On lisait quoi en 2003 ?

Tout ce que j’aimais – Siri Hustvedt

Longtemps, ce que l’on connaissait de mieux de Siri Hustvedt était son mari Paul Auster. Mais cette doctoresse en littérature a depuis créé une œuvre à part, dont son troisième roman, Tout ce que j’aimais, est l’un des aboutissements. Narrant la vie de plusieurs intellectuels new-yorkais sur deux décennies, ce récit moderne et grave évoque des thèmes aussi majeurs que le deuil, les troubles mentaux, la création artistique. Les personnages principaux, au fil de l’existence, cherchent une voie de salut entre regrets, remords et folie. L’un des romans américains majeurs traduits en Français en 2003.

Les Âmes grises – Philippe Claudel

2003 marquait le début d’une ascension remarquable pour Philippe Claudel (auteur cette année de Crépuscule), avec un Prix Renaudot pour le roman Les Âmes grises. Se déroulant à l’arrière du front durant la Première Guerre mondiale, ce mélange de récit criminel, de roman historique et de portrait psychologique dresse une comédie humaine d’un village typique des années 1910. Sans manichéisme, l’auteur apporte un souffle particulier à ce conte moral, intemporel et haletant.

Le Complexe de Di – Dai Sijie

Trois ans après Balzac et la Petite Tailleuse chinoise (le livre), Dai Sijie confirmait son grand talent de conteur avec Le Complexe de Di, lauréat du Prix Femina 2003. Autour du parcours de Muo, un Chinois de retour dans son pays après avoir étudié la psychanalyse à Paris, se dessine le portrait des mutations de la Chine : le personnage principal, qui tente de faire délivrer la femme qui l’aime, ne cesse de citer Freud et Lacan tout en se souvenant de la Révolution culturelle et des traditions de la Chine ancienne. Ce mélange des genres fait tout l’intérêt de cette fable philosophique orchestrée par un maître en la matière.

Chronique des années noires – Kim Stanley Robinson

Rares sont les uchronies à recueillir un succès d’importance. Entre Le Maître du haut château de Philip K Dick et Civilizations de Laurent Binet, Kim Stanley Robinson (auteur de la trilogie de Mars) a lui-même contribué au genre le temps de sa Chronique des années noires. Imaginant l’Europe si la Peste noire avait été encore plus meurtrière que dans la réalité, l’écrivain américain déroule une chronologie alternative dans laquelle l’hégémonie mondiale se dispute entre Inde, Chine et Islam, alors même que l’Occident est tombé dans « l’oubli ». Une belle manière de rebattre les cartes !

Cosmopolis – Don DeLillo

Voix alternative des lettres américaines, Don DeLillo brise tous les codes du roman avec Cosmopolis. L’auteur nous y fait suivre le parcours en limousine d’un yuppie new-yorkais qui se sait menacé d’assassinat. Ce « héros » qui voit le monde à travers les écrans installés près des banquettes et les vitres de la luxueuse berline perd soudain le fil de son existence, du fait d’émeutes urbaines et de la hausse du cours d’une monnaie contre laquelle il avait parié. Métaphore parfaite des crises du capitalisme, ce récit déconcertant, plus tard adapté au cinéma par David Cronenberg, devait introduire la plume particulière de Don DeLillo aux lecteurs de 2003.

Mammifères – Pierre Mérot

Entre Windows on the World de Frédéric Beigbeder et Mammifères de Pierre Mérot, l’année 2003 a définitivement consacré le cynisme dans la littérature. Et c’est peut-être le second, lauréat du Prix de Flore, qui mérite aujourd’hui une redécouverte. La vie d’un quadra en situation de déchéance complète – financière, sentimentale, amicale – nous y est racontée par le menu. Sous la plume de Pierre Mérot, l’ensemble de la société française, à commencer par l’Éducation nationale, passe un très sale quart d’heure. Vingt ans après, le vitriol n’est pas encore sec et la lecture du roman a posteriori n’en est que plus jubilatoire encore.

La Passion Lippi – Sophie Chauveau

Avec sa biographie romancée du peintre Fra Filippo Lippi, Sophie Chauveau devenait la reine du roman historico-artistique. Entre les mystères de la cour des Médicis, la vie de la Toscane au XVe siècle, et le souffle de la Renaissance en train de changer l’âme du monde, les différentes atmosphères de La Passion Lippi nous font toujours autant voyager, vingt ans plus tard.

Incendies – Wajdi Mouawad

Événement du Festival d’Avignon 2003, les premières représentations d’Incendies, écrit par Wajdi Mouawad, ont permis à de nombreux spectateurs et lecteurs de découvrir l’écriture dramaturgique exceptionnelle de l’auteur libano-québécois. Les tableaux successifs de cette œuvre intime suivent le parcours de deux enfants cherchant les clés de leur naissance et de la vie de leurs parents au Moyen-Orient. La modernité du traitement de cette histoire de déracinement et de guerre idéologique a beaucoup fait pour sa postérité, sans parler de l’adaptation cinématographique de la pièce réalisée en 2010 par Denis Villeneuve.

Villa Vortex – Maurice G. Dantec

Quatrième roman de l’auteur des Racines du mal, Villa Vortex a vu la plume de Maurice G. Dantec, basculer dans l’hermétisme. Suivant l’enquête de l’inspecteur Georges Kernal traquant un tueur de jeunes filles, ce roman policier dévie de sa trajectoire : physique quantique, considérations sur la Kabbale, analyse géopolitique et philosophie mystique s’emmêlent rapidement pour aboutir à un OVNI littéraire qui fit un certain bruit en 2003, notamment parce que l’écrivain controversé avait pris parti pour la position américaine au cours de la Seconde Guerre du Golfe.

Bleach – Tite Kubo

Côté neuvième art, l’année 2003 a été marquée par la traduction en français du premier tome de Bleach, signé Tite Kubo. Centré sur la vie d’Ichigo Kurosaki, lycéen se retrouvant dans la peau d’un « shinigami » créature chargée de gérer le voyage des âmes vers l’au-delà, ce shônen a fait date par son emploi ingénieux de la tradition fantomatique japonaise. Le titre est depuis sa parution l’une des sagas les plus reconnues du manga de genre fantastique.