Depuis quelques années, les événements caritatifs liés aux jeux vidéo, en particulier sur Twitch, sont devenus des opportunités en or pour les associations, aussi bien en termes de dons que de visibilité auprès des jeunes. Pourquoi ça marche aussi bien en France ? Explications avec Alexandre “Dach” Dachary, co-organisateur du Z Event.
La « pixel war » au début du mois d’avril l’a bien montré, les streamers français savent mobiliser rapidement et efficacement des centaines de milliers de personnes sur Twitch. Quand cette énergie est utilisée pour du caritatif, cela donne des événements comme le Z Event, qui a rassemblé plus de dix millions d’euros pour Action contre la faim en octobre dernier, ou Speedons, un marathon vidéoludique qui aura lieu ce week-end au profit de Médecins du monde.
Joindre l’utile à l’agréable
Si ces événements ont un tel succès sur Twitch, c’est non seulement parce que les spectateurs (ou « viewers ») ont envie de donner pour une noble cause, mais aussi parce que les streamers mettent de nombreuses techniques en place pour galvaniser au maximum leur communauté. Twitch est une plateforme très particulière : contrairement aux autres réseaux comme TikTok, par exemple, qui mettent en avant des vidéos courtes, Twitch privilégie la longueur avec des directs d’au moins deux heures, mais qui peuvent aussi en durer dix. De plus, beaucoup de spectateurs ont déjà l’habitude de donner de l’argent sur le site avec des dons ponctuels ou des abonnements mensuels à leurs streamers préférés, en échange d’avantages – comme des emojis spécifiques et l’accès aux vidéos à la demande. Tout cela fait que le public de Twitch est plus enclin à regarder un événement caritatif avec un week-end entier de direct et que le passage à l’acte, le don, sera également facilité.
Parmi les mécaniques utilisées par les streamers pour encourager les dons, il y a les « donation goals », objectifs généralement choisis avec leur communauté, qu’ils devront faire après avoir atteint un certain seuil de dons. Si les premiers peuvent être accomplis rapidement, comme mettre un déguisement, les objectifs fixés à des seuils élevés relèvent souvent de l’organisation d’événements ambitieux. L’année dernière, Domingo avait ainsi organisé un match de tennis en double à Roland Garros avec ZeratoR, Benoît Paire et Gaël Monfils, le tout retransmis à des dizaines de milliers de personnes sur Twitch. Une effervescence qui va jusqu’à modifier les habitudes des spectateurs en termes de dons, comme le souligne Dach : « Il y a des gens qui, compte tenu de la force de l’impact de l’événement aujourd’hui, ont carrément développé cette habitude de mettre un peu de côté tous les mois pour avoir une somme à dépenser pendant Z Event, qu’ils égrainent au fur et à mesure de l’événement. »
La France, pays le plus mobilisé
Les premiers événements caritatifs vidéoludiques ont été organisés aux États-Unis, comme Desert Bus for Hope, qui existe depuis 2007 et Games Done Quick depuis 2010. Cependant, la France semble être le pays le plus friand de ce type d’événement – le Z Event ayant le record mondial de levée de dons sur Twitch. On en compte une dizaine chaque année sur cette plateforme.
Plus étonnant encore, cette capacité de mobilisation existe même quand il n’y a pas d’association à soutenir, par exemple pour la « pixel war » où la France a largement dépassé l’Amérique du Nord et l’Espagne. « Je suppose qu’on a un culturel commun, un élan communautaire qui est évident pour les Français, que ce soit dans le sport, pour du caritatif, pour des festivals, etc. Et oui, ça surprend souvent les autres pays, explique Dach. Le pixel war est un bon exemple parce que des pays qui ont une superficie et un nombre d’habitants très supérieurs aux nôtres n’arrivaient pas à nous concurrencer sur la présence et la réactivité. Cet élan communautaire français est vraiment très spécifique. Je pense aussi que ça vient du fait que la France, historiquement, est certes un pays de râleurs et de grévistes, mais aussi un pays de gens qui ont dû se battre pour leurs droits et ont dû faire la révolution. Donc je pense que culturellement, le fait de s’unir, de créer une force du peuple pour un but commun, c’est resté. »
Bien que le dernier Z Event ait battu des records en termes d’audience et de dons, il y a cependant peu de rayonnement international : « On a déjà songé à faire un Z Event un peu international en se disant qu’on allait avoir des gens d’autres pays, que ça pourrait être cool de rassembler les gens au-delà des frontières, malgré la barrière des langues, tous unis pour une cause qui touche tout le monde, etc. Mais Twitch nous a vraiment fait comprendre que cet élan communautaire, cette force de rassemblement était très française et que, dans les autres pays, les créateurs de contenus n’étaient pas forcément soudés du tout, ne faisaient pas forcément du contenu ensemble et que toute cette mécanique qu’on a développée en France est très spécifique à notre pays et que les autres ne seraient peut-être pas du tout dans ce délire. »
Vers une saturation ?
Les associations peuvent voir en Twitch une solution miracle pour obtenir des dons et de la visibilité auprès des jeunes, ce qui augmente drastiquement le nombre de demandes : « En réalité, on est plutôt contents qu’il y ait d’autres événements caritatifs, parce que sur les deux ou trois premières éditions du Z Event, le poids du charity gaming reposait beaucoup sur nos épaules. Les associations nous sollicitaient beaucoup parce qu’on était un peu les seuls représentants en France. On reçoit des mails de demande tous les jours ou presque. C’est ingérable, parce que Z Event n’a pas du tout été créé comme ça. Ça a été créé sans prétention par un petit groupe d’amis à la base. »
Aujourd’hui, il y a donc une dizaine d’événements caritatifs par an sur la plateforme, ce qui peut poser la question de la saturation. « Il y a aussi un moment où le streaming reste un petit marché. Passé un certain stade, il y a beaucoup de contenus sans qu’il y ait forcément plus d’audience. La multiplication des événements caritatifs peut donc entraîner une saturation pour le public qui aura déjà donné de l’argent pour d’autres occasions. »
Pour Dach, l’évolution du caritatif sur Twitch ne se situerait pas dans les streams de jeux vidéo, qui ont déjà trouvé un format satisfaisant. Elle pourrait plutôt se trouver dans la diversification des contenus, qui fait déjà son œuvre sur la plateforme avec des personnes qui dessinent ou jouent de la musique en direct : « Ça pourrait totalement marcher dans la musique s’il y avait une unité des artistes, même des Américains, tous genres de musique confondus. Faire un giga studio d’enregistrement où il y aurait une quinzaine d’instruments et le son déjà tout prêt pour mixer ensemble, improviser et récolter des sous. Avoir, je sais pas, un Metallica x Eminem, ça marcherait très bien. En fait, il faut juste que quelqu’un ait l’élan pour lancer ça. »