En dépit de la petite taille de l’île, la littérature irlandaise est indéniablement l’une des plus prolifiques du monde anglo-saxon. Bien loin de se limiter aux siècles derniers, la contribution de l’Irlande à la littérature mondiale reste, aujourd’hui encore, d’un rare dynamisme.
Des indétrônables classiques…
C’est toute une série de noms et de textes qui s’impose à la mémoire, dès lors qu’on évoque la littérature irlandaise. On pense évidemment à James Joyce, l’un des auteurs les plus emblématiques de l’île, et à son Ulysse (1920) – réputé d’un accès si difficile qu’il décourage la plupart de ses lecteurs et lectrices. Mais si les plus de 1 500 pages d’Ulysse semblent insurmontables, James Joyce se laisse découvrir plus facilement à travers ses nouvelles (Gens de Dublin, 1914). Les sensationnels paysages irlandais, méditatifs et mélancoliques, ne peuvent quant à eux manquer d’évoquer la plume de William Butler Yeats, l’un des plus grands poètes de l’île.
Mais l’Irlande est aussi la terre originelle d’œuvres instituées depuis longtemps au rang de classiques – on pense à Dracula (1897) de Bram Stocker, aux Voyages de Gulliver (1726) de Jonathan Swift, mais aussi aux nombreuses pièces de théâtre du dramaturge Samuel Beckett (En attendant Godot, 1952, Fin de partie, 1957, ou encore Oh les beaux jours, 1961) ou aux textes d’Oscar Wilde, dont le célébrissime Portrait de Dorian Gray (1891).
… aux plumes contemporaines
Mais les auteurs et les autrices irlandais·es contemporain·es n’ont rien à envier à leurs aînés. Car l’Irlande continue non seulement de voir éclore un nombre étonnant de plumes de talent, mais surtout de produire des œuvres littéraires dont le monde entier jalouse la virtuosité.
Dernière autrice irlandaise à connaître un retentissant succès, Sally Rooney a bouleversé le monde avec Marianne et Connell, les deux personnages principaux de son superbe Normal People (L’Olivier, 2021). Rapidement adapté en série, cette histoire furieusement contemporaine et d’une éclatante délicatesse a largement dépassé les cadres de la littérature. On attend avec impatience la parution aux Éditions de L’Olivier de son dernier roman, Où es-tu, monde admirable ?, qui sera disponible en août prochain.
Dans la même veine contemporaine et (parfois) désenchantée, il faut évoquer les nouvelles de Nicole Flattery, Dans la joie et la bonne humeur (L’Olivier, 2020). Car les Irlandais contemporains semblent maîtriser mieux que personne l’art de la nouvelle ! Le genre littéraire est aussi le terrain de jeu de Claire Keegan, dont la traduction de Misogynie (Sabine Wespieser, 2022) est parue récemment, et succède au recueil À travers les champs bleus (Sabine Wespieser, 2012). Mais le célèbre Joseph O’Connor, auteur de plus d’une dizaine de romans et de deux essais, s’est aussi essayé à l’exercice – dans Les Âmes égarées (Phebus, 2014), entre autres.
« Ici la beauté naturelle dévaste à flots : les souvenirs croassent dans la gueule des mouettes qui foutent le camp à l’horizon ; le passé, s’il ne trépasse pas contre une falaise, s’effiloche sous les dents du vent ; l’avenir, comme le soleil du matin, est masqué par la brume. Alors on peut tenter de dire adieu à ses plans étriqués, à sa mièvrerie pour ne pas être métamorphosé en algue spongieuse. Ou en mollusque dégorgeant bière et whiskey ! »
Maryse ViannetAmours irlandaises (Magellan & Cie, 2020)
Marqué par la guerre civile et par le contexte social et politique qui lui a succédé, l’Irlande met régulièrement en récit la grisaille existentielle – réelle ou fantasmée – de son peuple pourtant réputé si chaleureux. On pense par exemple aux Dépossédés (Bourgois, 2005), ce roman glaçant de Robert McLiam Wilson qui prend pour décor les bas-fonds de Belfast, en Irlande du Nord. Dans la même région, gravitant autour de la violence qui a longtemps rythmé ses jours et qui menace régulièrement de s’embraser à nouveau, le superbe Un homme sur la plage (Éditions du Rocher, 2000) de Jennifer Johnston.
À en croire sa littérature, lucide et percutante, l’Irlande subit ainsi de plein fouet le contexte contemporain. Qu’il soit question d’alcoolisme dans Tout ce qui brûle (2022) de Lisa Harding, paru tout récemment aux éditions Joelle Losfeld ou de la crise économique et de ses conséquences délétères dans Irlande, Nuit celtique (2014) de l’autrice française Dominique Le Meur, le regard irlandais ne se lasse pas de se poser sur la réalité et le quotidien de celles et ceux qui pâtissent d’un système politique et économique déréglé.