Ces personnages ont changé l’image de la femme au cinéma. Elles ont marqué les esprits par leur singularité, leur courage, ou encore leur charisme. Nous revenons aujourd’hui sur le personnage de Scarlett O’Hara d’Autant en Emporte le Vent. Elle ne nous a pas forcément inspiré sympathie ou idéalisation, mais sa personnalité étonnante et inqualifiable nous pousse au décryptage. En cela, elle est une vraie héroïne du cinéma, moderne pour son temps, mais loin d’être morale.
Qui est Scarlett O’Hara ?
Scarlett O’Hara est le personnage principal d’abord du roman de Margaret Mitchell Autant en Emporte le Vent, puis de son adaptation au cinéma par Victor Fleming où elle est interprétée par Vivien Leigh. Issue d’une famille richissime propriétaire de la plantation Tara à Atlanta (EU), on suit son destin évoluer au cours de la guerre de Sécession. Ce cadre est très fort, et permet de donner à l’œuvre ainsi qu’à ses personnages une grande part de symbolique. Derrière une histoire aux aspects romantiques mis en avant, Scarlett n’est pas l’héroïne la plus morale, son nom rappelle l’opportunisme et le profit malhonnête, la rendant en quelque sorte icone de la devise utilitariste la fin justifie les moyens. Bien que souvent irritante, capricieuse, voire même vicieuse, Scarlett possède une personnalité fictive complexe et finement élaborée, qui la place légitimement parmi les héroïnes du cinéma. Elle sera à jamais figure de l’arrivisme à l’américaine, pour le meilleur, mais aussi le pire.
Séductrice intéréssée
Scarlett est au début de l’œuvre, une fille de 18 ans gâtée par ses parents. Elle grandit dans le confort comme enfant chéri de grands propriétaires de terres : des servantes l’habillent et la coiffent, ses souliers sont si délicats qu’elle ne marche pas avec, elle est toujours coquette et a un goût prononcé pour les choses très tape à l’œil. Tout au long du film, sa toilette est toujours présentée comme une priorité dans son quotidien, du moins comme une routine essentielle à son bien-être. À la suite de la mort de son premier mari Charles (joué par Rand Brooks), elle trouve occupation dans la recherche de nouvelles coiffures et invente la fameuse technique de rouleaux « les chats, les rats et les souris ».
Attentive à chaque détail de son image, le roman comme le film est un véritable carnet de ses astuces beauté : entre la gelée de coing qui lisse les cheveux, la peinture à joues qui donne bonne mine ou encore les touches d’eau de Cologne, on voit que la jeune fille est confiante dans le fait qu’il est utile et impératif de bien s’apprêter. En effet, cette apparence soignée et mise en avant (sa servante s’inquiète même que ses joues ne soient trop maquillées) est un instrument pour atteindre ses objectifs bien calculés. Qu’on parle de ses robes aux mille et un détail (jugées de mauvais goût par Rhett son dernier mari, joué par Clark Gable) qui l’aident à prouver son rang social et impressionner, ou bien de son maquillage qui est utilisé (avec succès) pour séduire Frank Kennedy, riche propriétaire avec lequel elle veut se marier pour son argent, on comprend bien qu’elle maîtrise l’art du charme et qu’elle joue de son image pour parvenir à ses fins. Motivée par l’intérêt personnel tout en étant obsédée par ce que les gens pensent, elle veut être admirée et briller, elle instrumentalise donc son apparence pour son propre confort, sans hésiter à se servir des autres.
Moderne, malgré-elle
On le redit, mais Scarlett vit pour prouver aux autres qui elle est et ce qu’elle a. C’est intéressant car cela crée un contraste avec le fond de son tempérament, qui apparait souvent très indifférent et libéré de préoccupations, parfois pourtant importantes. Cette étonnante manière de prioriser sa vie fait d’elle un personnage tiraillé entre deux mondes, sans autre idéologie que celle d’amasser le plus d’argent que possible. Elle vient du sud, où les codes traditionnels sont impitoyables, et elle donne tout pour être acceptée et bien vue de son entourage. Seulement, elle ne peut s’empêcher d’aimer le luxe, et la guerre ayant ruiné ses parents, elle se retrouve contrainte de se réenrichir par ses propres moyens. C’est alors cette faim d’argent, cette grande sensation de manque de biens matériels qui provoquent en elle le goût du travail.
Quand elle décide de reprendre en main la plantation, elle manie bien les affaires, et se présente comme une femme moderne, de pouvoir et indépendante. Seulement, cela est aux dépens de son sens des relations sociales et d’empathie : que ce soit pour comprendre l’amour que Rhett lui porte, ce qu’elle ressent pour Ashley (Leslie Howard) ou bien pour se sentir proche de ses enfants, elle semble souvent dépourvue de douceur et d’intelligence, de lucidité émotionnelle. Elle est très pratique, ce qui est aussi une rupture avec les codes traditionnels de la femme classique, maternelle et rêveuse. Scarlett ne se préoccupe pas de ce qui ne l’intéresse pas, on retient sa fidèle devise « j’y penserai demain ». Pensant à sa sécurité et son confort matériel avant tout, qu’elle parvient toujours à assurer que ce soit en travaillant ou en se mariant, elle brise les codes, malgré-elle.
Une version féminine de Gatbsy ?
En effet, son opportunisme est affirmé par ses choix de vie, orientés uniquement par le profit : tant qu’il y en a, tout est acceptable ! Des actes esclavagistes en passant par des trahisons et manipulations multiples, sa réflexion ne va pas vraiment plus loin que l’intérêt personnel matériel. Son style de vie n’est enrichi ni par de grandes amitiés, ni par sa vie de famille, et en cela, elle paraît presque masculine, même sa routine beauté est en fait intéressée et calculée. Une absence de passions authentiques pour un personnage aux allures pourtant sophistiquées ? L’art de la compensation de sa peur de la misère, peut-être les restes des ravages de la faim qu’elle a connu. Ou peut-être une âme beaucoup moins délicate finalement. Une Gatsby femme ? Presque, sans le goût de la fête.