Lars Von Trier : nom peu commun Danois définissant un réalisateur, scénariste et producteur, de renommée mondiale. Certains prennent peur, d’autres sont fascinés, de son cinéma qui ne laisse pas indifférent. À l’occasion de la sortie DVD de The house that Jack built, on a essayé de décrypter pour vous l’essence même de son œuvre, pour le moins singulière.
Un univers bien à part
Reconnu depuis sa trilogie Cœur d’or, composée de Breaking the Waves (1996), Les Idiots (1998), et Dancer in the Dark (2000), le cinéma de Lars Von Trier n’a cessé de nous surprendre. Bien plus que de simples films, il s’agit souvent d’une expérience dérangeante et malsaine dont on ne sort pas indemne (surtout après ces 3 films). Un univers inclassable, au même titre que Gaspard Noé ou Terrence Malick, dont le cinéma est tout aussi controversé. Celui de Lars Von Trier pourrait s’apparenter au mélange des deux (entre autres). Avec pour trame et propos, la religion, la sexualité et la repentance. Une ligne de conduite jusqu’alors jamais déviée, même dans son dernier film, The house that Jack Built, qui pourtant sur le papier a tout l’air d’une simple histoire de tueur en série. Mais c’est là tout l’Art de Lars, qui ne fait jamais dans la banalité. Son sujet est aussi simple que son approche est complexe. Il profite de notre naïveté pour contrecarrer sans cesse son besoin presque compulsif de détourner son film en le plongeant dans un abîme plus profond que son simple propos.
Un acte de foi
Pour chacun de ses films, on retrouve un découpage en chapitres, et une religion et une spiritualité ultra présente. Comme une réécriture de la bible en mode introspection, à sa façon. Même dans des films qui a priori n’ont pas lieu d’être, je pense notamment à Dogville (2003), qui reste pour ma part, une création absolument admirable tant sur le fond que sur la forme. Rien que le titre fait évidemment penser au chien de la ville, image symbolique du film, mais on pense aussi à Dogme, « doctrine, vérité fondamentale et incontestable, notamment dans la religion ». Un film qui provoque jusqu’au bout la vérité de Grace (Nicole Kidman) et les habitants de Dogville. Le décor inexistant du film, dessiné en plan d’architecte, sur le sol, comme un seul chemin tout tracé. Pas besoin de chercher plus loin, la destiné de sa protagoniste n’a guère besoin de hasard. L’histoire d’un droit de passage dans une réalité qui n’existe pas. Une abstraction par la mise en scène et une recherche de vérité qui passe par des rites de passages. L’Acceptation de l’autre, lui donner sa chance, apprendre à aimer sans connaître et faire confiance. Puis arrive le moment du chantage affectif, de la trahison et enfin, de la vengeance. Autant de points spirituels abordés dans ce film que dans tous les autres.
Des films qui font réfléchir
Si l’on regarde de plus près, on retrouve dans chacune de ses œuvres un schéma commun, du noir et du blanc, du bien et du mal, de deux contraires qui s’attirent et ne forment plus qu’un. Il y a toujours une réponse à son questionnement. Lars Von Trier est connu pour ses épisodes psychologiquement fragiles, on ne peut donc s’empêcher de penser que toute son œuvre est comme une autobiographie, où chaque film représente une partie de lui, et par-là même, une thérapie. C’est peut-être pour cela que chaque film est abouti, et ne laisse jamais en suspens. Il a besoin de clôturer chacun de ses films comme un chapitre de sa vie. À chaque névrose, un film, et à chaque film, une médication.
Dans Nymphomaniac (2013), une jeune femme à la sexualité banalisée, se demande si au fond, le sexe c’est mal. Elle se remémore toutes ses expériences sexuelles sous forme de journal intime à pages ouvertes, sans tabou. Un film en deux parties qui rappelle sans équivoque Love de Gaspard Noé (2015). Mais le sexe faisant partie de la plupart de ses films, et de la vie de tous, c’est peut-être son oeuvre la moins intéressante. Il a néanmoins réussi à provoquer de nouveau l’industrie du cinéma, par l’authenticité des personnages et sa mise en scène.
Dans Melancholia (2011), alors qu’un mariage se prépare, la planète Melancholia choisit ce jour pour entrer en collision avec la terre et mettre à néant tout ce bonheur et tout espoir futur. Dans l’inconscient collectif, le mariage est signe de belle journée, et pour certains la plus belle de toutes, pour Lars Von Trier, rien n’est plus heureux qu’une journée qui se termine par la fin du monde. Une réalité et une conception de l’humanité qui touchent les protagonistes de plein fouet mais avec une grande sérénité. Comme une abnégation inévitable que ce qui restera du l’univers, s’il en reste quelque chose, sera bien mieux ainsi.
Son œuvre la plus marquante, la plus dure à regarder et sûrement la plus controversée, est sans aucun doute Antichrist (2009). D’une extrême violence, tant psychologique que physique, il faut à coup sûr avoir le cœur bien accroché pour voir ce film à la limite du regardable. Un film qui met en garde contre l’auto analyse, ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il est fortement déconseillé d’analyser un membre de la famille ou un de ses proches. L’objectivité étant souvent mise de côté pour des raisons évidentes. S’y adonner ne fait que précipiter le sujet analysé vers une descente aux enfers brutale et souvent sans retour. Et quand on est sérieusement atteinte comme l’est Charlotte Gainsbourg, autant dire que Willem Dafoe va vite regretter son erreur, qui va petit à petit se retourner contre lui. Encore une fois, le film est à double lecture : pendant que sa femme sombre de plus en plus dans la folie, le deuil de leur enfant, lui, s’éclaircit. Un film sur la culpabilité, le remord, appuyé par des punitions corporelles que l’on pourrait comparer à de la torture porn, mais sans gratuité aucune. Dans les films de Lars, tout est réfléchi, il y a toujours une approche psychologique derrière, en demande de rédemption et de pardon d’un être supérieur.
Vous l’aurez bien compris, le cinéma de Lars Von Trier, n’a rien d’une promenade de santé. Il n’a pas la prétention de plaire à tous, mais dans son approche psychologique, il nous fait réfléchir, et nous perturbe dans notre questionnement existentiel. Et c’est ce qui rend son intention et son interprétation si fascinante.
Le petit dernier : The House that Jack Built
Pour l’heure, allons donc voir cette maison que Jack (Matt Dillon) a construite. Toute mignonne et fin prête pour inviter tous ses amis… morts. Parce que Jack, bien que fort sympathique, est avant tout un tueur en série. Et oui, comme tout sadique qui se respecte, l’illusion du bien cache souvent un mal plus profond. Vis ma vie de serial killer, avec Jack en guide de premier choix, en proie à des troubles obsessionnels dont le seul remède semble être le meurtre. Un psychopathe qui a conscience de sa singularité et qui essaye de se fondre dans la masse toute en assouvissant sa passion meurtrière. Un pitch radical, fidèle à l’œuvre de Lars Von Trier, qui appuie encore une fois, là où ça fait mal, avec efficacité. Entre pêché mortel et spiritualité, ce film pourrait bien être la solution pour se repentir à nouveau. Filmé en caméra embarquée, comme un documentaire, pour appuyer l’autoportrait et le journal intime de Lars Jack. Avec différents actes à la Dogville, et une voix narrative en off qui confronte le protagoniste dans son problème et le conforte dans son analyse philosophique. Comme dans ses animés où l’ange et le diable se disputent sur l’épaule de celui qui doit faire un choix. On y retrouve cette touche d’absurdité dérangeante, et si familière qui nous fera je pense, tous sourire dans cet American Psycho des années 70.