Décryptage

Objet culte : « Wattstax The Complet Concert », la réponse de l’Amérique noire à Woodstock

21 février 2023
Par Julien D.
Objet culte : "Wattstax The Complet Concert", la réponse de l'Amérique noire à Woodstock

En 1972 à Los Angeles, au cœur de l’un des quartiers des plus tristement célèbres des États-Unis, s’est tenu un événement majeur dans l’histoire des musiques et communautés afro-américaines. Ce moment couché sur pellicule et enregistré comme le fut le festival de Woodstock, ressort pour célébrer ses 50 ans. Wattstax, grande messe politique et musicale autour de la crème des musiciens de soul et de funk de l’époque qui a réuni plus de 100 000 personnes sur une journée devenue historique.

Festivals en folie

Poster

Newport, Woodstock, l’Ile de Wight, Altamont, Monterey… L’histoire de la pop et du rock des années 60 et 70 possède ses festivals devenus désormais mythiques. Ces grands raouts rassemblaient jusqu’à plusieurs centaines de milliers de spectateurs avec une forme de liberté qui n’eut pas toujours que des conséquences joyeuses. Une époque bien révolue quand on voit l’organisation au cordeau et la discipline qui reigne aujourd’hui dans les grands festivals devenus aussi enjeux de « gros sous ».

Puisqu’on cause libertés, c’est peut-être de ce côté-là qu’il faut chercher la genèse de Wattstax. Ce festival de musique à haute couleur politique, considéré comme l’équivalent soul/funk des grands festivals de rock cités précédemment est d’abord un « coup de gueule » en pleine décennie Black Power, professionnellement orchestré et très bien documenté (organisation sérieuse, documentaire sorti en salle l’année suivante).

Black & soft power 

Soul Funk, Soul Funk - 1

Car avant de devenir ce marathon de musique réunissant un pool d’artistes dont les albums étaient publiés par la célèbre firme de Memphis (Stax Records, d’ le titre-concept), cet événement se voulait être une journée de commémoration des tragiques émeutes de 1965 qui enflammèrent le quartier de Watts pendant une semaine. Racisme institutionnel, violences policières, précarité et ségrégation à peine déguisée ont été les ferments du chaos. Et malheureusement, une grosse poignée d’années plus tard les choses n’avaient pas beaucoup changé. Le temps était venu de le (re)dire haut et fort puisque le tube de James Brown en 1968 n’avait apparement pas suffi (Say It Loud – I’m Black & I’m Proud).

Pour ne rien oublier et continuer la lutte et la mobilisation, on fit appel au célèbre pasteur-figure de la lutte droits civiques Jesse Jackson en maitre de cérémonie et des musiciens affiliés à Stax Records tels que Isaac Hayes, Albert King, Rufus Thomas, William Bell, The Dramatics, The Staple Singers,The Rance Allen Group, Johnny Taylor, Carla Thomas, Luther Ingram, et bien d’autres. Tous  répondent donc présents et resteront à jamais associés à ce jour d’août 1972 au Colisseum Stadium de L.A. 

Les émeutes ont laissé de vilaines cicatrices dans la communauté noire et la période est à la contestation, aux revendications et à l’affirmation. Des principes largement partagés dans le monde de la musique qui reste un mode de diffusion d’idées et de prises de parti (théoriquement) sans violence physique, ni coup de feu.

In Funk & Soul we trust 

Devant une impressionnante marée humaine, ces artistes graveront pour la postérité les meilleures versions de leurs tubes à l’instar des Joe Cooker, Hendrix à Woodstock (ou Monterey), the Doors, Rolling Stones que les grands festivals rock ont vu passer.

Isaac Hayes in Wattstax

Car c’est un fait, et les différentes éditions de ces coffretbien garnis qui sont aujourd’hui réédités le prouvent. Des versions et des documents inédits, des témoignages et des photos devenus emblématiques. La symbolique du costume de scène d’Isaac Hayes (les chaines de l’escalvage), la probable meilleure performance live de Rufus Thomas dans des gesticulations et un dress code aussi comique que funky, le groove lancinant des Dramatics, le blues soulfull de Little Milton, le gospel combatif des Staple Singers, le funk torride des Bar-Keys et d’autres merveilles débordent de cet enregistrement majeur qu’on ne peut que vous conseiller.

Completement à l’ouest !

Watsttax

Wattstax, c’est aussi la formidable opportunité que s’offre l’écurie Stax qui une année auparavant (en 1971) a ouvert une branche de sa compagnie sur la côte ouestLes artistes maisons sont tous issus des états du sud. En organisant ce festival, Al Bell (le patron de Stax records) veut donner une plus large visibilité à ses poulains. 

Voici ses mots à propos de Wattstax : « La soul music est une forme d’art née de la culture afro-américaine, et Stax se doit d’être aux côtés des gens qui nous supportentDe plus, j’ai dans l’idée qu’il faut que notre catalogue d’artistes doit s’imposer à Hollywood avec une performance que personne n’oubliera« .

On peut difficilement imaginer qu’Al Bell n’a pas son concurrent direct en ligne de mire. Berry Gordy, big boss de la non moins fameuse Motown, basée à Detroit, a lui aussi sa succursale californienne à la même époque. 

C’est la nouvelle ruée vers l’or, vers l’ouest californien prometteur de nouvelles perspectives, de nouveaux horizons, de libertés. Mais l’Amérique reste l’Amérique, et le business doit rester le business, quand bien même aujourd’hui, c’est un morceau d’histoire qui nous est servi.

Wattstax fait également partie de la sélection Diggers Corner du mois.

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Article rédigé par
Julien D.
Julien D.
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