
Le biopic « Un parfait inconnu », en salles ce 29 janvier 2025, revient sur les débuts du chanteur Bob Dylan (incarné à l’écran par Timothée Chalamet), chanteur folk/beatnik devenu symbole de l’artiste-poète engagé et singulier. Saluée par un prix Nobel de littérature, son œuvre musicale court sur six décennies. Pour mieux la découvrir, voici dix albums incontournables à (ré)écouter.
The Freewheelin’ Bob Dylan (1962)
Inspiré du chanteur folk et auteur engagé Woody Guthrie, Bob Dylan enregistre à New York, en 1962, son tout premier album, Bob Dylan. Il reprend en studio son tour de chant d’alors, notamment des reprises de blues et de classiques du folklore anglo-saxon avec sa guitare, son harmonica et sa voix unique. À l’époque, le folk est défendu par quelques artistes de Greenwich Village et de Columbia, pour un public d’étudiants et d’initiés.
C’est avec son deuxième disque, The Freewheelin’ Bob Dylan, que le garçon, né Robert Zimmermann en 1941, entre dans l’Histoire. Pas d’instrumentation supplémentaire, pas d’autre support que les guitares-voix : comme compositeur, Dylan réussit à écrire des classiques « à l’os », dont la forme soutient le fond. Hymne pacifique (Blowin’ in the Wind), critique de la société américaine bourgeoise et du pouvoir (Oxford Town, Masters of War)… Le vent de la contestation plane sur un disque aux mélodies évidentes, œuvre d’un gamin de 21 ans qui s’assoit d’ores et déjà sur le toit du monde.
The Times They Are a-Changin’ (1964)
La poésie de Bob Dylan fait vibrer une génération : The Times They Are a-Changin’, son troisième album, contribue à faire admettre le chanteur folk auprès d’un public jeune, progressiste, qui bientôt embrassera les idéaux hippies. Bien avant le « Flower Power », avec des titres comme The Lonesome Death of Hattie Carroll ou Only a Pawn in Their Game, le disque assène des vérités gênantes pour la bonne société américaine, l’establishment, en reprenant des faits divers réels ou en évoquant des luttes sociales et raciales sous la forme de textes aussi engagés qu’élaborés.
Mais l’opus, avec ses thèmes personnels, ses paraboles bibliques et ses chansons métaphoriques (Boots of Spanish Leather) dévoile l’inspiration intimiste et follement inventive de l’auteur-compositeur-interprète, et ouvre l’auditeur à de nouveaux horizons.
Highway 61 Revisited (1965)
Au début des années 1960, le rock est mal vu des puristes folk, pour qui la qualité d’un chanteur se mesure avant tout à ses textes et à son utilisation d’instruments acoustiques uniquement. Chantre de ce style dépouillé, Dylan prend tout le monde à contre-pied dès 1964, en recrutant des musiciens électriques et en enregistrant, d’abord timidement sur Bringing It All Back Home, puis de manière plus intense sur Highway 61 Revisited, des sons d’orgues Hammond et de guitares tranchantes.
En 1965 sort ainsi le single Like A Rolling Stone, de loin l’une des chansons les plus connues de son auteur. Avec une scansion typique (à retrouver sur Ballad of a Thin Man ou Subterranean Homesick Blues), Dylan invente un mix extrêmement réussi de blues, de folk et de rock, bien aidé par deux sidemen de génie, le guitariste Mike Bloomfield et le multi-instrumentiste Al Kooper, qui ont largement contribué à la réussite de cette transition électrique.
Blonde on Blonde (1966)
Il y a cinquante-neuf ans, à Nashville, dans une étrange atmosphère, un chanteur folk, entouré de musiciens du cru et de quelques fidèles (dont Al Kooper), enregistrait son magnum opus. À 26 ans à peine, Bob Dylan livre avec Blonde on Blonde, le premier double album de l’histoire du rock. Un disque fondé sur la liberté artistique, où les morceaux de bravoure s’enchaînent.
Côté écriture, l’artiste y fonde véritablement sa mythologie, avec des évocations poétiques volontairement sibyllines. I Want You, Stuck Inside of Mobile With the Memphis Blues Again, et le phénoménal Sad-Eyed Lady of the Lowlands sont autant de pièces de choix dans ce monument, l’un des disques fondamentaux du 20e siècle, tous genres confondus.
Blood On The Tracks (1975)
À la fin des années 1960, à la suite d’un accident de moto, de la réalisation d’une B.O., de la rencontre avec son groupe live (The Band), Bob Dylan change, gagne en maturité, mais perd le contact avec le sommet des charts. Et c’est un échec sentimental (sa séparation avec sa femme Sara) qui va nourrir l’œuvre de son grand retour, Blood on the Tracks.
Enregistré pour moitié à New York, pour moitié dans son Minnesota natal, ce disque de rupture rassemble des mélodies superbes (Tangled Up in Blue, You’re a Big Girl Now, Meet Me in the Morning) accompagnées d’arrangements pastoraux, où l’on croise mandoline, guitare folk, orgue électrique et harmonica. La voix légèrement éraillée, avec une ironie mordante, Dylan peint bien plus qu’une rupture, mais bien la nature humaine et l’universel rapport à l’affection, matrice de la poésie depuis la nuit des temps.
Desire (1976)
Assorti d’un retour sur scène pour des tournées homériques, le pansement de Blood on the Tracks suffit à Dylan pour repartir de plus belle. Un an après son retour en grâce, il livre avec Desire une preuve de plus de sa totale liberté. Reprenant l’engagement de ses débuts sur Hurricane, inspiré d’un fait divers réel (le boxeur américain « Hurricane » Carter a été emprisonné à tort pendant 19 ans), il fait de ce seizième album un terrain d’expérimentation pour de nouvelles directions, dont la musique laid-back et tex-mex, des sources d’inspiration variées qui font de ce disque un classique à part.
Oh Mercy (1989)
En juin 1988, Bob Dylan a lancé sa tournée Never Ending Tour, qui est toujours en cours à ce jour. Depuis trente-sept ans, l’artiste arpente le monde, avec un show différent à chaque date, des extraits de différents albums transformés suivant l’envie, sans que les derniers albums parus ne dominent les setlists. C’est que depuis Desire, Dylan a beaucoup expérimenté, de sa conversion au christianisme à un projet aussi étrange que le disque de rock eighties Down in the Groove.
Mais ce parcours erratique a aussi débouché sur de franches réussites, dont Oh Mercy, qui doit beaucoup au producteur Daniel Lanois. Oscillant entre atmosphère vaporeuse (Most of the Time), pure électricité (Political World) et folk classique, ce disque synthèse incarne le virage « moderne » de l’artiste.
Time Out of My Mind (1997)
Accompagné à nouveau de Daniel Lanois derrière la console, Bob Dylan signait sur Time Out of My Mind un disque volontiers crépusculaire, écrit dans un environnement isolé. Très apprécié à sa sortie, album de l’année aux Grammy Awards, cet opus empreint de blues et d’orage a rappelé toute l’importance de l’artiste aux yeux (et aux oreilles) de la planète musique.
Modern Times (2006)
Grand succès public et critique, Modern Times marque l’entrée d’une légende des années 1960 dans le troisième millénaire. La voix de plus en plus grave, s’inspirant tout à la fois de poètes romantiques et du folk rural, Dylan réussit là une œuvre intemporelle qui a séduit ses plus anciens fans comme une nouvelle génération.
Rough and Rowdy Ways (2020)
Ceux qui suivent Bob Dylan dans les journaux ou en tournée le savent bien : avec le chanteur américain, on peut s’attendre à tout. Même à ce que le barde dégaine l’un des albums de la décennie en pleine pandémie de Covid-19. Rough and Rowdy Ways, truffé de compositions au doux parfum de blues, de folk, de country (on ne se refait pas) fait pour l’heure office de dernier album en date dans son abondante discographie.
Avec des références, dans les paroles, aux portes du surréalisme (« I’m just like Anne Frank, like Indiana Jones/And them British bad boys the Rolling Stones/I go right to the edge, I go right to the end » chante-t-il dans I Contain Multitudes, un des sommets du disque), des fragments d’autres œuvres et des clins d’œil à l’opérette française, l’octogénaire folk paraît plus post-moderne que jamais.
En bonus : A Complete Unknown (2025)
Pour accompagner la sortie du biopic de James Mangold, Un parfait inconnu, consacré à la vie et à l’œuvre de Dylan en ce début 2025, l’album A Complete Unknown reprend les performances des acteurs (Timothée Chalamet, bien sûr, mais aussi Monica Barbaro qui incarne la chanteuse Joan Baez dans le film) sur des titres originaux du maître.
L’occasion de découvrir en musique le travail (bluffant) des interprètes pour reconstituer le bouillonnement des années 1960 et la sortie de mélodies incontournables comme Mr. Tambourine Man et Blowin’ in the Wind.