En 1998, à l’occasion de la publication de l’histoire Machine qui rêve aux Editions Dupuis, le personnage de Spirou était sans conteste un heureux sexagénaire. En effet, à l’âge où la plupart des héros entament une retraite plus ou moins méritée, Philippe Tome et Jean-Richard « Janry » Geurts -ses parents adoptifs d’alors – décidèrent de lui offrir une représentation nouvelle et un ton nouveau.
En 1998, à l’occasion de la publication de l’histoire Machine qui rêve aux Editions Dupuis, le personnage de Spirou était sans conteste un heureux sexagénaire. En effet, à l’âge où la plupart des héros entament une retraite plus ou moins méritée, Philippe Tome et Jean-Richard « Janry » Geurts -ses parents adoptifs d’alors- décidèrent de lui offrir une représentation nouvelle et un ton nouveau. Et c’est bien de cela qu’il s’agissait : une nouvelle lumière pour une vie nouvelle !
Avec l’aventure développée dans Machine qui rêve, le jeune groom créé par Robert « Rob-Vel » Velter (groom auquel André Franquin devait donner ses lettres de Noblesse et l’accession à l’adolescence) fut le sujet d’une véritable, incroyable, salutaire et miraculeuse renaissance. En offrant à cette aventure de Spirou et Fantasio un univers fondamentalement contemporain sur le plan architectural comme technologique, et une représentation physique moderne et intelligemment vivifiée des personnages, les auteurs jouèrent –pour un peu- une carte iconoclaste et réussirent –pour beaucoup- une intervention chirurgicale délicate, et depuis longtemps nécessaire.
Pour la première fois dans sa longue vie, au moyen et au travers des attitudes que lui conférait le trait efficace et assuré de Janry, Spirou doutait, souffrait, haletait, suait, et se débarrassait de cette apparence trop policée qui le caractérisait depuis si longtemps… Spirou accédait enfin à un degré d’humanité un peu plus réaliste qui lui faisait défaut au regard de son Histoire et des possibilités inhérentes à cette dernière.
Ce lifting de la forme était l’amorce symptomatique de la révolution de fond que semblaient avoir engagés les deux auteurs (ou du moins, semblaient-ils le vouloir). En effet, par les soins scénaristiques et graphiques de ces derniers, nos deux compères Spirou et Fantasio, vieillissants,quittaient leurs statuts de caricatures pour entrer de plein fouet dans celui de la ressemblance, et de la vraisemblance. Le sujet du récit, pour sa part, était en totale immersion dans le courant sociétal en relevant la question du clonage humain. Un sujet d’autant plus « patate chaude » qu’en 2002, soit 4 années après la parution de Machine qui rêve, la firme « Clonaid » (attachée à la secte « Mouvement raëlien » du gourou Claude « Raël » Vorilhon) annonçait – sans l’apport de la moindre preuve scientifique – avoir réalisé le clonage humain.
Fort des problématiques sociétale, philosophique, éthique et religieuse qu’un tel sujet suscite et entraine, Machine qui rêve questionnait la part d’humanité contenue dans le clone d’un être humain. L’actualité de son questionnement se légitimait plus encore au regard de notre société qui expérimentait déjà, et avec succès, la technique du clonage animalier. Cet axe de recherche scientifique était (et l’est encore) paradoxal quand, dans le même temps, le genre humain n’avait (et n’a) toujours pas réglé « positivement » ses problèmes essentiels géographiques, ethniques, religieux… (la liste est longue).
Le scénario de Machine qui rêve, en ce qui le concerne, n’abordait pas la question de la légitimité du clonage, mais il contribuait à l’émergence d’une contemporanéité prononcée et à la maturation toujours repoussée, de cette série historique et tous publics. Cette plongée réaliste dans l’univers de Spirou et Fantasio permettait désormais à cette dernière d’acquérir et d’utiliser un paramètre scénaristique qui lui faisait encore défaut : la dramatique adulte (sans rien lui ôter de ses forces ludiques et fédératrices originelles).
Avec Machine qui rêve, Tome et Janry remettaient en question le réducteur caractère « immuable » du héros, et le non moins sclérosant cahier des charges d’une telle série. C’était un fait, sous le jour de Tome & Janry, pour Spirou les temps changeaient. Le lectorat classique, malheureusement, ne l’entendit pas de la même oreille, lui préférant le Spirou traditionnel qui s’imposait (et qu’on lui imposait) depuis toujours. Le décès du génial Philippe Vandooren (rédacteur en chef du Journal de Spirou, et soutien important du lifting en question) devait desservir l’initiative courageuse en diable ! de Tome et Janry.
Les deux auteurs abandonnèrent alors leur création pour se consacrer au Petit Spirou, mais leur empreinte créative marque néanmoins, et à jamais, l’histoire de la série. En effet, la mise en perspective de Machine qui rêve et des récits 1 qui suivirent, révèle le caractère extraordinaire du premier et met en lumière un cruel paradoxe : c’est en renaissant que Spirou mourut…