Entretien

Clara Luciani : “Ce qu’il y a de paradoxal, c’est que quoi qu’il arrive, je ne me plais pas”

17 juin 2022
Par Félix Tardieu
Clara Luciani : “Ce qu’il y a de paradoxal, c’est que quoi qu’il arrive, je ne me plais pas”
©Alice Moitié

Icône de la variété française, on ne présente plus Clara Luciani. Dans ce grand entretien, l’artiste évoque ses sources d’inspiration, son rapport à la scène, à son image. Elle égraine aussi les noms des artistes avec qui elle rêverait de chanter… Rencontre.

Élue artiste féminine de l’année aux dernières Victoires de la Musique, la chanteuse originaire du sud de la France dévoilait il y a un an tout juste un deuxième album solaire et dansant, Coeur. Alors qu’elle se produira sur la grande scène du Fnac Live 2022 à Paris, le 29 juin prochain, Clara Luciani continue de remplir les Zéniths de France – sa tournée a été prolongée jusqu’en 2023.

Vous souvenez-vous de votre toute première scène ?

J’avais 19 ans, j’étais à Londres avec le groupe La Femme. On était sept ou huit, on avait été payé 20 pounds et des bières tièdes et ça me paraissait déjà fou qu’on puisse jouer tout en étant payé. C’était assez agréable pour moi de commencer comme ça, le spectacle n’était pas centré sur ma performance. Ça m’a permis un certain apprentissage de la scène sans forcément être sous le feu des projecteurs. Je pense que je n’aurais pas pu commencer dès le départ en artiste solo ou dans un groupe avec une position plus importante que celle que j’ai eue avec La Femme. C’était idéal. 

Comment vous préparez-vous avant un concert ?

J’aime bien boire mon petit verre de vin rouge, chauffer ma voix, faire une partie de UNO avec mes musiciens, penser à autre chose… De façon générale je suis un peu moins stressée avec les festivals. Il y a un côté bon enfant, tu es dehors toute la journée, tu bois des verres avec tes amis, tu regardes les autres en concert… J’ai toujours le trac, mais je ne sais pas si j’ai réellement envie de le vaincre, ça peut aussi être une bonne énergie qui te permet de rester concentré et de toujours vouloir faire mieux. 

On voit aujourd’hui beaucoup d’artistes sortir des albums nourris par l’expérience du confinement, etc. Beaucoup de gens ont vu dans votre dernier album, Coeur, une ode à la respiration. Mais celui-ci était déjà en partie écrit avant la crise ?

Il a été effectivement écrit en partie avant la pandémie. Ce qui a été créé en réaction à l’époque horrible qu’on a traversée, ce fut plutôt la production du disque. Les chansons existaient déjà mais je n’avais pas prédéfini leur habillage. Ça s’est construit en réaction à l’immobilité dans laquelle on était pris : je voulais quelque chose de très solaire, dansant et divertissant, dans le sens presque pascalien du terme. Plus que jamais, on a presque un devoir d’être dans le divertissement, d’être des enchanteurs et d’inviter les gens à penser à autre chose!

Pensez-vous que toutes ces expériences que le monde traverse aujourd’hui vont informer vos textes ? 

Ce qui est compliqué pour moi, c’est de réussir à transformer ça en chanson, pour l’instant je ne me sens pas capable d’écrire sur la guerre, ou la situation politique de notre pays, etc. Je ne saurais pas comment faire. J’aime délivrer des messages forts, comme La Grenade, mais tout en faisant danser et en poétisant le sujet. Pour le coup, je trouve ça extrêmement difficile d’allier le politique et le poétique. Je n’ai pas envie de faire quelque chose au premier degré. C’est très difficile de faire ça avec délicatesse et élégance sans tomber dans des lieux communs ou des clichés.

©Alice Moitié

Est-ce que vous pensez toujours, comme vous le dites dans votre album, que « tu ne sais pas plaire », malgré l’expérience et le succès flamboyant ?

C’est assez contradictoire, c’est vrai. Je reçois tous ces encouragements qui me flattent et me permettent de gagner un peu confiance en moi. Ce qu’il y a de paradoxal, c’est que quoi qu’il arrive, je ne me plais pas. C’est ce que raconte cette chanson [J’sais pas plaire] avant toute chose, c’est le rapport compliqué envers moi et mon image. C’est d’autant plus complexe quand on fait un métier d’image qui nous amène à nous voir beaucoup, à nous regarder, je ne suis pas très à l’aise avec ça. Autant je n’ai aucun problème avec les autres aspects de ce métier, le fait d’être sur scène, etc, mais par exemple être confrontée aux images d’un concert, je trouve ça très dur. Au fond, j’aimerais bien qu’il n’y ait jamais de photos !

À lire aussi

D’où vient cette entente si particulière avec Julien Doré ?

Au-delà de notre background musical et de nos influences communes, on s’est tout de suite rendu compte qu’on avait quelque chose d’encore plus fort. On vient tous les deux du sud de la France et j’ai l’impression qu’on a reçu le même genre d’éducation. On s’est récemment rendu compte que nos deux grands-pères avaient le même âge, travaillaient au même endroit, à la mine d’Alès, à côté de Nîmes, et ont probablement dû se connaître. Ça a été le dernier coup pour me convaincre qu’il était un membre de ma famille imaginaire ! J’aime beaucoup me raconter des histoires et j’aime à me dire que nos deux grands-pères sont allés casser la croûte ensemble. 

Je me reconnais beaucoup en lui, peut-être encore plus personnellement que musicalement. On a des personnalités assez proches je trouve. C’est juste agréable d’avoir trouvé quelqu’un comme ça dans ce milieu-là, je crois qu’au départ je n’avais pas vraiment la bonne personnalité pour réussir à me faire une place dans ce qu’on appelait le « show business », où beaucoup de choses sont basées sur l’apparence et peut-être une certaine forme d’hypocrisie. Julien est aux antipodes de tout ça et ça m’a fait du bien d’avoir quelqu’un sur qui compter et avec qui discuter de cette popularité naissante au moment où La Grenade était en train de prendre une certaine ampleur. 

Avec qui rêveriez-vous de signer un prochain duo ?

Je rêve d’un duo avec Harry Styles ! J’aime beaucoup de choses chez lui. Avec tout le respect que j’ai pour le rap, je trouve que c’est un genre musical qui a tendance à prendre toute la place. Or j’aime bien l’idée que d’autres styles musicaux persistent. Lui, il arrive avec des mélodies très fortes, beaucoup d’instruments organiques, et ça marche ! Il est adoré dans le monde entier. Il n’y a pas beaucoup d’autres exemples comme lui ; ou alors peut-être des artistes comme Florence + the Machine, Lana Del Rey, qui proposent quelque chose d’un peu casse-gueule, pas forcément dans l’air du temps, mais qui marchent quand même. Au-delà de ça, j’aime bien l’idée qu’il démocratise certains looks non genrés, qu’il se sente à l’aise avec le fait de mettre des robes ou du vernis à ongles. En 2022, c’est génial d’avoir ce genre d’icônes. J’adore son audace. 

Quelle chanson de Coeur vous tient particulièrement à cœur ?

Je suis un peu fan des chansons tristes, donc j’aime vraiment bien la dernière, Au revoir, que j’ai écrite pendant le confinement en me disant que peut-être je ne remonterais jamais sur scène ! C’était une chanson assez importante pour moi. Mais la plus symbolique, s’il ne fallait en garder qu’une, ce serait Respire encore, parce que c’est celle qui est le plus dans l’air du temps et qui raconte le mieux ce qu’on est en train de vivre – c’est pour ça d’ailleurs que j’ai appelé ma tournée le Respire Encore Tour, cette chanson décrit très bien la sensation que j’ai chaque soir en montant sur scène et en voyant les gens en train de chanter, de danser. J’ai vraiment l’impression de respirer de nouveau. 

À lire aussi

29 juin 2022
Concert Parvis de l’Hôtel de Ville
Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste