Décryptage

La Planète des Singes : une saga à trois temps

08 mai 2024
Par Lucie
La Planète des Singes : une saga à trois temps

Débutée en 1963 avec la parution du roman de Pierre Boulle, la saga « La Planète des Singes » a glané une aura mythique. Métaphore filée du progrès et de ses dérives, critique engagée du racisme systémique, l’œuvre se prolonge en 2024 avec « La Planète des Singes : Le Nouveau Royaume », quatrième épisode d’un reboot amorcé en 2011. Retour sur les trois grandes périodes de la saga.

1963 : La Planète des Singes, un authentique classique de la science-fiction

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Consulter n’importe quelle anthologie chronologique de la science-fiction suffit à comprendre l’importance de La Planète des Singes pour le genre. Avant la parution du roman de Pierre Boulle, en 1963, le courant est divisé. D’un côté, on trouve des franchises héritées du pulp et des comics, forme de littérature populaire, façon Flash Gordon, Buck Rogers, Superman… De l’autre, tout un courant littéraire s’attache à faire de la SF un domaine plus sérieux, moins inspiré de l’aventure que de la philosophie, avec des personnalités comme Isaac Asimov (Les Robots, Fondation), Ray Bradbury ou Arthur C. Clarke.

Il faut reconnaître à Pierre Boulle sa singularité : lui décide de relier les deux courants, avec un roman futuriste à message qui a tous les atours d’un roman populaire. Facile à lire, cette première aventure pose les jalons d’une saga à venir. Elle prend la forme du récit d’un astronaute-journaliste envoyé en mission du côté de Bételgeuse, qui découvre, après l’atterrissage sur une planète inconnue, une étrange société dominée par les singes. Étudié comme une bête de foire, cet explorateur échoué constate que des humains vivent également sur ce monde hostile, mais qu’ils sont restés primitifs. Provisoirement intégré chez les singes, le héros dresse le portrait d’une société de caste : les gorilles dominent le gouvernement, la police, l’armée, les orangs-outans se font les gardiens du temple d’une religion pseudo scientifique suprémaciste simiesque, rejetant l’humain comme être inférieur, quand les chimpanzés se montrent davantage curieux et représentent la science spéculative moderne. Au fil de son passage sur la planète des singes, Ulysse Mérou comprend que les primates évolués se sont imposés à mesure que l’humain lui-même entrait en décadence. Réussissant à s’échapper de cette planète, Ulysse Mérou revient sur Terre sept siècles après son départ. À Orly, lieu de son atterrissage (le roman fourmille de références françaises) c’est un singe évolué qui vient le chercher, signe que l’évolution a balayé, là aussi, l’homme, au profit des gorilles et autres chimpanzés.

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Ce court roman, vertigineux, rempli de rebondissement, est acheté à sa publication par la 20th Century Fox, qui souhaite créer un film de science-fiction ambitieux à partir de ce roman. Dès lors, l’œuvre de Pierre Boulle prend une nouvelle tournure.

Au cinéma : La Planète des Singes, un blockbuster avant la lettre

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En 1968, le cinéma de science-fiction est profondément transformé par deux œuvres majeures. Stanley Kubrick tourne en Angleterre 2001 Odyssée de l’Espace, écrit avec l’auteur Arthur C. Clarke, et mélange la fiction spéculative avec l’art contemporain. En Californie, la Fox donne à Charlton Heston l’un de ses rôles les plus marquants, en astronaute perdu sur La Planète des Singes. Reprenant de nombreux éléments du roman, le long-métrage signé Franklin Schaffner s’éloigne cependant de son dénouement : le personnage de George Taylor arrive non pas sur une planète éloignée, mais dans le futur de la Terre; à la suite d’un incident spatio-temporel. Il le comprend en découvrant la Statue de la Liberté ensablée à la toute fin, et constate que l’apocalypse nucléaire a détruit la quasi-totalité de l’espèce humaine.

Le film fait date pour cette séquence finale, mais aussi pour ses plans d’atterrissage, ses images marquantes d’humains parqués dans des cages et ses scènes d’action spectaculaires. La réussite du maquillage des singes, la musique angoissante de Jerry Goldsmith et l’interprétation font de ce film un blockbuster réussi, à une époque où la science-fiction est habituellement reléguée à des séries B fauchées.

Dix ans avant Star Wars, la Fox invente la saga à tiroir, puisqu’elle va mettre en chantier pas moins de quatre suites (Le Secret de la Planète des Singes, Les Évadés de la Planète des Singes, La Conquête de la Planète des Singes, La Bataille de la Planète des Singes). Chacune abordera une thématique différente en imaginant le futur de l’humanité. Le premier sequel évoque en effet le feu nucléaire et l’émergence de mutants, le second, par un retour dans le passé, la fabrication médiatique de l’opinion, le troisième, via des séquences de révoltes inspirées des émeutes afro-américaines de Watts de 1968, le racisme et l’oppression des suprémacistes… La Bataille de la Planète des Singes, enfin, sorti en 1973, synthétise la plupart des thèmes précédemment mis en image pour fournir une conclusion empreinte de tolérance à cette pentalogie moderne.

Depuis 2011, La Planète des Singes : une vision moderne

Continuée par une série TV dans les années 1970, de nombreux comics (notamment chez Marvel), la saga de La Planète des Singes a peiné à générer de nouveaux projets audiovisuels dans les années 1980-1990, même si des cinéastes comme Oliver Stone, James Cameron ou Peter Jackson, ou des stars comme Arnold Schwarzenegger ont été annoncés successivement comme les sauveurs de la franchise.

C’est finalement Tim Burton qui relança la saga en 2001, en choisissant d’adapter le plus fidèlement possible le roman de Pierre Boulle. Mais sa version de La Planète des Singes, malgré son côté spectaculaire (les singes y sont beaucoup plus bestiaux et moins statiques qu’auparavant, la plupart des effets spéciaux sont réalisés avec du maquillage et non des images de synthèse) n’a pas réussi à imposer le film comme un nouveau jalon de l’histoire de la science-fiction.

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Et c’est finalement la campagne de reboot débutée par la Fox en 2011 qui a permis à une franchise de SF de la major d’apparaître aussi intense que la troisième trilogie Star Wars ou les nouveaux films Star Trek. Pour ce faire, La Planète des Singes : Les Origines s’appuie sur César, un singe humanoïde imaginé à l’époque des Évadés de la planète des singes, et interprété alors par Roddy McDowall. Une innovation majeure, et la preuve du renversement post-moderne de ce reboot : c’est désormais le singe intelligent (créé en laboratoire pour combattre la maladie d’Alzheimer) qui est le personnage principal, et avec qui l’on chemine de film en film. Et c’est aussi à lui que se posent les enjeux moraux que l’on découvre d’épisode en épisode. À mesure que l’humain s’enfonce dans la décadence et que la civilisation simiesque émerge, César doit choisir entre le pacifisme et la vengeance. Un enjeu de poids qui se retrouve dans La Planète des Singes : L’Affrontement puis avec La Planète des Singes : Suprématie.

Andy Serkis, incarnant César dans cette trilogie, retrouve l’un de ses principaux emplois pour le cinéma : le personnage non-humain recréé par Motion Capture. De ce point de vue, après les effets de maquillage de la saga originale, l’incarnation informatique a prouvé sa maturité avec le reboot. Le dernier épisode en date, au cinéma ce 8 mai, La Planète des Singes : Le Nouveau Royaume, continue dans cette voie. Désormais, à l’écran, les singes sont plus nombreux que les humains, les images de synthèse permettant de les distinguer les uns des autres très facilement.

Au-delà de la technique, par sa critique du racisme, de l’instinct grégaire et son refus du manichéisme le plus évident, La Planète des Singes années 2010-2020 perpétue l’héritage de Pierre Boulle et des adaptations cinématographiques hollywoodiennes des années 1960. Une science-fiction intelligente et divertissante, à message intergénérationnel, ne peut que faire du bien au cinéma à grand spectacle !

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Lucie
Lucie
rédactrice cinéma sur Fnac.com
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