Critique

Anatomie d’un scandale : la vérité disséquée

15 avril 2022
Par Lisa Muratore
Rupert Friend et Sienna Miller incarnent James et Sophie Whitehouse dans “Anatomie d’un scandale”.
Rupert Friend et Sienna Miller incarnent James et Sophie Whitehouse dans “Anatomie d’un scandale”. ©Netflix

Ce vendredi 15 avril, le scénariste David E. Kelley est de retour avec Anatomie d’un scandale sur Netflix, un thriller aussi prenant que brillant, porté par Sienna Miller et Rupert Friend.

Difficile de résister à l’envie de dévorer la nouvelle minisérie de David E. Kelley, développée aux côtés de Melissa James Gibson. Après les cartons Ally McBeal (1997-2002), Big Little Lies (2017), The Undoing (2020) ou encore Nine Perfect Strangers (2021), le prolifique scénariste a choisi d’adapter le drame de Sarah Vaughan, Anatomie d’un scandale. Diffusée à partir de ce vendredi 15 avril sur Netflix, la série suit Sophie (Sienna Miller), dont la vie va voler en éclat après que son mari, le ministre James Whitehouse (Rupert Friend), a été accusé de viol par l’une de ses collaboratrices (Naomi Scott).

Au cours de cette affaire, les destins de plusieurs personnages vont s’entrechoquer, entre passé et présent, pour offrir un thriller passionnant. Là où la série pourrait n’être qu’une nouvelle création politique et judiciaire, le showrunner est parvenu à offrir un drame bourré de suspense. C’est d’ailleurs à cela que l’on reconnaît sa patte, bien qu’Anatomie d’un scandale ait, sous certains aspects, une identité singulière.

Les coulisses du pouvoir à l’anglaise

En effet, la série se distingue de créations comme Big Little Lies. Elle change d’échelle, et quitte le quotidien des mères aux foyers de Monterey pour s’attaquer aux coulisses de l’establishment britannique, ainsi qu’au drame de prétoire. Si on est loin de ce que David E. Kelley donnait à voir dans la piquante série Ally McBeal (1997), Anatomie d’un scandale peut en revanche se rapprocher de créations comme The Night Manager (2016) ou Bodyguard (2018).

Rupert Friend dans Anatomie d’un scandale.©Netflix

À l’image de ces miniséries britanniques, le show analyse les défauts d’une administration, d’un système judiciaire et d’un pays gouverné par une élite qui se croit au-dessus des règles. Elle le fait avec une fascination passionnante, en prenant pour point de départ le quotidien routinier de personnages, propulsés contre leur gré dans les machinations du pouvoir. Là où le personnage de Tom Hiddleston n’était qu’un simple gérant d’hôtel au Maroc avant de devenir espion dans The Night Manager, Sophie dans Anatomie d’un scandale croyait à une simple aventure de son mari avant de se rendre compte des conséquences scandaleuses que le comportement de ce dernier va déclencher.

Une série fidèle à l’identité de David E. Kelley

Ceci va donner une envergure inédite à la série, qui regagne parfois un cadre plus intimiste, en abordant les troubles maritaux et l’infidélité. Ces sujets, tout comme les violences conjugales, ont souvent été au cœur des créations du showrunner américain, passionné par les relations humaines dans ce qu’elles ont de brut. Depuis quelques années, David E. Kelley a pris un tournant dramatique et policier, qu’il assoit de façon convaincante dans Anatomie d’un scandale.

Bien qu’une troupe d’acteurs, au sein de laquelle évoluent Sienna Miller, Rupert Friend, Michelle Dockery et Naomi Scott, ait remplacé les collaboratrices privilégiées de Kelley, on retrouve plusieurs codes fidèles à ses précédentes œuvres. À commencer par l’appréhension des personnages, dont les nuances sont nombreuses.

Michelle Dockery dans Anatomie d’un scandale.©Netflix

Chaque épisode nous offre un point de vue différent des protagonistes, leurs véritables intentions et leurs fautes. Un choix de mise en scène qui – bien qu’il soit parfois exagéré – fait subtilement écho aux plaidoiries des avocates. L’influence du showrunner sur la scénographie n’est pas négligeable. Le passé et le présent se mélangent pour servir l’intrigue, tandis que le jeu des miroirs, tout comme le flou aveuglant utilisé dans certaines scènes ont pour effet de lancer le spectateur dans un jeu de piste aussi frustrant que jouissif, que l’on retrouvait déjà dans The Undoing et Big Little Lies.

Les hommes dans le viseur

Est-il coupable ou innocent ? C’est autour de cette question qu’évolue la seconde partie d’Anatomie d’un scandale. Sur ce point, la série partage de nombreuses similitudes avec The Undoing. Le troublant Rupert Friend remplace ici Hugh Grant dans le costume du mari infidèle. La création Netflix ne cesse de jouer sur la dualité du personnage masculin pour lequel le spectateur éprouve successivement dégoût et pitié.

Naomi Scott dans Anatomie d’un scandale.©Netflix

Cet effet prend une dimension particulière dans le cas d’une affaire de viol, la parole des victimes étant souvent remise en question. Anatomie d’un scandale apparaît d’ailleurs mieux dosée que The Undoing que ce soit vis-à-vis de la culpabilité du mari ou de l’action. Un gage de son identité british, qui se veut moins spectaculaire que certaines créations américaines.

Mettre en avant l’aspect malsain des hommes permet aussi de donner toute la lumière aux femmes. On sent toute l’affection que David E. Kelley a pour ces personnages farouches. Cette appréhension fait forcément écho au mouvement #MeToo et offre une série actuelle, riche d’un propos social.

Sienna Miller dans Anatomie d’un scandale.©Netflix

Après Nicole Kidman, Reese Witherspoon, Laura Dern ou encore Zoë Kravitz, David E. Kelley exploite le talent de Sienna Miller, bluffante dans le rôle d’une épouse pleine de doute, mais prête à tout pour garder la tête haute. Depuis quelques années, l’actrice et mannequin multiplie les projets variés et sérieux (American Woman, Live by Night…), dévoilant une qualité de jeu plus mature.

Mais Michelle Dockery interprète le personnage le plus intéressant de la série. L’actrice découverte dans Downton Abbey (2010) incarne une avocate aussi forte que sensible. On retient aussi parmi les seconds rôles féminins son attachante assistante, sa charismatique opposante à la barre, ou encore la jeune fille au pair de la famille Whitehouse. On regrette cependant que le personnage de Naomi Scott n’ait pas été davantage exploité dans les derniers épisodes.

Sienna Miller et Rupert Friend dans Anatomie d’un scandale.©Netflix

La série prend un autre chemin en cours de route, pour se concentrer sur une histoire plus profonde. Si l’on comprend rapidement où cela nous amènera, ce choix apporte de l’épaisseur au scénario. Cette solidité, mêlée aux codes des séries anglaises, au goût de David E. Kelley pour le policier, ainsi qu’au génie des acteurs, font d’Anatomie d’un scandale une réelle surprise. Pouvoir, sexe, mensonges : il faut dire que la série dispose de tous les ingrédients nécessaires à un bon thriller… et à une sacrée controverse.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste