Récit profondément humain, Wombs touche un public large, des amateurs de science-fiction militaire aux fans de mangas. L’œuvre s’éloigne des sentiers battus pour se poser une question : qu’est-ce qu’être mère ?
En France, il ne nous viendrait pas l’idée de remettre un prix Goncourt ou un César à une bande dessinée. Au Japon, peu importe le format. Tant que l’histoire est bonne, elle peut être primée. C’est exactement ce qui est arrivé à Wombs, de la mangaka Yumiko Shirai en 2017. Cette année-là, elle a reçu le grand prix Nihon SF récompensant la meilleure œuvre de science-fiction toutes catégories confondues. Avant elles, seuls Barbara Ikai de Moto Hagio et Dômu : rêves d’enfant de Katsuhiro Ôtomo (le père d’Akira) l’ont reçu en BD, au siècle dernier. Et, contrairement aux grandes sagas shonen, Wombs est une série terminée en cinq tomes, désormais entièrement disponible en français.
Un conflit vécu à travers les yeux d’une jeune recrue
À première vue, il s’agit d’un récit de science-fiction militaire classique. Sur Jasperia, deux vagues de colons humains – les First et les Seconds – s’affrontent pour contrôler les ressources de la planète. Mis en difficulté, les First ne peuvent compter que sur les auxiliaires de transfert pour renverser le cours du conflit. Ces auxiliaires sont des femmes à qui on implante des embryons nibas (une espèce endémique à Jasperia), qui leur confèrent des pouvoirs comme la téléportation ou la télépathie. Wombs suit la destinée d’une jeune recrue, Mana Oga, au sein de ces unités sous les ordres de la légendaire sergente Almare.
Le début de l’histoire rappelle furieusement Full Metal Jacket ou Starship Troopers en consacrant le premier tome à la formation de Mana Oga et à son entraînement. Mais elle prend de plus en plus d’ampleur, au fur et à mesure que les dessous de la guerre entre les First et les Seconds se dévoilent et qu’on en apprend plus sur les liens entre les nibas et leurs mères porteuses. Avec Wombs, Yumiko Shirai arrive à lier deux thématiques a priori complètement opposées : la guerre vue par les yeux de soldates sur le front, parfois en conflit avec leur hiérarchie à l’arrière, et la maternité, qu’elle soit naturelle ou créée par d’autres liens que ceux du sang, comme l’adoption. Dans un récit sans temps mort, en cinq tomes ramassés, elle nous présente une fresque épique et une guerre se déroulant à la fois dans le monde physique et entre esprits. Personne n’en sort indemne, et les trahisons et les alliances changent sans cesse la donne.
De la douleur, oui, mais jamais gratuite
Mais à la différence des récits classiques du genre, les aliens ne sont pas les ennemis. Ici, la force brute et la stratégie ne suffiront pas à mettre fin au conflit. Non plus que d’envisager le contrôle global des populations sans tenir compte de leurs individualités. Et le ton de l’autrice tranche aussi avec les récits habituels. Oui, il y a des scènes de combats dans Wombs, mais ce n’est pas la violence sur le terrain qui peut déstabiliser certaines lectrices, mais plutôt d’autres thèmes plus intimes, comme la stérilisation forcée.
Certaines cases peuvent choquer, mais ce n’est jamais gratuit, bien au contraire. Chaque plan, chaque croquis fait avancer le récit. Si l’histoire principale est désormais arrivée à sa conclusion, Yumiko Shirai est revenue depuis septembre 2021 sur Jasperia en écrivant un préquel sur la création des auxiliaires de transfert, Wombs Cradle. Mais elle est pour l’instant indisponible en français.
Wombs, de Yumiko Shirai, trad. Alexandre Goy, Akata, cinq tomes, 232 p., 8,50 €. Premier tome sorti le 11 mars 2021, cinquième et dernier tome en librairie le 28 avril 2022. Série terminée.