One Piece, Naruto et Bleach ont marqué des générations avec leurs intrigues-fleuves et leurs combats sans fin. Mais depuis quelques années, une nouvelle vague de mangas shōnen mise sur des récits plus courts, plus rythmés et pensés pour se conclure vite.
« Le dernier épisode, le 220ᵉ chapitre, sortira le 25 juillet prochain. L’annonce sera faite dans le Monthly Afternoon de ce mois-ci. » C’est par un message laconique sur X que Makoto Yukimura a annoncé la fin de sa (très bonne) série Vinland Saga. Il aura fallu 20 ans, mais « seulement » 200 chapitres pour que l’auteur japonais boucle le cheminement du Viking Thorfinn Karlsefni, pris dans l’infernale spirale de la violence.
C’est l’hécatombe. Vinland Saga, Kaiju n°8, Jujutsu Kaisen, My Hero Academia… Les années 2024 et 2025 marquent la fin de nombreuses séries shōnen. Alors que l’industrie de la bande dessinée nipponne peine à trouver de nouveaux best-sellers mondiaux pour prendre la relève des précédents, les hits qui font vendre ne s’étirent plus à l’infini. Une nouveauté qui intrigue.
Une vieille habitude
Malgré son succès, Kaiju no.8 s’achèvera avec la parution prochaine de son 16e tome et Jujutsu Kaisen va s’arrêter au 30e. Cette génération détonne en comparaison avec celle de ses aînées. Le « Big Three » des années 2000 n’avait pas peur de se lancer dans l’arc narratif de trop, quitte à parfois décevoir.

Il faut dire qu’on touche à l’essence même du shōnen. La structure narrative de ces aventures destinées aux adolescents repose sur une progression continue, et souvent lente, de ses personnages. Conséquence : One Piece n’a toujours pas tiré sa révérence après 28 ans d’existence, les aventures de Naruto se sont prolongées sur 72 tomes et celles de Bleach sur 74. Qui dit mieux ? Pas les nouvelles figures de proue du manga, en tout cas.
Des vaches à lait évidentes
Ce phénomène est d’autant plus surprenant qu’allonger une histoire est un vilain réflexe du milieu pour en tirer profit le plus longtemps possible. Résultat, les shōnens sont souvent conçus pour durer… tant qu’ils rencontrent du succès. La logique est la suivante : plus une série s’étire dans le temps, plus elle génère d’argent par la vente de ses tomes, ses produits dérivés ou ses adaptations animées.

Cette tendance est accentuée par le phénomène des magazines de prépublication. Les lectrices et lecteurs japonais votent chaque semaine pour leurs séries préférées ; les moins appréciées sont invitées à trouver une issue rapide à leur histoire et les autres à être prolongées au maximum, même si leurs auteurs ne l’avaient pas vraiment prévu. Business is business.
Une méthode qui a fait ses preuves
La recette idéale a, semble-t-il, changé. Demon Slayer a été l’une des sagas qui ont ouvert la voie, avec L’attaque des Titans. En seulement 23 tomes, ce manga a rencontré un succès planétaire magnifié par une adaptation animée de qualité. On serait tenté de voir dans cette nouvelle tendance l’influence d’une société de l’immédiateté. À l’heure où les ados utilisent massivement TikTok, les contenus rapides et percutants sont de rigueur, autant donc privilégier des histoires compactes et rythmées.

Surprise : si le syndrome de l’étirement sans fin n’a pas touché l’œuvre de Koyoharu Gotōge, la dernière saison de sa série d’animation s’est vue, elle, reprocher d’être inutilement allongée. Les équipes de production y ont inséré des passages qui n’existaient pas dans la version papier et qui n’apportaient pas grand-chose au récit. La stratégie se serait inversée : maintenant, ce n’est plus le manga qui ferait vivre l’anime, mais l’anime qui boosterait le manga.
La fin des histoires à rallonge ?
Beaucoup de jeunes mangakas veulent éviter de se laisser entraîner dans une spirale sans fin portée par une histoire trop longue qu’ils finiraient par ne plus maîtriser ou par dénaturer. C’est le cas de la légendaire saga Dragon Ball. Avec ses nouveaux arcs narratifs (papier et anime) d’une qualité irrégulière, ce classique du shōnen a perdu de sa superbe. À force de chercher à renouveler son univers et proposer des power-up toujours plus spectaculaires, le manga de référence s’est usé.

Il est fort probable que la nouvelle génération d’auteurs ne cherche plus à se tuer à la tâche. L’épuisement des mangakas, parfois contraints de suivre une cadence infernale pendant une dizaine d’années, est devenu un enjeu central. Pour ne plus être l’esclave de son œuvre ou de son éditeur, y mettre fin à temps semble une stratégie aussi artistique que salutaire.