
Alors qu’en 1988, l’industrie musicale américaine bombardait les charts européens à coup de disques de rap, de pop-funk, de hard-rock et ses glissades métal-fusion, les titres pop-folk doux-amers de Tracy Chapman s’invitèrent en contrepoint. Et cet album éponyme, simple et sans surenchère de décibels, sera l’un des best-sellers de la décennie. A l’occasion d’une belle réédition vinyle en exclu pour la Fnac célébrant les 35 ans de ce beau disque, retour sur cette « révolution ».
En 1988, on manifeste massivement à Lhassa pour l’indépendance du Tibet. Le GIEC se réunit pour la toute première fois pour discuter « réchauffement climatique », François Mitterrand attaque son second septennat, le coup droit de Steffi Graf anesthésie le tennis féminin mondial et Nelson Mandela est encore derrière les barreaux dans cette Afrique du Sud ségrégationniste depuis 1948.
Musicalement, en France, l’année 1988 voit un tube que beaucoup auraient aimé oublier (Nuit de Folie par Début de soirée) squatter la pole position des meilleures ventes, heureusement talonné de quelques places par l’envoûtant Talkin’ Bout a Revolution de Tracy Chapman.
C’est avec ce titre que la native de Cleveland- en 1964- se fera connaître massivement.
Construite sur seulement quatre accords basique de guitare acoustique, cette chanson aux ressorts pop-folk-soul portée par des arrangements qui soutiennent et mettent en valeur un chant singulier et engagé va résonner sur la planète en quelques mois.
Le stade de Wembley à 28 ans
L’album a été enregistré à la fin de l’année 1987 pour la firme Elektra qui le commercialisera début 1988 sans promotion particulière.
Mais l’histoire n’aurait peut-être pas été la même si Tracy Chapman, du haut de sa vingtaine et de son look d’étudiante, n’avait pas foulé la scène d’un événement majeur de l’époque : le Mandela Day, le méga concert-fleuve (11h) en soutien à Nelson Mandela (et contre l’Apartheid) pour célébrer les 70 ans de l’activiste sud-africain toujours emprisonné.
Un événement caritatif à résonnance mondiale où la jeune Afro-américaine nourrie aux chants des églises baptistes, au blues et aux protest songs de Bob Dylan et consorts se présentera seule sur scène avec sa guitare.
La prestation est bluffante de naturel à une époque où la surenchère orchestrale est à la mode. Tracy Chapman y interprétera également Fast Car, un titre qui était préalablement sorti en single pour promouvoir son album.
Ce titre reste l’une des chansons les plus poignantes sur les rêves d’émancipation sociale des petites gens confrontées à la réalité du quotidien des classes populaires et ouvrières. Liberté, égalité, fraternité. Ces trois mots fondateurs de la République française semblent être au cœur des sujets que Tracy Chapman abordera et incarnera durant toute sa carrière.
Au jeu des références et de la comparaison, on pourrait voir en Tracy Chapman une sorte de Bruce Springsteen féminine et noire. Elle a d’ailleurs régulièrement partagé le micro avec le Boss qui n’a jamais caché son admiration pour le talent d’écriture de la jeune artiste.
Fortes de la diffusion massive de ce concert dans 67 pays, les deux chansons de Tracy Chapman deviendront en 1988 des succès mondiaux. Un troisième single (Baby I Can’t Hold You) viendra couronner ce premier album dont les volumes vendus à l’époque donnent encore aujourd’hui le tournis : 20 millions d’albums vendus dans le monde, cet opus éponyme récoltant Grammy’s et récompenses diverses sur presque tous les continents.
Un des meilleurs scores jamais enregistrés pour un premier album ne bénéficiant pas d’une machine promotionnelle XXL comme d’autres productions grand public.
C’est donc ce disque qui revient aujourd’hui dans les bacs, en 2025, après s’en être éclipsé depuis bien trop longtemps. Une belle édition vinyle, classique noire ou couleur selon les envies. Mais surtout, ce genre de disque que vous ne vous lasserez jamais de poser sur votre platine.
Une carrière sans fausses notes
Passé le tour de force de ce premier et magnifique album, Tracy Chapman poursuivra brillamment sa carrière avec la même envie de vérité, d’authenticité, de sincérité et surtout, de discrétion sur sa vie personnelle. Tranquillement, sans autre ambition que d’écrire et de mettre ses chansons à disposition du public, l’artiste a tracé son chemin sans courir après le succès passé.
Huit albums studio au compteur, des dizaines de collaborations, des centaines de concerts, prestations pour des ONG (Amnesty International), performances diverses en hommage à ses modeles et inspirations (BB King, Buddy Guy, lutte pour les droits civiques, Malcom X)… La force tranquille, la vraie.
Si Tracy Chapman se fait plus discrète depuis une dizaine d’années, elle reste en alerte. Imbroglio juridique avec la rappeuse Nicki Minaj pour une histoire de sample non déclaré. Prise de position sur l’élection du clown Donald Trump et appel à mobilisation et plus récemment encore, ce bel hommage des Country Music Awards en 20224 qui ont récompensé la chanteuse (soit trois décennies après son premier Grammy), à la suite du succès de la reprise de Fast Car par Luke Combs, poids lourd de l’industrie musicale US et de la country contemporaine.
Dans ce monde où tout va si vite, Tracy Chapman à sa façon porte et passe donc le flambeau de sa petite révolution depuis 35 ans. Si ses dreadlocks ont grisonné avec le temps, le message n’a pas pris une seule ride.