Décryptage

Les éditeurs à suivre : Olivier Girard nous raconte « Une Heure-Lumière »

03 septembre 2018
Par Anna
Les éditeurs à suivre : Olivier Girard nous raconte « Une Heure-Lumière »

Depuis 2016, la collection « Une Heure-Lumière », au sein des éditions Le Bélial’, poursuit l’ambition de faire voyager ses lecteurs à travers des textes inédits de science-fiction au format court. Olivier Girard, créateur de la collection et des éditions Le Bélial’, revient pour nous sur la genèse d’« Une Heure-Lumière » : en quoi est-elle représentative de l’esprit de sa maison d’édition ?

Olivier Girard : « L’édition indépendante de science-fiction est un sport de combat. Je l’ai souvent affirmé ; je le pense toujours aujourd’hui. C’est aussi — surtout — un sport d’endurance. C’est enfin, bien entendu, une question de passion. Ces trois composantes — passion, endurance, combat — sont au cœur de l’histoire de la collection « Une Heure-Lumière », une histoire qui, finalement, puise elle-même aux origines des éditions du Bélial’, à leur genèse. »

Amours et désamours du format court

« La forme courte, la nouvelle, est dans l’ADN de la maison, dont la réalisation première n’est autre qu’une revue, rappelons-le : Bifrost, dédiée à la publication… de nouvelles. Et qui bien vite fut rejointe par l’anthologie périodique Étoiles Vives (aujourd’hui disparue), des « Year’s Best » (trois), diverses anthologies, et bien entendu des recueils, nombreux, au point d’avoir vu récemment créé un cadre éditorial leur étant totalement dédié — la collection « Quarante-Deux ».

Aucun hasard à cela. Au sein de mon panthéon de mangeur de mots compulsif, le format court occupe un espace essentiel. En matière de littératures de genre, et particulièrement en science-fiction, je considère la nouvelle comme une quintessence. Je lui dois certaines de mes plus belles émotions de lecteur, et je la tiens pour un maillon historique central de l’histoire de nos domaines. Ce qui ne va pas sans poser divers problèmes lorsque, de fait, au mitan des années 90, vous entreprenez de créer une structure éditoriale annonçant d’emblée vouloir consacrer une place centrale aux textes courts. La littérature de science-fiction n’est pas d’un commerce aisé dans l’Hexagone. Pire encore lorsque, délibérément, vous prend cette marotte absurde de cibler ledit format court. À l’époque, beaucoup considérèrent la gestation d’un tel projet avec un certain scepticisme… »

« Une Heure-Lumière » : un espace pour parer aux  frustrations 

« Je l’ai dit, je le répète : la nouvelle est un espace cardinal. Bifrost avait été lancée avec l’ambition de replacer ledit espace au cœur du paysage éditorial francophone de SF ; le Bélial’ allait consacrer beaucoup de son énergie à la publication de nouvelles. Parfait… À ceci près que dès l’origine, au sein de ce schéma bien huilé, la novella posait problème (quand on garde en tête que le terme même de novella n’a aucune correspondance en français, on mesure l’étendue du souci — on rappellera, au passage, que les anglo-saxons parlent de « short story » en dessous de 7 500 mots, de « novelette » entre 7 500 et 17 499 mots, et de « novella » entre 17 500 et 39 999 mots — au-delà, nous sommes dans le roman). Que faire, en effet, de ces textes trop longs pour Bifrost, et malgré tout trop courts pour les considérer (et les commercialiser) comme des romans à part entière ? Bien sûr, il serait possible d’en placer dans la revue (rarement). Dans une anthologie ou un recueil (plus souvent). Mais si peu, en définitive… La frustration est un moteur puissant. On pourrait même affirmer sans outrance qu’il est le souffle initial de quantité de réalisations du Bélial’. Bifrost est née de ce sentiment, cette impression de manque. « Une heure-lumière » également — quand bien même vingt années furent nécessaires à sa mise en œuvre. »

Un vivier anglophone considérable et un chantier qui s’annonce

« La nouvelle est un matériau essentiel, historique, un creuset du champ littéraire SF. C’est entendu. La novella (court roman, ai-je dit !) en constitue l’une des incarnations les plus glorieuses, les plus cardinales. Très bien. Mais comment la publier ? Comment créer l’espace à même d’accueillir l’énorme vivier anglophone à disposition ? Pour évidente qu’elle soit (une collection dédiée), la réponse n’était pas si aisée à mettre en œuvre. Parce que nous ne disposions d’aucun équivalent véritable. Pas de réel référent. Nous avancions dans l’inconnu. D’un côté, nous bénéficions d’une offre de textes considérable (à titre d’illustration, la catégorie novella du prix Hugo existe depuis… 1968). Et cette envie, cette frustration tout aussi considérable. De l’autre… rien ou presque. Un gros point d’interrogation. Comment négocier de tels textes avec les agents, les auteurs ? Dans quel format de livre ? Quel aspect ? Et à quel prix ? Ça n’a l’air de rien, mais pour nous, petite structure indépendante, le risque me semblait énorme. Presque effrayant. Beaucoup de traductions (soit un investissement important). Aucune revente à un éditeur poche — impossible, au regard de la taille des textes, d’autant que notre collection serait en soi une collection poche… »

Des antécédents prometteurs

« À vrai dire, on a failli se lancer il y a une quinzaine d’années. On en discutait beaucoup. Amis et collaborateurs de la maison poussaient à la mise en œuvre. Nous avions déjà publié des novellas sous la forme de petits livres, en association avec les défuntes éditions Orion de Gilles Dumay, sous la houlette éditoriale de Ellen Herzfeld et Dominique Martel : Danses aériennes, de Nancy Kress ; L’Enfance attribuée, de David Marusek. Les deux avaient plutôt bien marché. Serge Lehman, amateur du format s’il en est, promettait d’en écrire — le temps glorieux où l’auteur de FAUST produisait autre chose que des BD… Il avait même imaginé un titre à la collection absolument génial (si si !) : « Une heure-lumière » ! On buvait beaucoup. On se couchait tard. On rigolait. Mais pas assez pour que le brouillard ne se dissipe au lever et, une fois penché sur ma calculatrice, que je ne me mette à flipper… J’ai longtemps tergiversé, publié les merveilleuses novellas de Lucius Shepard ou Greg Egan en recueils. Mis mon mouchoir sur Breathmoss de Ian R. MacLeod ou 24 Views of Mt. Fuji by Hokusai de Roger Zelazny. J’ai attendu… Attendu qu’on soit grand. Attendu nos vingt ans… »

Poumon-vert24-vues-du-Mont-Fuji-par-Hokusai 

Les fondations se mettent en place

« Lorsque la perspective de cet événement s’est profilée, je me suis dit qu’on tenait enfin là l’occasion, qu’il fallait profiter de cet anniversaire, de l’ouverture médiatique qu’il allait provoquer ; un levier qui ne se présenterait pas deux fois. On a entrepris de contacter les agents littéraires et les auteurs afin d’expliquer les détails de notre projet ; ce qu’on pouvait offrir en terme de droits et d’avances, allant même jusqu’à créer un contrat ex nihilo pour certains ayants-droits étrangers. On a dès lors sérieusement réfléchi au format. À l’aspect des livres qu’on voulait — des objets, petits, certes, mais des objets, histoire de renouer avec l’esprit de collection propre au genre et qui me semblait avoir complètement disparu. Fait faire quantités de devis auprès de divers imprimeurs. Négocié pendant des mois afin d’obtenir des prix de fabrication qui nous permettraient de rester en dessous des 10 € par bouquin dans la plupart des cas. Je voulais un unique intervenant graphique pour l’ensemble de la collection. On a procédé à quelques essais. Aurélien Police s’est vite imposé ; ses propositions ont mis tout le monde d’accord dans l’instant. Restait le choix des premiers titres. Six livres sur la première année : quatre d’un coup pour le lancement, histoire de faire date, puis deux autres quelques mois plus tard. Rien que des inédits, bien entendu. Pouvoir proposer un texte français dès la première livraison me semblait une nécessité. Le format novella n’est pas dans l’ADN des auteurs francophones, mais il fallait affirmer d’emblée que « Une Heure-Lumière » ne serait pas un repère de textes exclusivement traduits. Ça a été Dragon de Thomas Day — que j’ai gardé sous le coude plusieurs mois en prévision. Accompagné de Cookie Monster de Vernor Vinge ; Le Nexus du Dr Erdmann de Nancy Kress ; Le Choix de Paul J. McAuley, soit deux prix Hugo et un prix Theodore Sturgeon. Une femme. Trois hommes. »

Dragon Cookie-monsterLe-Nexus-du-docteur-ErdmannLe-choix

Des craintes… et un pari gagné

« Nous avons dévoilé une partie du projet sur les forums, assez fréquentés, du Bélial’. Le prix des livres a fait débat. Ça m’a agacé, je me suis efforcé de relativiser — autant pisser dans un violon. J’ai commencé à me dire qu’on allait dans le mur. Que quatre livres d’un coup, c’était trop pour nous. Qu’on allait se planter. J’ai flippé. Encore. Comme d’habitude, en somme…

Les livres sont parus en janvier 2016. Février n’était pas terminé que je savais notre pari gagné : « Une Heure-Lumière » réussirait à imposer en France (en francophonie ?) le format du roman court — pour un temps, tout au moins. Vingt années de maturation, de tergiversations. Un verdict tombé en trois semaines… De quoi regretter mes hésitations incessantes.

Le hors-récit que nous publions en cette rentrée 2018 illustre cette réussite. Un livre-catalogue gratuit proposant un récit inédit de celui qui est sans doute à ce jour l’auteur le plus emblématique de la collection, le sino-américain Ken Liu. J’espère bien que ce hors-série deviendra un jour une rareté. De même que j’espère qu’il sera suivi par d’autres hors-séries, qui, à leur tour, deviendront des raretés. « Une heure-lumière » est la parfaite cristallisation de nos goûts et envies cultivés au Bélial’. Une collection souche, en somme. Comme une évidence. Une collection de combat, d’endurance et de passion. »

hors série

Article rédigé par
Anna
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