Décryptage

Ces romans qui s’inspirent de la culture religieuse taoïste sont en train de conquérir le monde

24 mai 2024
Par Samuel Leveque
Ces romans qui s'inspirent de la culture religieuse taoïste sont en train de conquérir le monde
©Mo Xiang Tong Xiu

Depuis quelques années, les romans et webtoons de fantasy inspirés de la « cultivation », une philosophie religieuse taoïste, gagnent en popularité.

Dans l’ombre des mangas, anime, webtoons et autres light novels japonais et coréens, la pop culture venue de Chine s’exporte de mieux en mieux depuis quelques années. L’animation chinoise, notamment, se fait remarquer avec des réussites comme Le Royaume des Abysses ou la série (très étrange) To Be Hero. Du côté de l’industrie littéraire, le phénomène prend une ampleur particulière, avec des centaines de romans publiés ou autopubliés sur le Web qui rivalisent de popularité avec leurs équivalents asiatiques. Beaucoup d’entre eux ont néanmoins une particularité : leur inspiration provenant de la philosophie de la « cultivation », un terme sans véritable équivalent francophone.

Un ensemble de pratiques spirituelles et philosophiques

Le concept de cultivation recoupe un ensemble de pratiques méditatives, philosophiques et physiques propres à la culture taoïste, un des « trois piliers de la pensée chinoise » avec le bouddhisme et le confucianisme. Il est difficile de résumer cette pratique en quelques lignes, mais il s’agit avant tout de rituels liés à la persévérance pour atteindre une forme de développement avancé : un entrainement lié à la répétition de tâches pour devenir le maître d’une discipline, au-delà même des limites physiques et spirituelles théoriques.

La cultivation mélange à cet art de vivre des concepts qui peuvent à première vue paraître ésotériques et qui ont trait à l’alchimie et à la médecine traditionnelle chinoise, comme le Wuxing, la théorie des cinq éléments, mais aussi des paramètres comme l’année ou l’heure de naissance d’un individu pour déterminer son potentiel caché. Mais alors, quel est le rapport avec des romans publiés en ligne ?

Matérialiser des séances d’entraînement et de perfectionnement

Longtemps vue d’un œil assez mauvais par le parti communiste régnant d’une main de fer sur la Chine, la pratique du taoïsme est redevenue relativement tolérée depuis une vingtaine d’années. De même, la fantasy (chinoise comme occidentale) a gagné en popularité depuis le début des années 2000 et a été vue comme un moyen de contourner la censure plus ferme s’agissant d’histoires plus classiques. Cela a permis à de nombreux jeunes auteurs de redécouvrir le genre tombé en désuétude du xianxia (la fantasy inspirée de l’histoire et de la philosophie chinoise) et de la redévelopper avec un regard moderne.

Couverture du webnovel Devil Venerable Also Wants to Know.©Cyan Wings / Qing Se Yu Yi / 青色羽翼 / jjwxc

Sous-genre du xianxia, le roman de cultivation met l’accent sur un personnage cherchant à atteindre la maîtrise complète d’une discipline par un entraînement acharné, parfois au point d’effleurer, voire d’atteindre l’immortalité ou une forme de transcendance. Le tout en respectant les principes de la philosophie taoïste et du qi gong. Une trame idéale pour des récits mettant, à la manière des shōnens japonais, l’accent sur l’entraide, la transmission, l’amitié, l’aventure et le dépassement de soi.

Germain, lecteur du genre depuis une dizaine d’années et également fan de mangas, nous explique comment il est tombé dedans : « J’avais entendu parler de ces romans par des amis qui avaient vécu en Chine. C’étaient un peu comme des mangas de baston classique, mais avec de l’alchimie et de la mythologie asiatique. Et aussi, un accent très fort mis sur l’entraînement et la progression des héros. Quand certains ont commencé à paraître en anglais, je me suis pris au jeu, notamment avec des best-sellers du genre comme Stellar Transformation et A Record of a Mortal’s Journey to Immortality, qui sont devenus de gros classiques du genre, très efficaces pour comprendre les archétypes des récits de cultivation. »

Trailer de la série animée adaptant le roman Stellar Transformation.

Matthieu, un amateur de romans en ligne, s’est lui aussi intéressé au phénomène. « Je commençais à avoir fait le tour des webtoons et des light novels japonais. Tomber sur ce genre d’histoire avec une mythologie différente était vraiment chouette ! » Il voit par ailleurs les limites du genre : des récits stéréotypés et une surproduction qui rend le tri parfois compliqué.

« Les plateformes qui diffusent ces histoires, comme WebNovel ou Qidan, proposent une surproduction constante, avec beaucoup de romans médiocres, de plagiats, de scénarios un peu faciles… Ou même de trucs qui sont étiquetés “cultivation”, mais qui n’en sont pas réellement et n’en reprennent même pas les codes. Il faut vraiment passer beaucoup de temps à faire le tri, mais heureusement, il y a des groupes de fans qui font de la curation et se recommandent les meilleures nouveautés ! » Une production industrielle, dont la qualité peut varier, qui a parfois mené à des dérives du côté des gérants de la tech chinois pour récupérer des parts de marché.

Les récits les plus populaires débarquent à l’étranger

Il n’en reste pas moins que les récits les plus remarquables de xianxia et de cultivation ont accumulé des dizaines, voire des centaines de millions de lecteurs. Notamment depuis qu’ils ont commencé à être massivement traduits en anglais, à l’image de Virtuous Sons: A Greco Roman Xianxa, un carton de Ya Boy transposant le genre à l’époque romaine. De plus en plus, le succès se traduit même dans d’autres langues, comme le coréen, le japonais et, bien sûr, le français.

Couverture du roman Le grand maître de la cultivation démoniaque.©Mxm Bookmark

C’est notamment le cas du Grand Maître de la cultivation démoniaque (Mo Dao Zu Shi), un roman de l’autrice Mo Xiang Tong Xiu qui est devenue l’une des reines du genre, en étant notamment remarquée pour avoir ajouté un côté queer assumé à ses récits. Dans son livre, paru en France aux éditions MxM Bookmark, on suit le destin d’un adepte de la cultivation réincarné dans le corps d’un esclave de son ennemi de toujours. En chemin, le malheureux Wei Wuxian doit tenter de gagner en puissance, tout en réalisant que son adversaire est beaucoup plus sensible et complexe qu’il ne le pensait.

Cette fresque de romance et de fantasy épique a bouleversé une génération de lecteurs et de lectrices en Chine et donné lieu à un phénomène mondial : une prestigieuse adaptation en webtoon (disponible aux éditions Komogi), une série télévisée qui aurait dépassé les dix milliards de vues chez Tencent Video (disponible en France sur Viki, de même que son adaptation animée), et ainsi de suite.

Heaven’s Official Blessing, une série animée de fantasy chinoise très remarquée.

En France, le phénomène reste pour le moment marginal. Comme l’explique Germain, il « ne connai[t] pas encore beaucoup de personnes qui lisent de la cultivation en France, à part ceux qui ont de la famille en Chine ou des origines chinoises. Et 95 % du temps, je lis des traductions en anglais. Mais ça change. Par exemple, depuis 2020, la plateforme Crunchyroll a ajouté beaucoup de séries animées chinoises comme Heaven’s Official Blessing qui permettent de se familiariser avec le phénomène de la cultivation sans forcément commencer par un roman en ligne de 200 chapitres ! »

Des initiatives qui pourraient aider le secteur éditorial à creuser ce sillon encore tout récent dans notre pays : peu d’éditeurs locaux se sont penchés sur le phénomène, même si les choses changent, notamment grâce à des plateformes comme Chireads qui propose d’ores et déjà des traductions officielles de webnovels chinois populaires.

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