès spectaculaire de ces stratégies marketing : aux États-Unis, la reprise de la croissance du CD enregistrée en 2021 est ainsi due aux seules ventes des derniers albums d’une poignée d’artistes, dont Adele et Taylor Swift.

Pour l’amour du son

Louis a 30 ans et travaille dans la publicité. Il s’est remis au CD il y a quelques années, en récupérant les vieilles platines de son père et quelques albums par ci par là. Petit à petit, il s’équipe, remplace certaines pièces au fil de ses trouvailles. « La première année, j’ai racheté un ampli, la deuxième une platine CD. J’ai donné le vieux système son à un copain. Sa sœur est partie avec les enceintes. »

Ce que veut Louis, c’est obtenir une très bonne qualité d’écoute, car le son pressé sur CD n’entraîne aucune perte de données – un avantage incomparable pour les amoureux de la musique.

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Ce qu’il aime avec les CD, c’est le fait de pouvoir s’immerger dans un univers musical sans interruption – contrairement au vinyle qu’il faut tourner toutes les 20 minutes. Une expérience différente de l’écoute sur les plateformes de streaming, auxquelles il a recours quand il est au travail et souhaite un fond sonore.

Pour ses 30 ans, Louis a demandé à chaque invité de venir avec un ou deux CD. « Ce qui est trop cool, c’est que j’ai eu des trucs complètement différents. Tout le monde a apporté une musique qu’il aimait vraiment bien. » Une façon originale de découvrir des albums éloignés de son univers musical.

La petite collection de CD de Louis, qu’il étoffe au fil des bonnes occasions. Elle comporte un peu moins d’une centaine de titres.©Louis Brouard

Timide tendance plutôt que grand retour

Selon le Global Music Report 2022 de l’IFPI, le streaming reste le leader incontesté du marché de la musique enregistrée (65% des revenus mondiaux). La demande de musique physique perdure cependant, surtout chez les jeunes (25-34 ans) : en France en 2021, ils sont 21% à avoir acheté un CD dans le mois précédent contre 15% à avoir acheté un vinyle.

Malgré une forte augmentation des ventes de vinyles ces dernières années, il ne faut pas oublier que cela reste une pratique marginale réservée à une frange urbaine et privilégiée de la population, comme le fait remarquer le journaliste musical Sophian Fanen à Konbini. Mais le gros des faibles ventes physiques reste bien le CD. On ne saurait cependant parler d’un retour du compact disct, plutôt d’une tendance qui ne vient pas concurrencer le marché du streaming en pleine expansion, mais offre une pratique d’écoute musicale complémentaire.

Le choix du CD – comme du vinyle – dénote d’une tendance à vouloir revenir vers du tangible, à s’entourer d’objets familiers que l’on peut voir, sentir, toucher, à ne pas seulement compter sur les playlists accumulées dans nos discothèques dématérialisées. Il s’agit alors plutôt d’un dépoussiérage, qui, on l’espère, est là pour durer.

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Milo Penicaut
Milo Penicaut
Journaliste
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