Forgé dans le feu des blockbusters, Dwayne « The Rock » Johnson ose enfin entrouvrir son armure. Avec « The Smashing Machine » de Benny Safdie, en salle ce 29 octobre 2025, il quitte le ring du divertissement pour monter sur celui du cinéma d’auteur. Un pari risqué pour échanger le mythe de l’invincibilité contre la vérité d’un homme brisé, et peut-être, troquer le titre d’acteur le plus rentable pour celui d’acteur tout court.
Pendant près de vingt ans, il y a eu un pacte tacite entre Dwayne Johnson et le public. Dans le paysage changeant d’Hollywood, il était un repère : la promesse de divertissements spectaculaires et généreux. Son nom est devenu une marque. Sa présence de « The Rock » sur une affiche ? La garantie du succès.
Sa force ? Un charisme inoxydable et une musculature capable à elle seule de supporter des franchises entières. Alors autant dire que l’annonce de sa collaboration avec le très « indie » Benny Safdie (Good Time, Uncut Gems) a fait l’effet d’un véritable séisme.
Devant la caméra du réalisateur new-yorkais, Dwayne Johnson ne vient pas assurer le spectacle mais incarner la chute. Celle de Mark Kerr, un champion de MMA au sommet de sa gloire mais secrètement rongé par ses addictions. Ce n’est plus un rôle, c’est un contre-emploi total. Et l’occasion d’examiner de plus près cette armure que Dwayne Johnson s’apprête à faire tomber.
La mécanique du succès
Pour comprendre l’acteur, il faut se souvenir du catcheur : en arrivant à Hollywood, Dwayne Johnson n’y a pas seulement apporté son physique mais aussi toute une science du spectacle héritée de la WWE. Il a importé les codes du ring pour fonder une marque infaillible, moins basée sur des personnages que sur une seule et même entité – « The Rock » – déclinée à l’infini.
Dwayne Johnson est un pur entertainer. Sa formule est simple : c’est celle de l’invincibilité. Qu’il soit dans la jungle de Jumanji, au volant d’un bolide dans la saga Fast & Furious ou au milieu des décombres de San Andreas et Rampage, Dwayne Johnson se dresse toujours comme cette force rassurante qui ne cède jamais.
Pourtant, cette mécanique si bien huilée a fini par devenir un carcan artistique. Efficace mais prévisible, elle a engendré des films très calibrés – Jungle Cruise ou le blockbuster de Noël Red One – à la réception mitigée.
Quant à l’échec relatif de Black Adam, il apparaît comme un révélateur plus brutal encore : son incursion dans un registre plus sombre, mais corseté par les codes du blockbuster super-héroïque, n’a fait que révéler les limites de sa propre mythologie. La voie était libre pour une sortie de route salutaire.
Le pari des géants
Ce type de virage n’est pas sans précédent et à chacun ses méthodes. Pour Copland de James Mangold, Sylvester Stallone déconstruisait les caricatures invincibles qu’étaient devenus Rambo et Rocky dans les blockbusters reaganiens des années 1980 pour composer un shérif passif et dépressif. Une performance en sourdine qui a révélé une autre facette de son jeu. À l’inverse, Arnold Schwarzenegger choisissait lui d’explorer les failles de son image par le prisme de la comédie (Jumeaux, Un flic à la maternelle).
Le parallèle contemporain le plus éclairant reste celui de Dave Bautista. Ancien catcheur lui aussi, il a d’abord été la révélation comique des Gardiens de la Galaxie dans la peau d’un Drax lunaire, tout en premier degré, révélant un réel talent de composition. Guidé par une curiosité évidente, il a ensuite multiplié les expériences audacieuses, se mettant au service de cinéastes comme Denis Villeneuve (Blade Runner 2049) ou M. Night Shyamalan (Knock at the Cabin).
Johnson lui-même avait déjà flirté avec le contre-emploi dans la satire anabolisante No Pain No Gain de Michael Bay. Aux côtés de Mark Wahlberg, il y campait un bodybuilder criminel, naïf et cocaïné. Mais sa performance, aussi audacieuse soit-elle, restait une composition d’excès, prisonnière de l’esthétique survoltée de son réalisateur. C’était un personnage grotesque joué à plein volume. The Smashing Machine propose l’exact inverse : une introspection à huis clos.
Le crash-test Benny Safdie
Pour opérer cette métamorphose, il fallait la rencontre entre un rôle et un réalisateur. En plongeant dans l’histoire de Mark Kerr, façade d’invincibilité cachant de profondes fêlures, Johnson affronte directement son propre mythe. Face à lui, le cinéma nerveux et immersif de Benny Safdie agit comme l’antithèse parfaite du blockbuster.
Physiquement transformé, l’acteur de 53 ans se dépouille de ses tics de superstar et livre une performance tout en retenue, incarnant l’étonnante dichotomie entre la violence de la machine de combat et la douceur de l’homme.
Safdie lui-même, pour son premier film sans son frère Joshua, délaisse l’énergie chaotique de ses œuvres précédentes au profit d’un drame plus posé, presque clinique. Il filme le corps de Johnson non plus comme un spectacle, mais comme l’outil d’une autodestruction. Le long métrage refuse la grammaire habituelle du biopic sportif pour mieux sonder la psyché de son personnage. Une approche si radicale qu’elle a poussé Christopher Nolan à qualifier sa performance de quasi insurpassable.
Peut-il tout jouer ? La question reste ouverte, mais The Smashing Machine apporte une réponse éclatante : il peut, en tout cas, jouer bien plus que le rôle unique qu’on lui connaissait. En se confrontant à un tel personnage, Dwayne Johnson ne fait pas un simple calcul de carrière, il engage un combat contre sa propre image. La plus grande victoire ne serait pas un Oscar, mais d’avoir prouvé qu’en dessous du monument, l’acteur existait bel et bien.