L’instant Lire à la Fnac : le rendez-vous de toutes les littératures à ne pas manquer. Baptiste Liger, directeur de la rédaction du magazine Lire, partage ses conseils de lecture. À l’occasion de la sortie du dernier roman de Jean Teulé, intéressons-nous aux romans inachevés.
Les romans inachevés
Il nous manque terriblement Jean Teulé. Déjà un an qu’il nous a quittés. Il n’empêche qu’on peut lire aujourd’hui un nouveau roman, roman inachevé, et un objet éditorial un petit peu particulier. L’occasion de nous demander ce qu’est un roman inachevé et quels sont les grands chefs d’oeuvre de ce genre littéraire ?
À partir de quand une œuvre peut-elle être considérée comme terminée ? La seule volonté de l’auteur qui déclare : “Voilà, c’est fini !” suffit elle à déterminer l’objet comme tel ? Un objet qui n’a pas pu être mené à terme par celui qui l’a créé ne l’empêche t il pas d’être considéré malgré tout comme existant comme œuvre à part entière ? Voici quelques unes des questions philosophiques que l’on peut se poser et auxquelles répond l’histoire littéraire.
Le saviez vous ? Le Maître et Marguerite, le chef d’œuvre absolu du fantastique russe de Mikhaïl Boulgakov, est un roman inachevé, en quelque sorte. Il existe en effet plusieurs versions des aventures de Béhémoth le chat. Mais bon, il se trouve qu’on était dans les années 30 et l’auteur avait un petit peu peur, évidemment, du régime communiste en place qui n’appréciait pas forcément ce genre d’histoires. Et l’édition qu’on connaît aujourd’hui est en fait la quatrième version de ce texte qui a été peaufiné par la femme de l’auteur après la mort de celui ci.
Autre monument de la littérature, Le Procès de Franz Kafka, grande fable sur l’arbitraire, sur la justice, sur l’administration et l’absurdité. En fait, est paru un an après le décès de l’écrivain tchèque, et c’est donc son ami exécuteur testamentaire qui a repris ce manuscrit, l’a recomposé d’après ce qu’il savait a priori, même s’il a pu parfois tricher avec les volontés de Kafka, pour nous proposer l’édition que l’on connaît maintenant et qu’on peut lire.
En France, on peut aussi songer à Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert, publié en 1881, soit un an après la mort de l’auteur. Et on aura toujours du plaisir à lire les considérations de ces deux crétins absolus qui croient tout savoir, même si, en fin de compte, le roman n’a jamais été terminé. Attention, certains fans de Flaubert considèrent qu’il existe bel et bien une fin de Bouvard et Pécuchet et que ce pourrait être quelque chose comme le fameux Dictionnaire des idées reçues de celui-ci. Une hypothèse qui mérite d’être étudiée.
On pourrait citer d’autres cas fameux, comme par exemple Lucien Leuwen de Stendhal, Jean Santeuil de Marcel Proust, Casse-pipe de Céline. Mais on s’attardera sur 53 jours de Georges Perec, paru après sa mort, qui n’avait pas été achevé et qui raconte justement l’histoire d’un manuscrit inachevé. Si ça, c’est pas une mise en abyme…
Et la BD dans tout ça ? On prendra pour illustration, c’est le cas de le dire, Tintin et L’alph-art d’Hergé, publié en 1986 en partie sous forme d’esquisses, à la demande des ayants droit et à la plus grande joie des fans.
L’événement : L’Histoire du roi qui ne voulait pas mourir de Jean Teulé
Et s’il y a bien un écrivain français contemporain qui adorait le neuvième art, c’était bien lui, Jean Teulé. Il nous a quittés le 18 octobre 2022 et pile un an plus tard paraît un roman posthume, Drôle d’objet, intitulé L’histoire du roi qui ne voulait pas mourir.
Le monarque en question, c’est Louis XI, on le voit à la fin de sa vie et il est complètement obsédé par le passage vers l’au delà. Alors, pour lutter contre l’inexorable, il imagine des potions à base de sang de tortue, de sang d’enfant peut être, et autour de lui, il y a une cour pas très bien fréquentable avec un astrologue un petit peu louche, je ne parle même pas de son barbier. Mais bon, si d’un côté c’est un roi un peu sanguinaire et sadique, de l’autre, c’est un homme d’état qui a su réformer la France.
Et là, soudain, au bout de 100 pages, le texte s’arrête parce que Jean Teulé s’en est allé. Ses fidèles éditeurs Betty Mialet et Bernard Barrault ont choisi malgré tout de poursuivre l’aventure de ce roi qui ne voulait pas mourir. Mais comment ? Ils ont trouvé une solution, demander aux plus proches amis créateurs de Jean Teulé de produire une contribution, quelle qu’elle soit, dessin, photo, et bien sûr texte.
Parmi les invités, on peut citer Enki Bilal, Florence Cestac, Philippe Druillet, Benjamin Planchon ou bien encore Philippe Jaenada. Au menu de ces annexes, on peut osciller entre des hommages assez classiques à Jean Teulé, des œuvres beaucoup plus beaucoup plus libres, des anecdotes ou bien la suite du roman qu’on était en train de lire jusqu’alors. Même s’il s’agit de fantaisie historique, comme toujours d’ailleurs, avec avec Jean Teulé.
Si vous voulez connaître la véritable histoire de Louis XI, on vous renvoie vers les nombreuses biographies de celui ci. Il en existe plein. Une interrogation demeure comment aborder un objet aussi composite que ce roi qui ne voulait pas mourir ? Je dirais la liberté, liberté du lecteur de ne retenir finalement que le début du texte, les lignes signées Jean Teulé.
Mais liberté aussi de considérer que le livre est un ensemble et qu’il faut mettre en connexion les annexes avec le texte pour avoir un hommage à ce monsieur si attachant qui a proposé une œuvre plus complexe qu’il n’y paraît, avec un univers très cohérent et un humour noir ravageur.
À ce propos, je vous donne les mots que Jean Teulé aurait adoré avoir pour épitaphe : “Et paf !”
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