Comment devenir mères lorsqu’on est un couple lesbien aux prémices du mariage pour tous ? Dans « Des preuves d’amour », la réalisatrice Alice Douard explore cette question intime à travers un portrait de femmes à la fois politique et universel. Un joli film, en salle ce 19 novembre 2025, porté par la sensibilité des performances d’Ella Rumpf et Monia Chokri. Interview.
Printemps 2014. La loi Taubira sur le mariage pour tous n’a même pas un an, mais Nadia (Monia Chokri) et Céline (Ella Rumpf) se sont lancées : elles vont avoir un bébé grâce à une PMA réalisée au Danemark. Le chemin est long et les méandres administratifs encore sinueux pour que la deuxième mère soit reconnue comme telle – la PMA pour toutes de 2021 n’existe pas encore. Le couple va devoir affronter la brutalité de la procédure d’adoption, le regard de leurs proches, les questions intrusives, les micro-agressions. Sans compter cette tempête d’émotions contradictoires, cette rafale d’angoisses et ces doutes qui enflent à mesure que le ventre de Nadia s’arrondit.
Avec Des preuves d’amour, Alice Douard signe une version longue de son remarquable court-métrage L’Attente, récompensé d’un César en 2024. Inspirée par sa propre histoire – comme Céline, elle a attendu son premier enfant sans le porter -, la réalisatrice livre un beau film qui, loin de se restreindre au cadre homoparental, aborde des thèmes aussi universels que le choix de faire famille, la pression sociétale, les liens du coeur et du sang, la physicalité de la grossesse, l’amour, tout simplement. Une comédie romantique tendre et féministe, portée par les interprétations parfaites d’Ella Rumpf et Monia Chokri, dont l’alchimie crève l’écran.
Nous avons interrogé les deux comédiennes sur ce long-métrage qui parvient à explorer avec délicatesse et humour des sujets pourtant sensibles.
Bande-annonce de Des preuves d’amour
Jouer un couple lesbien, était-ce important pour vous ?
Monia Chokri : Pour moi, ce n’est jamais l’identité du personnage qui me fait choisir un rôle. Ce qui m’attire, c’est l’écriture, la densité. Là, le hasard a fait que plusieurs rôles récemment parlaient de femmes homosexuelles, mais ce n’est pas une checklist. Ce qui compte, c’est l’histoire, sa force, et le regard de la réalisatrice. Je suis heureuse que ce film existe, qu’il raconte cette normalité-là.
Ella Rumpf : Je ne me suis pas dit : « Il faut que je joue une lesbienne. » Mais j’étais très intéressée par la manière dont le film représente un couple homoparental : sans folklore, sans clichés, avec finesse. Et puis oui, on entend souvent : « Encore un film de lesbiennes ? C’est woke. » Alors que pendant un siècle, on a vu des milliards de récits hétéro. Laissez un peu de place maintenant ! (rires)
Ce film montre un couple ordinaire plongé dans un parcours extraordinaire.
Monia Chokri : C’est toute l’intelligence du film. Céline et Nadia sont des femmes normales, une dentiste, une prof, qui se retrouvent à devoir justifier leur parentalité comme si elles demandaient un diplôme. Elles deviennent des héroïnes malgré elles. Et il n’y a pas l’extravagance avec laquelle on dépeint souvent les personnages LGBTQI+. Ce sont juste des femmes qui s’aiment.
Ella Rumpf : Ce qui m’a frappée, c’est à quel point elles doivent prouver qu’elles ont « le droit » d’être mères. On ne demande jamais ça à un couple hétéro. Et la scène chez l’avocate, la lourdeur administrative, les témoins… C’est violent. Une intrusion dans l’intimité. J’ai vraiment compris l’enjeu en tournant ces scènes-là.
La question de la « légitimité » parentale est également abordée.
Monia Chokri : Et c’est un thème universel ! Il y a le sujet lesbien, oui, mais il y a surtout : comment on devient parent quand on ne porte pas l’enfant ? Qu’est-ce que ça signifie, être mère autrement ? Les hommes aussi peuvent se reconnaître là-dedans. Ce n’est pas un film communautaire. C’est une histoire d’amour.
Ella Rumpf : Le film dit quelque chose de très simple : il existe mille manières d’être parent. Et pourtant, la société continue de hiérarchiser, juger. Ça m’inquiète, ce retour de violence, de peur de l’autre. J’espère que ce film peut réouvrir un peu le cœur des gens.
Monia, vous incarnez la femme qui porte l’enfant. Comment avez-vous travaillé ce rapport au corps ?
Monia Chokri : J’avais « le ventre », un accessoire très concret. Il pesait, il collait, il m’enfermait presque. L’agacement, la chaleur, l’inconfort… tout venait naturellement. Et quand on a moulé le corps nu, avec faux seins et ventre, j’étais prisonnière pendant des heures. Ça a nourri la fatigue du personnage.
Votre duo fonctionne très bien à l’écran. Comment s’est construite cette dynamique ?
Ella Rumpf : Mon personnage est plus introverti, plus dramatique. Heureusement, le personnage de Monia amène de la légèreté, de l’humour. Ça a évité que le film sombre dans quelque chose de trop grave. Et puis il y avait une vraie écoute entre nous.
Monia Chokri : J’aime travailler dans ce dialogue-là. J’essaie toujours de comprendre le projet, le ton du réalisateur, de me fondre dedans. Et Ella avait ce mélange d’intensité et de vulnérabilité parfait pour Nadia.

La scène de sexe, très pudique et sensuelle, apporte beaucoup. Comment est-elle née ?
Monia Chokri : Elle n’était même pas dans le scénario à la base. J’ai proposé qu’on ait au moins un moment charnel, pas voyeur, juste pour sentir ce lien amoureux. Cela me semblait important, politique presque, de montrer deux femmes dans le désir.
Ella Rumpf : Oui, et c’était important que ce ne soit pas gratuit. On voulait juste servir l’histoire, renforcer la crédibilité du couple. Et j’aime l’idée de désacraliser un peu le sexe au cinéma, d’en faire quelque chose de normal, beau, simple.
Que retenez-vous de cette histoire dans le contexte de 2025 ?
Ella Rumpf : L’espoir. Dans une époque saturée de haine et d’angoisse, ce film dit que l’amour est simple, et qu’il suffit parfois de laisser les gens vivre.
Monia Chokri : La nécessité de normaliser ces récits. Plus on montrera des familles LGBTQI+ simplement comme des familles, plus la société avancera. Le film contribue à ça.