Alain Chamfort est de retour avec un nouvel album, Le désordre des choses, histoire d’ajouter 10 chansons à son répertoire déjà bien rempli. Rencontre avec un artiste toujours aussi doué et sans cesse en effervescence artistique.
1- Vous fêtez cette année vos 50 ans de carrière. Quel sentiment ressentez-vous en regardant derrière vous ? Ce demi-siècle vous donne-t-il le vertige ?
Ça m’inquiète surtout pour les cinquante à venir. Le passé est maintenant pour moi plus long que l’avenir, c’est cette perspective qui se met en place après un certain nombre d’années. On sait que l’avenir est limité automatiquement. Et à la fois, c’était quand même bien agréable tout ça. Traverser toutes ces époques et être encore en activité, pouvoir encore écrire des chansons, qu’on me donne la possibilité de les enregistrer, de les proposer aux auditeurs, ça contribue à ne pas avoir trop conscience de ce temps qui passe. On continue à être occupé et on n’a pas trop l’occasion de regarder dans le rétroviseur constamment.
2 -Pour cet anniversaire vous proposez un nouvel album, 10 chansons à ajouter à votre répertoire ? Vous êtes donc un artiste qui préfère aller de l’avant plutôt que de regarder derrière lui. Est-ce vital, viscéral pour vous de créer ?
Oui. C’est un des plaisirs que j’ai et que je peux continuer d’exercer. J’ai la chance d’en profiter, d’en jouir. Il n’y a pas beaucoup de plaisirs dans la vie qui offrent une telle sensation, à part devant un bon repas ou le spectacle de la nature, un coucher de soleil, des moments qui vous imprègnent très fort. Quand on fait de la musique, que l’on a la possibilité de se concentrer sur ces moments, d’être absorbé par ce qu’on fait, on est un peu hors du temps, hors des événements, de l’actualité, de son quotidien.
3 – Vous êtes un peu dans un bulle ?
Oui. Et c’est une chance de vivre cela.
4 – Prendre votre retraite, ce n’est pas quelque chose que vous envisagez ?
Je n’en ai pas très envie et je ne vois pas pourquoi je le ferais. Il y a plein de choses qui m’intéressent. J’aime jardiner, planter des fleurs mais composer, conserver une activité, être curieux, ça entretient une énergie. Je n’ai pas envie de me priver de ça.
5- Votre album pose de nombreuses questions existentielles. Est-ce qu’aborder ce thème était votre idée première pour construire votre album ?
Ce n’était pas une idée échangée et souhaitée. Je pense que c’est ce qu’a retenu Pierre-Dominique Burgaud de nos discussions, de nos échanges lors de tout ce temps qu’on a passé ensemble, car nous sommes proches. Quand on est avec quelqu’un avec qui on s’entend bien, avec qui on aime échanger, on évoque tout, sa vie privée, son point de vue sur le monde, sur les choses. Puis je lui ai demandé d’écrire mes chansons. Jacques Duval (mon auteur fétiche) s’étant mis à l’écart de l’écriture, je suis revenu vers Pierre-Dominique parce qu’on avait déjà fait la musique d’Yves Saint-Laurent ensemble. Je savais qu’il était capable de répondre à mes attentes. J’ai commencé à lui envoyer des musiques et il est revenu tout de suite vers moi avec ces propositions. Il savait que ces questionnements m’habitaient, ses textes ne pouvaient pas me laisser indifférent.
6 – Qu’est-ce qui vous plait dans son écriture ?
J’apprécie d’être sorti de l’évocation de la chanson purement sentimentale ou des affres de la chanson d’amour, des difficultés du couple ; de toutes ces choses que j’ai évoquées avec Duval. La relation avec une femme est une notion très fondatrice pour un homme. Le rapport fusionnel ou conflictuel en amour est déterminant sur notre être et sur notre comportement à l’égard des autres. Un homme de pouvoir, s’il a eu une dispute avec sa femme le matin, peut prendre une mauvaise décision. C’était une manière d’aborder la vie qui était intéressante avec Duval mais il faut savoir évoluer. Je voulais sortir de mon rôle de chanteur de charme écorché pour pouvoir évoquer d’autres choses en rapport avec mon évolution personnelle, et ça il ne l’a pas trop retenu. Il faut laisser le soin aux nouvelles générations d’incarner les problématiques de leur âge.
7 – Dans « Microsillons », vous dites « avec l’âge, tout est sur le visage ». À votre avis, que dit de vous votre visage ?
Chaque personne en a un déchiffrage qui dépend de sa personnalité. Il y en a qui ne vont retenir que les marques du temps, d’autres y verront des marques créées par le rire. Tout dépendra de l’humeur de celui qui les interprète. Moi, j’ai été ridé très jeune. J’ai la peau fine et dès 30 ans j’ai commencé à avoir des rides. Comme mon père en avait aussi, ça m’a paru tout à fait logique que j’en ai. J’ai vécu avec sans les voir puisqu’on ne se voit pas tel qu’on est véritablement. Si par moment elles me dérangeaient, je pense que mon œil faisait le travail pour les rendre invisibles. Je trouvais que c’était un joli thème. La comparaison avec le vinyle, c’était un jeu de mots. On parlait du questionnement sur les chansons ; qu’est-ce qu’elles deviennent une fois que le chanteur n’est plus là… Il y en a quelques-unes qui font un beau chemin et puis la majorité passe à l’oubli. Que le chanteur se pose ces questions, ça me paraît assez justifié.
8 – Enfin, toujours dans « Microsillons », vous dites « les chanteras-tu les chansons, quand la vie m’aura coupé le son ? ». Est-ce que ça vous fait peur ce moment où le son se coupera pour vous ?
Je l’envisage mais c’est surtout de la manière dont ça va se passer. La finalité sera la même pour tous, mais ce n’est pas toujours de la même manière que ça se passe. Il y en a pour qui ça arrive doucement, gentiment ou brutalement. Ce que je crains le plus c’est la maladie, les effets de la maladie, de se voir diminuer, de se battre comme l’on fait tous ceux qui partent depuis ces derniers temps. Je trouve ça dur de devoir être confronté à cela. Après, est-ce que ce n’est pas aussi une manière devoir se racheter quand on a eu une vie trop facile ? Est-ce qu’on ne le paye pas un jour ou l’autre ?
9 – La page blanche, ça vous fait peur. Le manque d’inspiration ?
Je ne suis pas à l’abri de ça. Tout est dans la curiosité. Tant qu’on s’intéresse, qu’on prend du plaisir à écouter les autres, il y a moins de chance que ça arrive que si on s’isole et qu’on refuse le monde. Je ne peux pas prédire ce que je vais devenir dans 15 ans mais… Régulièrement, j’ai eu cette crainte. Oh là là, encore un nouvel album à faire ! Est-ce que je vais réussir ? Aujourd’hui, j’ai la possibilité de me retourner de temps en temps et je vois que j’ai toujours réussi. Il n’y a donc pas de raisons que cela arrive. J’essaye de me rassurer comme je peux.
10 – Comment voulez-vous que le public voit votre album ?
Déjà qu’il ait la possibilité de l’entendre. C’est de plus en plus difficile aujourd’hui. Les radios sont très craintives. Quand on a dépassé un certain âge, elles n’aiment pas être associées à des gens trop âgés parce que ça leur donne l’impression d’être vieilles elles aussi. Alors on va voir si j’arrive à passer en radio, à arriver jusqu’aux oreilles des gens. Après ils en feront ce qu’ils voudront. Si ça leur plaît, ils sont libres de le manifester. Je n’ai aucune maîtrise là-dessus. Nous leur faisons une proposition qui nous semble mériter d’être écoutée et, à certains égards, appréciée par quelques personnes. Combien seront-elles ? Maintenant cela ne m’appartient plus. Je ne peux rien faire sauf assister soit à la débâcle soit au succès, de manière impuissante.
11 – Un mot à dire aux lecteurs, lectrices…
Qu’ils aient suffisamment de curiosité pour essayer d’écouter, se faire leur propre avis, de trouver un peu de disponibilité dans leur emploi du temps pour se donner le mal d’aller chercher des chansons, de leur consacrer les quelques minutes nécessaires pour les écouter au moins du début à la fin. S’ils n’ont pas envie d’écouter l’album dans son intégralité en une seule fois, et bien qu’ils prennent des moments différents pour le découvrir. C’est devenu difficile de trouver un espace de temps dans sa vie, ses préoccupations, dans les obligations qu’on a aujourd’hui, de concentrer son attention, écouter des chansons sans faire autre chose, sans qu’elles soient juste un fond sonore en faisant la vaisselle. Si j’arrive à convaincre quelques personnes de faire ça, ce sera une belle réussite.
12 – Une réaction par rapport à la disparition de Jacques Higelin ?
C’est toujours triste de perdre un artiste. Jacques Higelin avait cette espèce d’exubérance, cette personnalité libre, poétique, imprévisible, voire outrancière par moment. Ça faisait plaisir. Il y avait un souffle dans ce qu’il faisait. Je ne le connaissais pas particulièrement bien. On s’est croisés à plusieurs reprises ; il a toujours été très courtois avec moi, très charmant. Il avait cette générosité, il était toujours souriant, aimait bien blaguer. J’ai ce souvenir-là de lui. On n’a pas eu le temps d’avoir de longs échanges sérieux. Je trouve ça dommage qu’il ait souffert, se soit vu diminuer. C’est dur de vivre ça.
Crédit photos d’Alain Chamfort : Julien Mignot