Depuis la sortie d’Avengers Endgame, nous voyons poindre çà et là de multiples projets, bien souvent estampillés Marvel, placés sous l’égide d’un terme aussi prometteur que méconnu, le multivers. Au cinéma, la notion de multivers est connue depuis des décennies, alors pour quelles raisons devient-elle soudainement aussi populaire aux yeux du public ? C’est la question à laquelle nous allons tenter d’apporter quelques éléments de réponse.
Les débuts du multivers au cinéma
Aujourd’hui connu du grand public, le multivers est initialement un concept de physique théorique qui postule l’existence de plusieurs univers parallèles, chacun ayant des lois physiques et des constantes différentes. Cette idée fascinante a été explorée dans de nombreux films au fil des ans, offrant aux cinéastes la possibilité de créer des histoires uniques et captivantes.
L’un des premiers films ayant employé les possibilités du multivers dans son intrigue était The One de James Wong (2001) qui mettait en scène Yu-Law, agent de la MultiVerse Authority, chassant tous ses doubles à travers les différents univers parallèle, afin d’être l’unique lui. Depuis lors, de nombreux films ont exploré cette idée, notamment Mr. Nobody de 2009, qui raconte l’histoire d’un homme explorant les différentes possibilités de sa vie à travers des univers parallèles. Sans oublier d’autres grands succès du cinéma qui, sans aller jusqu’à explicitement citer le multivers, en ont exploité le concept, comme Interstellar de 2014, où les personnages voyagent à travers des trous de ver pour explorer des univers différents, ou plus particulièrement sa fin, qui tombe ostensiblement dans ce que permet le multivers.
Autre exemple plus récent et plus concret avec Spider-Man New Generation (ou Into the Spide- Verse dans sa version originale) de 2018 qui suit Miles Morales et ses voyages à travers les différents univers de la licence Spider-Man pour réunir une équipe de héros afin de sauver leur monde d’une menace mortelle.
Le multivers a également été exploré dans les séries télévisées, comme Fringe de 2008-2013, qui suit une équipe enquêtant sur des événements surnaturels liés à des univers parallèles, et Dark de 2017 à 2020, qui plonge les personnages dans une complexe histoire de boucles temporelles et de mondes parallèles. D’autres séries très connues ont également titillé les fibres du multivers dans certains de leurs épisodes, à l’image de Buffy contre les Vampires ou Smallville.
L’influence de la bande dessinée
On trouve aussi de nombreuses itérations du multivers dans la bande dessinée, notamment les comics qui ont toujours aimé jouer sur le grand nombre d’histoires créées au fil du temps pour les lier entre elles via des aventures exclusives. Parmi elles, il y a Les Légendaires de Patrick Sobral (2004), Spider-Verse de Dan Slott (2015) et DC Comics : Crisis on Infinite Earths de Marv Wolfma (1985), pour ne citer qu’elles, qui ont abordé le thème du multivers. Ces œuvres ont à leur tour permis de distiller les principaux éléments d’histoire basés sur des univers parallèles et inspirer les réalisateurs et scénaristes pour explorer cette thématique dans les films d’aujourd’hui. Notamment par le biais d’adaptation, comme ce fut le cas pour Spider-Man New Generation.
En utilisant le concept de multivers, les cinéastes peuvent explorer des idées passionnantes et mettre en scène des histoires uniques qui captivent les spectateurs.
Les précurseurs des années 90
Si nous pouvions aller plus loin dans l’appréciation du multivers dans la culture populaire, il ne serait pas hors de propos de penser que des films comme Retour vers le Futur ou Terminator, ainsi que des séries telles que Doctor Who, qui voyagent entre différentes temporalités, peuvent être considérées comme des précurseurs du concept de multivers tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Les films de voyage dans le temps ont souvent exploré les idées de réalités alternatives et de choix qui entraînent des conséquences sur la trame temporelle. Ces films ont donc pu jouer un rôle dans la popularisation de ces idées auprès du grand public. Ils ont posé les bases de l’utilisation de ces concepts dans les films de science-fiction, et ont inspiré les cinéastes pour les explorer dans les films actuels.
Le multivers dans la tendance du cinéma actuel
Le gain d’intérêt croissant pour le multivers, en dehors des récents films Marvels ayant grandement popularisé le thème, peut aussi provenir d’une tendance actuelle du cinéma blockbuster visant à aller toujours plus loin dans l’exploitation des possibilités narratives. En effet, loin des films au schéma narratif vu et revu, le multivers permet de transcender le champ des possibles en termes de narration, afin d’explorer et d’utiliser de nouvelles temporalités. Fini l’archétype du héros unique, désormais, ce n’est plus un, mais trois Spider-Man que nous avons dans No Way Home, et six dans New Generation. De même pour les autres héros, trois Doctor Strange, deux Thor, plus et toujours plus. Voilà le principal atout du multivers, la démesure narrative, la surenchère de références et la réalisation de fantasmes aussi dantesques qu’improbables, sans que cela ne soit incohérent ou exagéré puisque c’est le principe même du multivers.
Multivers, allié de la nostalgie ?
De plus, cela entre également en résonnance avec une autre tendance du cinéma très grand public, à savoir un sentiment de nostalgie. Depuis bientôt 10 ans, nous pouvons observer une tendance nostalgique dans le cinéma actuel, avec de nombreux films qui revisitent des franchises populaires d’il y a plusieurs décennies. Les exemples sont légion : Star Wars, Les Indestructibles, Jurassic World, Terminator, Toy Story, Matrix ou prochainement Indiana Jones. Cette tendance peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Tout d’abord, les franchises populaires d’antan ont généralement un grand nombre de fans fidèles désireux de revoir leurs personnages préférés à l’écran. Les studios peuvent donc compter sur un public déjà existant pour leurs nouvelles productions. Lesdites franchises peuvent aussi compter sur un univers riche et développé, qui offre un terrain fertile pour de nouvelles histoires. De cette façon, les studios peuvent utiliser cet univers pour créer des suites, des préquelles ou des spin-offs. Sans omettre les possibilités techniques, avec des technologies qui ont elles aussi considérablement évolué ces dernières années, permettant de créer des effets visuels plus réalistes et plus impressionnants. Les studios peuvent ainsi réaliser des versions modernes de ces franchises, qui peuvent attirer les spectateurs. Cela se confirme notamment par la recrudescence de remakes de la part de grands studios comme Disney, avec le Livre de la Jungle, La Belle et la Bête, Aladdin, ou Le Roi Lion. Enfin, d’un point de vue plus rationnel, il est certain que les studios cherchent souvent des projets qui ont déjà une base de fans et une notoriété établie pour éviter les risques commerciaux.
Le concept de multivers peut ainsi être utilisé pour explorer des idées liées à la nostalgie dans les films actuels. En utilisant le multivers, les cinéastes peuvent faire revenir des personnages ou des acteurs populaires qui ont joué un rôle important dans des franchises passées, tout en offrant des histoires originales.
Dans le cas de Spider-Man: No Way Home, le multivers permet de faire revenir des acteurs de différentes versions de Spider-Man dans les films passés, tout en offrant une histoire originale qui relie ces différents univers. De même pour Doctor Strange 2, qui profite du multivers pour faire revenir d’autres acteurs de licences différentes, comme Charles Xavier (joué par Patrick Stewart) ou Mr Fantastique (joué par John Krasinski) dans l’unique but de satisfaire les fans. Cela permet de combiner la nostalgie liée à ces personnages avec une histoire séduisante pour le public.
Il est également possible de voir cette tendance appliquée de manière différente dans d’autres films comme la dernière trilogie Star Wars, où chaque film repose sur la présence d’une grande figure de la trilogie originale, Terminator : Dark Fate ou Jurassic World : Dominion, qui reprennent des éléments de films précédents tout en proposant une histoire originale. Bien que l’on ne puisse pas, à proprement parler, affirmer que ces films utilisent la thématique du multivers, la finalité de mélanger l’ancien au nouveau est belle et bien présente.
Une utilisation ambitieuse ou paresseuse
En somme, le concept de multivers permet de combiner la nostalgie avec des idées originales, tout en donnant la possibilité aux cinéastes de réunir des personnages et des acteurs populaires dans de nouvelles histoires. Cependant, il est important de noter que l’utilisation de ce concept dépend de la créativité et de la qualité de la réalisation pour que cela soit réussi. En effet, de récents projets ont prouvé qu’il était possible d’utiliser le multivers, sans pour autant tomber dans le fan-service comme ont pu le faire Spider-man No Way Home ou Doctor Strange in the Multiverse of Madness. Le dernier exemple en date est bien évidemment le chef d’œuvre des Daniels avec Everything Everywhere All at Once, où les possibilités du multivers sont exploitées de manière pertinente dans l’unique but de servir un scénario original lui-même au service d’un spectacle grandiose.
Il en va de même pour la suite du sublime Spider-Man : New Generation qui, en 2018, avait frappé un grand coup dans le monde de l’animation. Spider-Man : Across the Spider-Verse, prévu pour mai 2023, semble à son tour utiliser le multivers sous ses formes les plus créatives et audacieuses. Cette fois, Miles Morales devra s’aventurer au sein du Multivers et rencontrera de nouveaux Spider-man et d’autres héros, ce qui promet un spectacle encore plus épique, original et ambitieux que le volet précédent. Si davantage de projets empruntent cette voie, il se peut que nous ayons à l’avenir droit à des films de plus en plus novateurs dans l’utilisation du multivers !
Il est néanmoins difficile de savoir si la notion de multivers saura se maintenir sur le long terme dans le monde du cinéma contemporain, car il est aussi bien un outil permettant d’assouvir les idées les plus extravagantes qu’une possibilité offerte aux cinéastes pour créer des histoires au potentiel presque infini. Seul l’avenir nous dira comment le septième art va se servir de ce nouvel outil, pour le moment encore trop cantonné aux projets d’action de grandes envergures, bien que d’autres œuvres, notamment des séries, expérimentent encore ce vivier de récits.
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