À l’occasion de la sortie du film La Planète des singes : le nouveau royaume ce mercredi 8 mai, L’Éclaireur se penche sur un certain âge d’or de la science-fiction française, dans les années 1960 et 1970.
Quand le romancier français et ancien résistant Pierre Boulle écrit La Planète des Singes en 1963, il est loin d’être un inconnu sur la scène littéraire mondiale. Dix ans plus tôt, son récit de guerre Le Pont de la rivière Kwaï a déjà été un succès adapté en long-métrage à Hollywood. Mais son incursion dans le domaine de la science-fiction, qui deviendra l’une des plus grandes franchises du genre, ne doit rien au hasard : dans les années 1960, la science-fiction française impressionne le monde entier.
Des auteurs de talent et des éditeurs inspirés
La France n’est pas étrangère à la science-fiction. Elle en est même le berceau avec, par exemple, les nombreux romans de Jules Verne au tournant du XXe siècle, bien que durant les décennies suivantes le genre se développe plutôt dans les pays anglo-saxons. Des auteurs de SF française, il y en a : on pense au Ravage de René Barjavel en 1943 ou à la collection du « Rayon fantastique » chez Hachette au début des années 1950. Mais le genre peine à émerger sous la plume des auteurs hexagonaux. Il s’agit alors surtout d’un produit d’importation.
La situation change quand de nombreux éditeurs décident de se lancer sur le marché, sentant bien l’attrait du jeune public pour les récits d’anticipation durant les Trente Glorieuses. Romanciers, auteurs de BD, scénaristes, cinéastes… Tous sont incités par une sphère éditoriale bouillonnante à se lancer dans les histoires futuristes. Boris Vian lui-même multiplie les articles autour de la SF et s’acharne à la fin de sa vie à traduire des textes fondateurs de la littérature de genre américaine.
Cette situation s’accompagne d’un véritable soutien de l’audiovisuel public et de l’industrie du cinéma, conduisant à la production de plusieurs films et téléfilms tentant d’inventer une véritable science-fiction à la française à l’écran. Cela se traduira, par exemple, par la mise en production de Commando spatial en 1966, un feuilleton assez semblable à un certain Star Trek, produit la même année aux États-Unis.
Des best-sellers à foison et une nouvelle génération de créateurs
Si on ne se souvient pas de tous ces précurseurs de la SF hexagonale moderne, nombre d’entre eux remportent néanmoins des succès critiques et commerciaux d’ampleur. Outre Pierre Boulle et sa Planète des Singes, rapidement traduit dans des dizaines de langues et adapté à l’écran dès 1967, les librairies voient émerger des auteurs dont la renommée devient mondiale : Philippe Curval, Nathalie Henneberg ou Stefan Wul enchaînent ainsi les succès.
La bande dessinée n’est pas en reste, avec l’émergence dès les années 1960 de séries comme Valérian et Laureline de Christin et Mézières, qui inspira notamment largement un certain… George Lucas.
La recette qui fait mouche : contrairement à la science-fiction anglo-saxonne de l’époque, la SF « à la française » s’intéresse beaucoup à des problèmes sociaux et politiques, avec un regard moins tourné vers l’exploration spatiale et davantage vers des problématiques humanistes. Des considérations que l’on retrouve dans des films comme Paris n’existe pas en 1969, La Planète sauvage de René Laloux en 1973 ou encore dans le sinistre Prix du danger, paru en 1983 alors que la science-fiction hexagonale commence à décliner. Ce film sur les dérives de la société du spectacle, cependant, inspirera très largement le film Running Man paru en 1987 ; preuve que le genre avait encore de beaux restes dans notre pays !
Des années 1970 psychédéliques qui hantent encore le cinéma mondial
Mais revenons en arrière : après le foisonnement éditorial et cinématographique des années 1960, une nouvelle vague va renverser la table et inventer une science-fiction française onirique, étrange, inspirée par le rock progressif et les produits psychotropes. Durant les années 1970 émergent alors des auteurs comme le dessinateur Caza, ou des séries comme Le Vagabond des limbes. Une production bizarre, singulière, qui s’exporte plutôt efficacement.
Au sommet de cette production, un certain Jean Giraud, dessinateur de la série de BD à thématique western Blueberry, qui prend dans les années 1970 le pseudonyme de Mœbius et enchaîne les succès éditoriaux, notamment en cocréant la très influente revue Métal hurlant. Un magazine qui sera le fleuron de l’avant-garde de la SF francophone pendant une dizaine d’années et connaîtra une large diffusion dans les milieux artistiques internationaux, révélant des auteurs comme Jodorowsky, Enki Bilal ou encore François Schuiten.
Les esthétiques développées dans Métal hurlant se retrouvent encore chez nombre d’auteurs contemporains : Hayao Miyazaki a de nombreuses fois témoigné de son admiration pour les travaux de Mœbius, influence que l’on retrouve aussi chez des réalisateurs américains ou dans le jeu vidéo contemporain.
Un déclin éditorial qui laisse une énorme influence
Cinquante ans après cette grande vague de littérature de genre à la française, la scène SF locale se porte plutôt bien : des sorties de livres et de BD à foison, des films, des séries… Il semble que le genre se soit durablement installé dans la production culturelle française. Cependant, difficile de nier qu’elle pèse actuellement moins lourd dans les têtes qu’à l’époque des précurseurs qu’étaient Boulle, Robert Merle ou Jacques Vallée. Un constat qui s’explique par l’écroulement du genre en France dans les années 1980.
Peu à peu, la science-fiction locale se détache, à cette époque, du goût des consommateurs mondiaux. Intime et politique, la SF française s’exporte moins bien à l’ère des blockusters mondialisés et de la naissance des grandes sagas cinématographiques. Le constat est fait dès les années 1980 : rien ne va plus. La télévision française se désintéresse de ce type de récit, le cinéma également. Le milieu éditorial, saturé d’offres, mais manquant de lecteurs, mettra 20 ans à s’en remettre et ne se rétablira qu’avec l’émergence de nouvelles plumes cultes (Pierre Bordage, Alain Damasio, Ayerdhal ou encore Catherine Dufour).
Néanmoins, les traces de cette notoriété passée sont encore présentes partout dans la pop culture mondiale. La Planète des Singes est devenue l’une des franchises les plus lucratives du cinéma contemporain et un film autour de L’Incal de Mœbius et Jodorowsky est en préparation. La SF française contemporaine est redevenue un objet d’étude universitaire, et les adaptations de classiques sous diverses formes se multiplient. Loin d’être tombée dans l’oubli, la littérature de genre des années 1960 et 1970 a finalement laissé un héritage graphique, littéraire et thématique conséquent dans la pop culture mondiale.