En public, on se moque de leurs clichés. En privé, on adore les binge-watcher. Depuis près de 90 ans, les rom com jouent avec les émotions des spectateurs et diffusent une vision du couple parfois problématique.
Les pubs pour les sous-vêtements inondent les réseaux sociaux, les fleuristes mettent en avant leurs plus belles roses, les restaurants affichent leurs menus spéciaux… Personne n’est passé à côté : c’est la Saint-Valentin. Certains y voient une raison de fêter l’amour, d’autres crient au scandale d’une fête commerciale et d’autres encore en profitent pour boire des verres avec leurs amis en bitchant sur les couples du monde entier. Le cinéma, lui, y voit une source d’inspiration inépuisable. Depuis l’invention du genre dans les années 1930 avec le New York Miami de Frank Capra ou L’Impossible Monsieur Bébé d’Howard Hawks, les comédies romantiques ont conquis le monde.
Pretty Woman, Nuits blanches à Seattle, Quatre mariages et un enterrement… Autant de films qui ont rapporté des millions de dollars aux studios et brillé au top du box-office. Sorti en 1999, Coup de foudre à Notting Hill a nécessité un budget de 42 millions de dollars et en a rapporté plus de 364 lors de sa diffusion. Mais, après leur moment de gloire dans les années 1990-2000, les rom com (pour romantic comedy) ont quitté les salles de cinéma. En 2019, une quinzaine de comédies romantiques sont sorties sur grand écran, soit moitié moins qu’au début des années 2010.
Faute d’intérêt, elles ont trouvé refuge sur les plateformes de streaming. À tous les garçons que j’ai aimés, The Perfect Date, The Kissing Booth… Netflix produit en masse et crée des programmes qui cartonnent. Pas étonnant, donc, que le show le plus regardé du site soit La Chronique des Bridgerton, visionné par 82 millions de foyers et qui a cumulé 625 millions d’heures de visionnage en moins d’un mois.
Des programmes ultracodifiés, à la minute près
Les comédies romantiques sont bourrées de clichés : le baiser sous la pluie, la course vers l’aéroport, la déclaration d’amour en bas de la fenêtre… On les connaît tous. France Ortelli est journaliste et l’autrice de Nos cœurs sauvages. Grande adepte de rom com, elle a pris des cours d’écriture à Los Angeles pour devenir scénariste. Elle y a découvert que ces productions étaient ultraréglementées et minutées.
« Tous ces codes viennent d’Hollywood. Il y a carrément un timing : à la dixième minute, on comprend qu’il est arrivé quelque chose d’important au personnage principal (il/elle a perdu son père, se fait virer…), à la minute 70, les personnages s’embrassent vraiment et acceptent de tomber amoureux. Et ce baiser va révéler le talent du protagoniste : il/elle va écrire l’article de sa vie, parler à ses parents après des années de froid, etc. »
Autre règle : le premier rôle est incarné par une femme. « Dans les années 1990, il y avait ce cliché de la fille qui travaille dans la pub et qui doit choisir entre deux hommes, le passionné et le rationnel. » Certains acteurs et actrices étaient même associés au genre, comme Julia Roberts, Cameron Diaz, Hugh Grant ou encore Meg Ryan. Dans son essai You Couldn’t Ignore Me if You Tried, Susannah Gora souligne la difficulté de s’affranchir de ces codes. Elle raconte qu’avec Pretty in Pink, John Hughes a proposé une autre fin, où les protagonistes sont « ensemble, d’une façon “nous contre le monde”, mais restent amis ». Mais le manque de baiser a déplu au public. « Les gamins ont commencé à huer très fort. (…) Lauren Shuler Donner (la productrice) se rappelle que 60 % des spectateurs ont dit qu’ils voulaient que Andie finisse avec Andrew McCarthy. »
Mais, pour France Ortelli, les choses changent. La preuve avec La La Land, qui « propose le point de vue des deux personnages. C’est un film hyper intéressant, parce que ce n’est pas la fin qu’on attendait. » Pas de huées. Juste des spectateurs au cœur brisé.
Briser les codes pour réinventer le genre
Depuis quelques années, on voit apparaître des rom com novatrices, qui échappent à certaines règles du genre. Isn’t it Romantic se moque des comédies romantiques avec autodérision, montrant leur caractère niais et toxique ; You se sert de leurs codes pour raconter l’histoire d’un stalker malsain et assassin ; You’re The Worst fait de deux misanthropes détestables ses personnages principaux. « Normal People marque aussi une vraie évolution, remarque l’autrice. La série ne montre pas une femme désespérée qui veut à tout prix tomber amoureuse. »
La relation des protagonistes est sans cesse remise en question, les amants ne cessant de se séparer et de se remettre ensemble, jusqu’à la rupture définitive. « On ne parlait jamais de séparation, avant. C’était toujours : ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. Dans la vraie vie, on pourrait ajouter “et ils divorcèrent deux ans plus tard”. Les happy ending devraient être l’exception. »
La réécriture des comédies romantiques passe aussi par un mélange des genres. « Ils appliquent les règles de la série hospitalière, type Urgences ou Grey’s Anatomy, à d’autres univers. Ça donne des programmes twistés, comme Fleabag, qui est un drama avec une héroïne de rom com. » Un procédé qui permet de complexifier le genre en bousculant les codes avec des personnages ou des situations qui ne correspondent pas aux attentes. « Par exemple, Euphoria est un drame sur l’addiction, c’est trash. Mais on veut surtout savoir ce qu’il va se passer entre les ados. »
Un thème universel et fédérateur
Malgré ces tentatives de révolutionner le genre, la majorité des comédies romantiques ne sont pas surprenantes. Les premières minutes suffisent pour savoir comment le film va se terminer (spoiler alert : bien). « Avec les super-héros, on sait que le méchant va être tué à la fin. Là, c’est pareil. On sait dès le début que les personnages vont finir ensemble. »
Alors, pourquoi perdre des heures à regarder un programme dont on connaît le dénouement ? « Parce que l’amour est une valeur qui fédère le monde entier, plus que l’argent. 85 % des Français affirment que leur rêve ultime est de tomber amoureux. » Même si on connaît la fin, on a besoin d’écouter l’histoire. Parce qu’on nous en a toujours raconté et qu’elles nous bercent depuis notre enfance et les contes de fées et de sorcières.
On s’identifie aux héros et on vit leur love story parfaite par procuration. On sait que l’aventure se terminera bien, et c’est rassurant. C’est prévisible, et ça nous donne l’impression d’avoir le contrôle sur la situation (contrairement à la vraie vie et aux relations qui nous échappent).
Dans son livre Éloge de l’amour, le philosophe Alain Badiou explique que « nous aimons aimer, mais nous aimons aussi que d’autres aiment. Tout simplement parce que nous aimons les vérités. » Ces films parlent de vérité, car ils montrent l’évidence des relations : quand deux personnes sont faites l’une pour l’autre, elles finissent ensemble (et quoi de plus évident que l’amour entre Sophie et Julien dans Jeux d’enfants ?). Ça rassure, ça donne de l’espoir, et ça fait autant de bien à notre tête qu’à notre petit cœur.
Une happy end qui se mérite
Si l’amour est une grande aventure, c’est surtout un parcours du combattant. Les héros doivent relever de nombreux défis avant d’arriver à la case « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » (et en tant que spectateur sadique, on adore les voir galérer). Parce que finalement, ce qui compte, ce n’est pas comment le film va se terminer, mais comment ils y arrivent. Quel intérêt à regarder une histoire linéaire qui décrit le parfait amour ? On a envie de voir les personnages se remettre en question, tout perdre, se battre et courir sous la pluie pour sauver leur relation. Sex and the City a mis 47 heures à conclure la love story entre Carrie Bradshaw et Mister Big.
« J’aime bien la série Love, confie France Ortelli. Dans chaque saison, il y a une séparation. À la fin, ils se mettent ensemble, mais ils passent par beaucoup d’épreuves pour y arriver. C’est plus réaliste. En France, il y a 16 millions de célibataires. On a tous connu des moments de rupture et le spectateur doit se reconnaître dans ces moments. » Chuck et Blair ne seraient pas devenus aussi iconiques si leur relation n’était pas si chaotique.
Mais ce goût pour les comédies romantiques reste néanmoins secret. « Il y a toujours ce guilty pleasure de la fille qui regarde des rom com sans son mec, dans son coin, avance l’autrice. On les regarde quand on a envie de ressentir des émotions ou d’avoir la larme facile. Et on n’assume pas toujours cette part de vulnérabilité. » Pour elle, si les comédies romantiques sont des plaisirs coupables (et non assumés), c’est surtout parce qu’elles sont bourrées de clichés.
« On ne se reconnaît pas toujours dans ces personnages caricaturaux, surtout les hommes. Aujourd’hui, le genre est un peu bousculé et les scénaristes essaient d’inclure un public plus masculin avec des thématiques qui les touchent, comme le hip-hop dans la série Atlanta. Mais les choses bougent lentement. »
L’illusion d’une relation parfaite
Ces films et séries nous font rêver, mais peuvent parfois devenir problématiques. Surtout quand elles changent notre vision du couple et de l’amour. En 2008, des chercheurs de l’université Heriot-Watt d’Edimbourg ont démontré que les personnes qui regardaient des comédies romantiques avaient des attentes trop utopiques concernant leurs relations. « Elles pensent que si leur histoire n’est pas comme dans un film hollywoodien, alors elle n’est pas bonne », explique le psychologue qui a mené l’étude. Des convictions qui conduisent à un manque de communication dans le couple, car « ces personnes pensent que si leur partenaire est fait pour elles, il doit savoir ce qu’elles veulent, sans qu’elles aient à l’exprimer ».
Pour France Ortelli, le problème vient du mythe du prince charmant. « Dans ma génération, on avait toujours ce happy end, comme si le couple était le final ending qu’on devait avoir. Et je pense que ça nous a complètement bousillés. On rationalise l’amour et on se met des barrières si l’autre ne nous correspond pas parfaitement. Les comédies hollywoodiennes ont infusé sur le monde entier, à une époque où le célibat n’a jamais été aussi grand. Donc ça crée une frustration chez certaines personnes qui ne vivent pas ces histoires romancées. »
10 000 vies nécessaires pour rencontrer son âme sœur
Les chercheurs ont aussi remarqué que les sujets ayant regardé Un amour à New York étaient plus enclins à croire au destin et à l’âme sœur que ceux qui ont visionné un film de David Lynch. « On est complètement brain-washé par ce qu’on regarde, s’exclame l’autrice. Un informaticien de la Nasa a calculé nos chances de trouver notre âme sœur et il en a conclu qu’il nous faudrait 10 000 vies pour le trouver. On n’aura jamais la personne la plus parfaite pour soi. »
Entre les amis d’amis, les rencontres inattendues au coin de la rue et les applications de rencontre, on n’a jamais autant eu le choix. France Ortelli parle de syndrome Starbucks : « On est face à une multitude de possibilités et on doit faire le tri en rationalisant et en posant des critères. Mais c’est ultradéstabilisant, parce qu’on est les pires personnes pour savoir ce qui nous convient. » Une théorie confirmée par les décisions catastrophiques de Nina Dobrev dans Love Hard et la majorité des héroïnes de rom com.
« Le problème avec l’idée d’âme sœur, c’est qu’on se dit que quelqu’un de mieux nous attend quelque part, explique l’autrice. Aujourd’hui, et notamment à cause des comédies romantiques, on se dit qu’on doit faire le meilleur choix pour son couple. On doit trouver cette personne qui voit nos qualités et qui nous pousse vers le haut dans tous les domaines. Mais ça peut juste nous frustrer et nous empêcher de profiter du moment présent. »
Minimiser des comportements toxiques
La professeure Julia R. Lippman a mené une étude à l’université du Michigan pour déterminer l’influence de ces films sur nos relations amoureuses. La conclusion est claire : les amatrices de rom com acceptent plus facilement les comportements obsessionnels d’une personne s’ils ont une perspective romantique. Il faut dire qu’entre les « conseils en séduction » de Hitch et Colin Firth qui demande en mariage une femme avec qui il n’a jamais parlé au bout de quelques jours (Love Actually), les films ne sont pas les meilleurs exemples de relations saines. « Il y a aussi ce grand truc du fuis-moi-je-te-suis, s’amuse France Ortelli. Mais c’est la cata absolue, parce qu’au final plus personne ne communique ses émotions, plus personne n’envoie de message, et ça crée juste de la frustration. »
Andrew Lincoln se souvient de la scène (culte) dans Love Actually, où il déclare son amour à Keira Knightley, sur le pas de la porte. Pancarte après pancarte, il lui explique qu’il l’aimera pour toujours, et que pour lui, « elle est parfaite ». Mais le comédien admet s’être interrogé sur cette situation en se demandant si elle n’était pas problématique : « Je n’arrêtais pas de répéter à Richard [Curtis, le réalisateur] que j’avais l’impression d’être flippant (…) Aujourd’hui, il est conscient que le comportement de mon personnage est à la limite du harcèlement. »
Pour France Ortelli, « le plus important des clichés à bousculer est celui de la fille qui se sent mieux à la fin du film parce qu’elle est en couple. Pour moi, ça devrait être l’inverse. Elle devrait le terminer en se rendant compte qu’elle est mieux toute seule, et que l’amour est la cerise sur le gâteau ! » Un peu plus de self love, un peu moins de clichés. La recette de la comédie parfaite est toute trouvée.