Décryptage

Notre-Dame de Paris : Frollo, le grand méchant prêtre

17 avril 2023
Par Melanie C.
Notre-Dame de Paris : Frollo, le grand méchant prêtre

Publié en 1831, Notre-Dame de Paris nous plonge au cœur du XVIe siècle entre la célèbre cathédrale et la Cour des Miracles. Un monde gothique, tout aussi flamboyant qu’obscur, s’offre à nous et Victor Hugo déroule sa galerie de personnages pittoresques, sublimes jusque dans leur noirceur. Quasimodo et Esméralda portent sur leurs frêles épaules toute la misère de ce monde, tandis que l’archidiacre Frollo, prêtre de la cathédrale, incarne la perversité et celui par qui tout le malheur arrive.

Notre-Dame de Paris ou le combat du Bien contre le Mal

Notre-Dame de Paris c’est le roman des opprimés. Les noms de Quasimodo et d’Esmeralda évoquent à eux seuls l’agonie de tout un peuple. Dans son récit romanesque et romantique Victor Hugo explore avec maestria la France du XVIème siècle et met en scène notamment le célèbre bossu au cœur tendre, sonneur de cloches de la cathédrale de Notre-Dame et la sémillante gitane Esmeralda. L’amour, la justice, la religion, la politique, autant de thèmes chers à l’écrivain engagé du XIXème se retrouvent au centre de cette fiction prodigieuse. L’occasion pour le romancier épris de justice sociale de faire éclater au grand jour les failles du monde médiéval.  Mais surtout de pointer du doigt celles de son époque, siècle tout aussi obscur et pavé d’injustices. A côté des figures des suppliciés, innocentes victimes sacrifiées sur l’autel de la société, il faut bien un très grand méchant pour appuyer là où cela fait mal. Dans Les Misérables, le contrepoint au destin de Cosette, Gavroche et Jean Valjean est magistralement incarné par l’implacable Javert. Ici, c’est Claude Frollo qui obtient cette faveur. A lui donc de se mettre au travers de la route du monstrueux bossu et de la belle bohémienne. Avec cruauté et panache. Mais qui est Frollo ? Et pourquoi est-il si méchant ?

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Frollo, l’homme d’Église érudit et charismatique

Victor Hugo fait naître Claude Frollo en 1446 dans une famille de petite noblesse qui le destine dès l’enfance à l’état ecclésiastique. Après de brillantes études dans un sinistre collège, il se retrouve à 18 ans, docteur des quatre facultés : théologie, droit, médecine et arts. A la mort de ses parents, victimes de l’épidémie de peste, Frollo, orphelin de 19 ans, prend alors sous son aile son jeune frère nouveau-né, Jehan et recueille un enfant abandonné et difforme de 4 ans, qu’il élèvera et nommera Quasimodo.

Rien de diabolique donc à l’origine chez ce jeune homme cultivé qui ploie très tôt sous le poids des responsabilités. Jusqu’à sa rencontre avec Esmeralda, il incarne l’être de raison et de droiture qui va remettre l’Église au centre de la ville. Il est cet alchimiste en quête d’absolu qui cherche en vain la réponse aux mystères de la vie. Mais avant de croiser le chemin de la belle gitane, il n’est que pur intellect. Chaste de corps, c’est son esprit qui bouillonne et s’élève dans les hautes sphères de la science, de la nature et du divin. On perçoit alors en lui sa convoitise, son désir d’absolu, ce que les Grecs anciens appelaient l’hubris, mélange d’orgueil et de démesure : lorsque les hommes, à l’image de Prométhée, veulent se comparer aux Dieux et en sont irrévocablement châtiés.

Frollo, le pervers narcissique ?

Avant même de basculer dans la folie et de devenir une sorte de prototype du pervers narcissique, c’est-à-dire avant d’apercevoir Esméralda, on sent pourtant déjà pointer en Frollo des fêlures. Froid et calculateur, cynique et sévère, il se montre volontiers manipulateur dans ses relations aux autres.  Avec son tout jeune frère Jehan et Quasimodo, il est dominateur et paternaliste. Il fait preuve vis à vis de ses élèves d’une sollicitude fragile qui semble se fissurer au moindre choc. Et à l’égard des plus petits, sa miséricorde apparaît bien souvent fallacieuse. La force que Hugo donne à son personnage, tant dans sa soif d’apprendre que dans son envie de posséder, cette force brutale qui l’habite à la fois dans son esprit et dans sa chair, cette volonté d’omniscience, d’omnipotence et d’omniprésence font de lui un personnage puissant mais aussi romantique. Passionné, se considérant lui-même comme malheureux et incompris, il cherche continuellement à travestir son égoïsme et à se donner l’apparence d’un personnage d’exception. Mais finalement, comme aucun de ses désirs ne trouvera de satisfaction, il se précipitera tout entier dans le drame.

À l’automne 1481, une jeune danseuse tsigane,  Esmeralda, vient faire voler ses jupes sur le parvis de Notre-Dame. Il en tombe amoureux. Il la veut. Pour se libérer de sentiments et de désirs physiques qu’il juge coupables, il fait interdire le parvis de la cathédrale à la jeune fille. Sans succès. Il tente de l’enlever avec l’aide de Quasimodo, mais elle lui échappe. Fou de rage et de jalousie -car elle convoite le cœur et le corps du beau Phoebus-, il la dénonce à la justice en l’accusant de sorcellerie. À plusieurs reprises, il tentera de violer la belle bohémienne. N’y parvenant pas, il la fera exécuter. Fin de l’histoire. Enfin, presque.

Le combat du bien et du mal comme moteur de l’action

Considéré comme l’un des méchants les plus mémorables de la littérature française, Frollo ne fait en réalité que représenter la nature humaine. Sublime et grotesque, noble et corrompue.  Sorte de Dark Vador gothique, il éprouve en son for intérieur le combat du bien et du mal. Sa dualité s’incarne dans son amour et son attirance pour Esméralda qui est en contradiction avec son engagement spirituel envers Dieu. Cette lutte acharnée entre sa nature d’homme et son aspiration divine le déchire et ne peut que précipiter sa perte et celle des autres personnages dans son sillage.

Le rôle -et la personnalité même- de Frollo est crucial pour l’intrigue du roman. Son amour et son obsession pour Esméralda l’aliène, le rend « autre ». Etranger à lui-même et aux autres. Il commence alors à la persécuter.  Mécanique profondément romantique que celle qui explore les thèmes de l’amour, de la passion et de la jalousie. Lorsque l’amour se voit repoussé, il conduit les hommes à commettre des actes terribles. En témoignent l’exécution d’Esméralda et la chute de Frollo, au sens propre et figuré.

A l’écran et sur scène : Frollo, le parfait méchant de Notre-Dame de Paris

Trois célèbres adaptations donnent une image plus ou moins fidèle du personnage de grand méchant qu’est Frollo.

Le film qui a connu le plus grand succès est Notre-Dame de Paris réalisé en 1956 par Jean Delannoy. Gina Lollobrigida y joue le rôle d’Esmeralda et Anthony Quinn celui de Quasimodo. Dans cette version, Frollo, interprété par Alain Cuny, n’est plus l’archidiacre de Notre-Dame mais on le voit en juge ou en alchimiste. Il semble vivre dans la cathédrale, agit en homme d’église, et s’habille pratiquement comme tel…  A l’origine, le scénario prévoyait qu’il soit prêtre mais en raison de la coproduction américaine (et de son très strict code Hays), il leur a été vivement conseillé d’oublier le sacerdoce. Certaines scènes du film où apparaissent Frollo ont même dû être tournées deux fois : le Frollo de la version américaine -qui passe sous silence son état ecclésiastique- n’a pas tout-à-fait les mêmes dialogues, ni les mêmes gestes que dans la version française ! Mais ce film reste sans doute le seul donnant à voir un Frollo qui s’est approché autant qu’il était possible de la véritable nature de son homologue littéraire.

Il en va tout autrement chez Disney. Dans Le Bossu de Notre-Dame, film produit en 1996, les différences vont bon train. Frollo devient une caricature de méchant et l’histoire prend une allure bien plus manichéenne, en lissant les personnages d’Esmeralda et de Quasimodo. Tout d’abord, Frollo est bien plus âgé que le personnage d’origine (36 ans dans le roman et la bonne soixantaine chez Disney). Il exerce la profession de juge et non de prêtre. Dénué de la moindre parcelle d’amour, il semble s’occuper de son prochain uniquement sous la contrainte. Enfin, il déteste tout particulièrement les gitans, qu’il pourchasse. Il devient ainsi le quasi-meurtrier de la mère gitane de Quasimodo. Envers Esmeralda, ce n’est jamais de l’amour qu’il ressent mais du désir physique, son esprit étant asservi à des pulsions incontrôlables. L’épilogue du dessin animé marque encore une différence de taille : il devient fou quelques minutes avant d’être précipité du haut des tours de Notre-Dame et il perd seul son équilibre, là où dans l’œuvre originale il était volontairement précipité par Quasimodo ! La complexité du personnage de Hugo est gommée au profit d’un personnage de méchant sans conscience. En effet, Frollo pense, tout au long du film, agir uniquement pour le bien commun, en débarrassant simplement le monde de ses parias.

En 1998, à l’occasion de la comédie musicale Notre-Dame de Paris de Luc Plamondon et Riccardo Cocciante, le personnage de Frollo renoue avec la complexité manifestée dans le roman. Il apparaît comme un personnage tourmenté, hanté par son amour interdit pour Esmeralda et sa lutte interne entre sa passion charnelle et son devoir envers l’Église. C’est le chanteur et acteur Daniel Lavoie qui prête sa voix et ses traits au sinistre archidiacre. Interprétation saluée par la critique et ô combien charismatique. Qui n’a pas eu en tête l’emblématique « Belle », ballade lyrique qui fait entendre son amour infini pour Esmeralda ? Ce morceau est d’ailleurs devenu l’un des plus populaires de la comédie musicale. Cette incarnation de Frollo est considérée comme l’une des plus réussies de toutes les adaptations du roman et a contribué à faire de ce personnage l’un des plus mémorables et fascinants de l’histoire.

Notre-Dame-de-Paris (2)

Article rédigé par
Melanie C.
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