Les cinq coups de cœur des cinq chemins : celui d’un deuil, de l’exil, de la religion, de l’identité et du « patriotisme ». Au travers de ces différents romans, un même univers subsiste, celui d’une construction de soi. À lire absolument !
Les 5 coups de cœur
de Marie-Pierre T. (Issy les Moulineaux)
Le drap blanc de Céline Huyghebaert
Pour Céline Huyghebaert, il est manifestement douloureux et impossible de faire le deuil de son père Mario, décédé six ans plus tôt. Elle ne peut se résigner à l’absence de ce père alcoolique et distant, à la disparition de cet homme qu’elle a besoin de connaître mieux. Elle affirme ne rien savoir de l’homme qu’il a été, de son enfance, de son existence avant sa naissance et celle de ses sœurs. Elle décide alors de procéder à des entrevues avec ceux qui l’ont connu : sa mère Christiane, la femme délaissée qui a fini par le quitter, son meilleur ami Philippe, ses deux sœurs Christelle et Elodie ; entrevues destinées à recueillir des souvenirs, des bouts de vie d’un père auquel elle n’a pu dire au revoir. Car en réalité, si elle ne peut se résoudre à sa mort c’est parce qu’elle est en colère, une colère déraisonnable et aveugle contre tous et surtout contre elle-même d’être arrivée trop tard et de n’avoir pu voir une dernière fois son père vivant. Le drap blanc est un roman très intime qui traite de la douleur de la perte d’un père et de la culpabilité qui ronge Céline de ne pas être arrivée à temps. Alors, elle couche tout sur le papier, comme une thérapie et avec ce besoin d’écrire pour guérir de cette perte.
Sujet à la fois intime et universel de la difficulté de faire son deuil d’un père. C’est aussi un roman original dans sa construction alternant récit, dialogues et imaginaire fantasmé de ce qui aurait pu se produire. Très réaliste, plein de pudeur, de tristesse et de colère, c’est un joli texte qui renvoie à son propre chagrin. Bouleversant.
Mer Méditerranée de Louis-Philippe Dalembert
Trois femmes d’origine, de condition et de religion différentes se retrouvent à leurs risques et périls sur le chalutier censé leur permettre de franchir la méditerranée pour rejoindre l’Europe, terre de richesses et de liberté qui leur permettra d’accéder à une vie nouvelle. L’une d’elles est Chochana, jeune nigériane de confession juive contrainte à l’exode en raison de la sécheresse et de la pauvreté qui ravagent son pays. Elle rencontre la deuxième à Sabatha, à 70 kilomètres de Tripoli, capitale libyenne, dans un entrepôt de femmes. Comme elle, Semhar, une érythréenne qui a déserté un pays de dictature, est obligée de travailler et de subir les pires sévices et humiliations pour obtenir le prix du trajet exigé par des passeurs violents et abjects. Elles embarquent enfin sur le chalutier où se trouve également Dima, riche syrienne qui fuit un pays frappé par la guerre dans l’espoir de permettre à ses filles de grandir en Angleterre. Toutes trois se retrouvent sur ce bateau de l’espoir et de la mort au milieu de plus de sept cents migrants venus d’Afrique subsaharienne, du Maghreb et du Moyen-Orient avec le fol espoir de goûter à une vie meilleure.
Mer Méditerranée de Louis-Philippe Dalembert est un roman d’une criante vérité qui rend compte des raisons diverses et variées qui conduisent des femmes et des hommes à vouloir fuir leur pays rêvant d’un ailleurs loin de la misère, de la guerre ou de la violence. Récit d’une authenticité bouleversante dans la narration poignante des conditions de voyage et d’errance à la merci de passeurs sans vergogne jusqu’à l’ultime traversée dans des conditions inhumaines, indignes et insoutenables. Ce roman constitue un portrait de trois femmes animées par la volonté farouche de quitter leur pays respectif pour rejoindre une Europe rêvée ; un récit poignant sur la migration et sur le chemin de l’exil.
Un livre de martyrs américains de Joyce Carol Oates
Dans une petite ville de l’Ohio devant le centre des femmes le 02/11/1999, Luther Dunphy tire sur le Docteur Augustus Voorhes et sur son garde du corps. Couvreur charpentier de profession, marié et père de cinq enfants, Luther Dunphy se dit être élu par Dieu et par conséquent investi de la mission de tuer le médecin avorteur Voorhes afin de défendre les enfants à naître. Membre de l’Armée de Dieu, fervent chrétien, il dit agir au nom du Seigneur pour le droit à la vie. À la suite d’un double procès, Dunphy est condamné à mort par injection létale. Edna Mae, l’épouse de Dunphy, déjà dépressive va voir son état s’aggraver au fil des années. Jenna, l’épouse du médecin assassiné, sera alors incapable de faire face à la mort de son époux et abandonnera ses enfants. Mais quelles seront les conséquences de la disparition de ces deux hommes pour leurs enfants respectifs ? Quel traumatisme auront ces pertes sur la vie des enfants de chacun d’eux et plus précisément sur Dawn Dunphy et sur Naomi Voorhes ? Elles essayeront de se construire un avenir dans le souvenir de leur père, dans le seul but de leur rendre hommage.
Un livre de martyrs américains de Joyce Carol Oates est un roman qui aborde avec intelligence, ferveur et objectivité un thème passionnant qui divise l’opinion publique. L’auteur dépeint au-delà de l’acte et de ses motivations les conséquences qui en découlent sans jugement, sans prendre parti, mais en incitant le lecteur à s’interroger. En nous livrant les points de vue des différents protagonistes l’auteur dresse un portrait d’une Amérique puritaine dont les faits et gestes sont dictés par des convictions religieuses ou morales discutables. À lire absolument.
La nuit des lucioles de Julia Glass
Kit, professeur d’histoire de l’art au chômage, se laisse doucement dériver vers la dépression. Époux fragile et passif, père aimant mais distrait, la quarantaine menaçante et l’envie de rien, il n’a plus goût à grand chose. Persuadée que son mal-être provient de l’ignorance de ses origines paternelles, Sandra son épouse, lasse de la situation et autoritaire, lui enjoint de se mettre à la recherche de celui qui fût son père. La mère de Kit, Daphné, refusant d’aborder le sujet, il part interroger Jasper, l’homme qui l’a élevé et véritablement aimé le temps de son mariage avec Daphné. À partir de cet instant, Kit, à l’instar du lecteur, se trouve plongé dans son histoire, dans la quête de l’homme grâce auquel il est en vie. Cette quête est en réalité le moyen génial et envoûtant de découvrir non seulement la jeunesse de Kit mais également l’histoire de Daphné et de celui dont elle est tombée amoureuse et qui fût le père de Kit Malachy.
De manière subtile, ménageant les surprises et les révélations, c’est un véritable plongeon au cœur d’une famille ordinaire, recomposée et pleine de mystères. De façon magistrale, Julia Glass dépeint les atmosphères familiales s’immisçant dans le quotidien de ses héros ordinaires soumis aux joies comme aux pressions quotidiennes. Enfin, c’est avec un réel bonheur que le lecteur retrouve des personnages forts ou secondaires mais tout aussi attachants du roman Jours de juin. Alors, pour les fans, La nuit des lucioles est incontestablement le roman à lire après avoir savouré Jours de juin !
La goûteuse d’Hitler de Rosella Postorino
Combler sa faim sous la menace… À l’automne 1943, Rosa, jeune berlinoise de 26 ans, mariée à Gregor et installée avec lui chez les parents de ce dernier, Herta et Joseph en Prusse Orientale, est recrutée par les SS pour devenir une goûteuse d’Hitler. Au même titre que ses comparses (elles sont dix au total), Rosa est tenue de goûter chaque met cuisiné pour le Fürher avec le risque rivé au corps et à l’âme de mourir empoisonnée à chaque bouchée. Si elle sait que travailler pour Hitler, lui sacrifier sa vie, est le sort de tout allemand, il lui semble tout de même singulier et particulièrement inquiétant de le faire en mangeant. Au fil des semaines, elle se lie d’amitié avec les autres jeunes femmes soumises au même traitement dont Leni, Heike et l’étrange Elfriede. Rosa partagera de nombreuses épreuves auprès d’elles, guettera le retour de son mari, connaîtra l’amour au péril de sa vie et de la honte et apprendra le sort réservé aux juifs.
La goûteuse d’Hitler de Rosella Postorino est le roman d’une vie atypique, celle d’une femme en perpétuel danger de mourir. De façon non linéaire et originale, le lecteur découvrira que la peur ne cessera jamais de quitter Rosa et que sa faim ne pourra jamais être comblée.