Critique

Une brève histoire du féminisme avec Gloria Steinem

27 mars 2019
Par Juliette1
Une brève histoire du féminisme avec Gloria Steinem

Gloria Steinem, visage de la deuxième vague du féminisme américain des années 60, est encore méconnue en France. À travers Actions Scandaleuses et rébellions quotidiennes et Ma vie sur la route, le public français fait connaissance avec cette journaliste et activiste qui a tant fait pour l’émancipation des femmes.

Figure de proue du mouvement américain de libération des femmes

Sa célébrité aux États-Unis n’est plus à faire : ce visage souriant mangé par des grandes lunettes a profondément marqué le mouvement féministe américain. Gloria Steinem est née en 1934 à Toledo, d’une mère aspirante journaliste et d’un père instable financièrement. D’abord connue pour ses activités de journaliste, elle se fait un nom en publiant en 1963 l’article « J’ai été une Playboy Bunny » dans Show Magazine, une enquête sur les conditions de travail des Playboy Bunnies, les employées au costume de lapin sexy engagées dans les clubs de Hugh Hefner. C’est le point de départ de sa prise de conscience féministe : les comportements sexistes et humiliants des clients lui ouvrent les yeux sur la condition des femmes. « Toutes les femmes sont des Bunnies », ajoute-t-elle à son article en guise de post-scriptum en 1995. Progressivement, Gloria Steinem devient activiste, conférencière et community organizer (personne qui mobilise et coordonne un groupe pour l’aider à défendre ses intérêts).

Son militantisme au féminin a essaimé dans tous les États-Unis, porteur d’espoir pour nombre de communautés minoritaires. Gloria Steinem est ce qu’on appelle aujourd’hui une féministe intersectionnelle : sa lutte pour l’égalité ne concerne par seulement les femmes, mais aussi les Afro-américains, les Amerindiens et toutes les minorités opprimées. Elle a lutté avec autant de ferveur pour les droits des hôtesses de l’air que pour la reconnaissance des peuples indiens ou encore le droit à l’avortement. Elle défend l’idée que le féminisme est avant toute chose un humanisme fondamental.

Gloria steinem

Le féminisme de l’expérience  

Si Gloria Steinem ne jouit pas en France de la notoriété qu’elle mérite, c’est qu’il a fallu attendre 2018 pour que les éditions du Portrait publient une traduction de ses écrits. Actions Scandaleuses et rébellions quotidiennes est une anthologie de 26 textes écrits d’une plume fluide qui alterne habilement entre gravité et humour. L’auteure a le sens de la formule, ce qui rend la lecture poignante et incite à la réflexion. Profondément ancrée dans son temps, Gloria Steinem s’est efforcée de rendre hommage aux femmes : en célébrant la diversité des corps dans « En éloge au corps des femmes », ou bien en tirant le portrait de femmes célèbres (Marylin Monroe, Patricia Nixon, Linda Lovelace, Jackie Kennedy, Alice Walker). Le livre comporte ses textes les plus célèbres : « Si les hommes avaient leurs règles », réflexion brillante sur la dévalorisation des menstruations, « Si Hitler était vivant, de quel côté serait-il ? », comparaison virulente entre les militants anti-avortement et l’idéologie nazie, ou encore « Érotisme et pornographie », un texte qui établit savamment la différence entre les deux termes.

Polémiques, ces écrits ne laissent pas indifférent puisqu’ils s’appuient tous sur une expérience vécue ou sur des témoignages. Gloria Steinem a construit sa pensée féministe au contact et à l’écoute des autres, en regard avec les persécutions dont elle a elle-même été victime au cours de sa carrière de journaliste, ou tout simplement en tant que femme dans son quotidien. Riche en références et en études scientifiques, cette anthologie ouvre les yeux des lecteurs sur les inégalités de la vie courante que la société patriarcale perpétue. 

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Le féminisme appliqué

L’actualité de Gloria Steinem, qui a maintenant 85 ans, c’est la parution française en 2019 de son autobiographie : Ma Vie sur la route, Mémoires d’une icône féministe chez Harper Collins. Si Actions Scandaleuses était une anthologie d’articles, Ma Vie sur la route est une anthologie d’expériences. L’activiste raconte son enfance sur les routes, entraînée par un père qui ne tenait pas en place, sa mère dépressive, et son déclic féministe, ainsi que les multiples rencontres qui lui ont succédé. L’une des étapes symboliques qui l’a menée au féminisme est un voyage en Inde, pendant lequel Gloria Steinem a compris l’importance des groupes de paroles, mais aussi la conférence nationale des femmes à Houston en 1977 qu’elle a contribué à organiser, et qui a prouvé la capacité des femmes à organiser des mouvements d’une telle ampleur et la puissance de la sororité. Entre temps, la journaliste avait co-fondé Ms. Magazine, un mensuel militant et féministe, avec l’avocate Dorothy Pitman Hughes, qui a été responsable d’une prise de conscience féministe pour de nombreuses femmes.

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Au cours de ses pérégrinations, Gloria Steinem croise la route de Martin Luther King. Elle assiste notamment au célèbre discours prononcé lors de la marche d’août 1963 à Whashington. Elle rencontre également bon nombre de célébrités politiques de l’époque (candidats, députés, journalistes). Mais ce qu’il faut retenir de Ma Vie sur la route est cette galerie de portraits féminins et masculins, anonymes ou pas, opposants ou convaincus. L’auteure a sillonné son pays, s’efforçant de discuter avec toutes les personnes rencontrées : chauffeurs de taxi, hôtesses de l’air, routiers, bikers, ouvriers, etc. Son regard humble et sa pensée claire se sont aiguisés à l’aune de ces rencontres fortuites. 

« Si on veut être écouté, il faut écouter. 
Si on espère que les autres vont changer leur façon de vivre, il faut savoir comment ils vivent. 
Si on veut être vu, il faut regarder les gens dans les yeux. »

À cette éthique de la discussion, l’auteure ajoute une véritable philosophie de la route : ne s’installer nulle part pour être toujours disponible à l’aventure. Son cheminement intellectuel se double d’une lente progression vers la prise de parole engagée : Gloria Steinem avait, pendant de longues années, très peur de s’exprimer en public ; elle est devenue la militante féministe la plus citée des États-Unis. Son parcours multicolore l’a menée de pow wow (célébrations nord-amérindiennes) en campus universitaire, lui enseignant l’art de la répartie afin de faire taire les esprits chagrins : « si on me traitait de lesbienne – à cette époque, une féministe célibataire était nécessairement lesbienne – , je disais simplement : « Merci ». »

Postérité : vigilance féministe

Emma Watson, Lena Dunham, Jennifer Lopez, Christiane Taubira… toutes ces femmes ont en commun de se référer régulièrement à Gloria Steinem. Elle est une personne qui rassemble, et dont la lutte n’a pas d’âge. Actions Scandaleuses et Ma Vie sur la route transmettent un message d’espoir et d’optimisme. L’auteure a dédié sa vie à sensibiliser la population de son pays, et sa patience et sa perséverance infinie lui ont été rendues au centuple : l’autobiographie aurait pu s’intituler Ma Vie sur la route ou comment continuer à croire en l’humanité, tant elle est pleine d’exemples de gentillesse gratuite et de gestes altruistes qui ont ponctué sa route. La lecture de ces deux ouvrages suscite de l’admiration pour cette femme combative, mais aussi de l’émotion. Toutes les actions auxquelles la militante a participé allument une lueur d’espoir : la force d’un groupe est immense lorsqu’il s’affranchit d’une logique hiérarchique mortifère. Mais le plus grand enseignement de Gloria Steinem est que le sexisme est systémique et qu’il se combat dans toutes les situations, même les plus anodines – il ne faut donc pas relâcher sa vigilance !

Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir

L’une des lectures fondatrices citées par Gloria Steinem est bien sûr Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. Publié en 1949 en France, il n’a été traduit aux États-Unis qu’en 1953 mais a eu un impact retentissant pour le mouvement féministe américain. La grande philosophe a conçu son ouvrage à partir de son expérience, elle analyse l’éducation spécifique délivrée aux femmes et la rend responsable de l’inégalité des sexes. « On ne naît pas femme, on le devient », et pour choisir celle qu’on veut devenir, Simone de Beauvoir insiste sur deux combats majeurs à mener : le droit à l’avortement et le droit au travail. Gloria Steinem se fait la digne descendante de la philosophe puisqu’elle a dédié sa vie à ces luttes. 
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Paru le 17 mai 2018 – 426 pages

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Paru le 6 mars 2019 – 416 pages

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