Décryptage

Rap texan : de Geto Boys à Post Malone, une scène à part

24 juillet 2023
Par Mathieu M.
Rap texan : de Geto Boys à Post Malone, une scène à part

Si la côte Est des États-Unis, et notamment New York, et la Californie, en particulier Los Angeles, ont marqué l’Histoire du rap, le genre s’est épanoui dans d’autres villes. Outre Atlanta et Chicago, Houston et Dallas constituent les centres alternatifs du hip-hop U.S., des Geto Boys à Riff Raff. Retour sur l’histoire du rap made in Texas, à l’occasion de la sortie du bien nommé Austin de Post Malone.

Les Geto Boys : la première mouture du rap texan

Au milieu des années 1980, le rap américain est outrageusement dominé par la ville de New York. Pourtant, dans l’ombre, de jeunes artistes et DJ s’inspirent des pionniers pour construire leur propre musique, en s’inspirant de leur environnement. C’est notamment le cas à Houston, où se constitue le collectif Geto Boys, constitué de MC, de producteurs et de danseurs.

C’est le label Rap-A-Lot Records qui préside à la destinée de la formation, et choisit même les rappeurs à mettre en avant : en 1991, Scarface et Willie D. deviennent officiellement les principaux interprètes de la bande, et enregistrent le disque culte We Can’t Be Stopped. Un opus célèbre aussi bien pour son caractère hardcore et gangsta, marque de fabrique du groupe d’Austin, que pour sa pochette présentant le membre historique Bushwick Bill à l’hôpital, quelques heures après s’est mis, sous drogue, une balle dans l’œil. 

The Geto Boys - We Can't Be Stopped - Chronique - Abcdr du Son

Dès lors, le groupe et ses membres solos vont représenter une alternative au gangsta rap californien, avec un son plus lourd et poisseux et des paroles encore plus dark. En émergera notamment la carrière solo de Scarface, qui, avec des albums comme The World is Yours ou Untouchable, fera la joie des fans de hip-hop. Big Mike (venu d’un autre état) ou la rappeuse Choice figureront aussi dans cette première génération, particulièrement controversée, du rap texan, alors synonyme d’éloge du crime, de misogynie et de paroles extrêmement crues. 

UGK : la normalisation du rap texan

En 1990, samplant Under Pressure de Queen, un jeune rappeur blanc de Dallas obtient un succès populaire important : Ice Ice Baby de Vanilla Ice devient un tube incontournable, mais son interprète s’installe rapidement à Los Angeles, dans le show-business. À la même époque, le plus important des groupes texans des années 1990 commence à faire parler de lui. Dans la petite ville de Port Arthur, les rappeurs Bun B et Pimp C montent les Underground Kingz, soit UGK. Dès 1992, avec leur approche directe du gangsta rap, le tandem se fait remarquer par son approche « à l’ancienne » : les samples sont issus de la Great Black Music, les boîtes à rythmes TR808 utilisées dans leurs instrumentaux renvoient aux débuts du rap, et leurs paroles matérialistes et violentes s’inscrivent dans une tradition gangsta née en Californie quelque temps auparavant.

Au fil des albums, dont Super Tight… et Ridin’ Dirty, leur son du Sud conquiert un public de plus en plus large, damant le pion à des artistes installés sur la côte est ou la côte ouest. On parle alors de « Dirty South » pour désigner toute la musique produite dans les ex-états confédérés, où l’approche du rap est encore plus jusqu’au-boutiste qu’ailleurs. En émerge notamment, au Texas, le crew Blac Monks et leur disque Secrets of the Hidden Temple.

En 1999, l’un des empereurs du rap newyorkais a l’idée de franchir les frontières symboliques du rap U.S. : avec le tube Big Pimpin’, en featuring avec UGK, Jay-Z frappe un grand coup, créant le premier crossover entre côte est et sud. De l’autre côté des États-Unis, Dr Dre invite sur son classique 2001 un MC très en vue au Texas : Devin the Dude

Un style typiquement texan : le chopped & screwed

Dans les années 1990, Houston connaît une autre révolution rap, le « chopped & screwed », un genre musical à part, reposant sur le traitement sonore. Par des procédés de décalage temporel entre platines et de répétition de certaines mesures, les DJ locaux, dont le plus connu est DJ Screw, ralentissent le rythme du hip-hop et lui donnent un caractère planant, anticipant des genres comme la drill de Chicago ou la trap d’Atlanta.

Dès lors, les remix « chopped & screwed » ou « slowed & chopped » vont pulluler. Mais toute la scène locale va être influencée par ce son, faisant de Houston un nouveau laboratoire de la musique hip-hop aux États-Unis. Prolifèrent alors des artistes affiliés à cette déclinaison synthétique et curieuse du rap, d’E.S.G., Lil Keke, et Big Moe à des MC comme Trae tha Truth ou Z-Ro (qui formeront le duo ABN et publieront l’excellent It is what it is). En 2005, le rap texan explose d’ailleurs en empruntant largement aux pionniers du « chopped & screwed », avec les sorties de Peoples Champ par Paul Wall et d’Already Platinum de Slim Thug. Le genre sera également prolongé par Drake, sur son disque Take Care, très influencé par le son texan – son titre Under Ground Kings rend d’ailleurs hommage à Pimp C d’UGK. 

Le rap texan aujourd’hui : une scène innovante

Aujourd’hui encore, le rap texan continue de faire parler régulièrement de lui, au travers d’artistes associés à la géographie locale mais aussi d’activistes qui font de Houston et Dallas de véritables lieux à part de la création hip-hop américaine.

À la première catégorie appartiennent des artistes qui ont largement dépassé leur origine ou leur lieu d’enfance, s’installant souvent en Californie leur célébrité gagnée. Côté rappeuses, Lizzo a grandi à Houston et y a débuté le rap et le chant à l’adolescente. Plus ancrée dans la même ville, Megan Thee Stallion, concurrente légitime de Nicki Minaj ou Cardi B, a toujours reconnu l’influence d’UGK sur sa propre musique. Côté homme, c’est Travis Scottqui demeure le plus célèbre MC récent à avoir émergé du Texas, devenant rapidement une star sous le patronage de Kanye West. 

Chez les rappeurs qui ont gardé contact avec leur état d’origine, une certaine singularité texane apparaît. Ainsi, Post Malone, dès son disque Stoney, réussissait à mêler du rap, du R&B et de la country dans sa production, puis à intégrer des sonorités trap sur Hollywood’s Bleeding. Son nouvel album, Austin, annonce cette fois une envie de rendre hommage à la capitale du Texas.

D’autres interprètes majeurs du Texas ont émergé ces dernières années : Riff Raff, avec son rap parodique, les fans de trap Sauce Walka et Sancho Saucy (Sauce Twinz) ou encore le collectif expérimental Brockhampton, basé à San Marcos (entre Austin et San Antonio), dirigé par Kevin Abstract, prouve la diversité du hip-hop local.

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Article rédigé par
Mathieu M.
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