La métafiction et le quatrième mur vont aujourd’hui plus loin que le simple lien entre le public et les protagonistes. Ils ont plusieurs fonctions et conséquences sur une œuvre de divertissement. Décryptage.
La métafiction se caractérise par la rencontre entre la fiction et la réalité. À travers divers processus, l’ensemble de l’adaptation prend pleinement conscience de son caractère imaginaire. Un film dans un film, une référence aux codes du genre, la déconstruction du quatrième mur… Plusieurs procédés fondent la métafiction et permettent de briser le cadre de la narration fictive, non sans ironie et humour.
Le quatrième mur et le spectateur
Le quatrième mur est une tactique aussi captivante qu’inédite dans la métafiction. À l’origine, au théâtre, ce processus consistait à construire métaphoriquement une barrière entre les comédiens sur scène et les spectateurs, de façon à créer une distance avec la fiction. Paradoxalement, ce rejet permettait de les rapprocher du tragique ou du comique d’une situation. Au cinéma et dans les séries, la caméra a une fonction similaire à celle de ce rideau imaginaire.
Cependant, cette vitre peut facilement être brisée, que ce soit à travers un simple regard, une réplique ou un geste destiné directement au spectateur. Avec cette démarche, le cinéaste choisit d’intégrer le public à la fiction. Le spectateur détient alors un rôle actif.
Cette ambivalence fonde un aspect important de la métafiction. Or, bien qu’il soit pris en compte à travers ce procédé, le public n’en reste pas moins brutalisé. Ce fut le cas au début de son utilisation. Dans Le Vol du grand rapide, en 1903, le revolver pointé sur les spectateurs avait entraîné l’étonnement général, cette proposition de mise en scène étant une première pour l’époque. Aujourd’hui, l’effet est entré dans les codes scénaristiques, au point d’être utilisé de façon sporadique ou répétée, voire de représenter le fondement d’une mise en scène.
Briser le quatrième mur : l’ADN d’une adaptation
Selon les adaptations, la fracture du quatrième mur est un élément primordial, si ce n’est son ADN. On pense évidemment à la série House of Cards, dans laquelle Frank Underwood, incarné par Kevin Spacey, communique sans arrêt avec les téléspectateurs. Ici, le quatrième mur est un véritable parti pris de narration, pour distinguer le discours politique futile des véritables intentions. Il a aussi été utilisé dans Malcolm ou dans Fleabag de Phoebe Waller-Bridge. Le premier se confie sur ses tourments d’adolescents et la seconde évoque ses désirs sexuels face à la caméra.
Au cinéma, on a pu observer ce procédé dans la saga Deadpool. La franchise portée par Ryan Reynolds reflète tous les enjeux de la métafiction et plus particulièrement du quatrième mur. Le super-héros brise tout sur son passage, des dialogues au cadre narratif. Son utilisation dans ce genre de schéma représente un élément scénaristique important, mais aussi un enjeu de caractérisation. Nos personnages vont se définir, se construire, et nous permettre d’en apprendre davantage sur leur environnement grâce aux apartés, tout en prenant conscience de leur statut fictif.
Le regard face caméra : un simple élément de mise en scène
Deadpool n’est pas le premier dont la rupture avec le quatrième mur a permis de mettre en avant la violence. On retrouve ce concept dans la scène finale de Psychose, quand Norman Bates regarde d’un sourire narquois la caméra, ou encore dans le monologue introductif d’Orange mécanique au Korova Milkbar. Si cela sert la caractérisation du personnage, il s’agit davantage d’un simple élément de mise en scène, qui crée un décalage avec le reste de la fiction.
Cela peut également prendre la forme d’un monologue introductif comme dans Lord of War et Ed Wood, ou d’une parenthèse dans le récit pour que les personnages expliquent leurs motivations. Rue dans la saison 2 d’Euphoria, Jordan Belfort dans Le Loup de Wall Street, Amélie Poulain dans Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain… Ils vont tous prendre de la distance avec eux-mêmes et lancer des regards face caméra, pour devenir les narrateurs d’un conte, d’une philosophie de vie, de leurs sentiments ou d’une situation complexe.
Dans ce dernier cas, The Big Short : Le Casse du Siècle fonde un exemple intéressant, à la différence près que les personnages qui brisent le quatrième mur ne font pas partie du récit d’origine. Ici, Adam McKay fait appel à des célébrités comme Selena Gomez pour expliquer la crise des subprimes, tout en rendant le procédé complètement méta grâce à la présence de Margot Robbie, apparue chez Scorsese deux ans auparavant. Grâce à cet élément de mise en scène inventif qu’est le quatrième mur, le réalisateur du récent Don’t Look Up, et tant d’autres, défient les stéréotypes de la narration classique et de la caractérisation. Mais la métafiction ne s’arrête pas là et peut se décliner de nombreuses façons.
Les diverses méthodes de la métafiction
L’exemple le plus parlant au cinéma reste encore aujourd’hui Scream. En diffusant un film d’horreur à l’intérieur du film d’horreur mais aussi en énumérant, à travers un personnage, les codes de l’épouvante, Wes Craven a offert une œuvre méta inédite. Des films comme La Cabane dans les Bois ou Bienvenue à Zombieland ont par la suite repris ce principe, utilisant la satire pour expliquer la nature brutale avec laquelle une adaptation brise la fiction classique.
Si la métafiction appartient, à l’origine, davantage au septième art, la diffusion de la série Community a rebattu les cartes. Grâce à son slogan « six seasons and a movie », la sitcom a surfé sur la métafiction. Par ailleurs, à travers la cinéphilie d’Abed, les créateurs interprètent souvent les aventures du groupe comme le scénario d’une sitcom, les comparant aux clichés des séries télévisées. Certains parlent ainsi de métahumour pour décrire l’identité de Community, un adjectif qui définit aussi l’univers de Rick & Morty, côté série d’animation.
Sortes d’ovni cinématographiques, ces œuvres ont apporté quelque chose d’unique grâce à leur ton et à leur manière de construire les personnages et l’histoire. Mais le fond comme la forme peuvent parfois être mal interprétés. Certains films, comme Fight Club, ne vont pas rencontrer leur public directement, car jugés trop méta au moment de leur sortie. La fin de Sacré Graal, mettant en scène la quête du roi Arthur avant que ses personnages ne soient arrêtés, n’avait pas non plus su convaincre par son absurdité, tout comme Twin Peaks de David Lynch, que de nombreux sériephiles ont eu du mal à comprendre, avant de crier au chef-d’œuvre.
Ratée ou pas, la métafiction est souvent une affaire de sentiments. Certains techniques fonctionnent, car elles vont défier, avec irrévérence, les codes d’un genre. Ceci passe notamment par l’introduction d’une fiction dans une fiction. On pense alors à La Cité de la peur qui reprend plus ou moins subtilement les codes du slasher ou à Tonnerre sous les tropiques dans lequel Ben Stiller filme les coulisses du divertissement à travers un tournage. Des bandes-annonces aux cérémonies de récompenses, tout y passe.
La métafiction se sert des personnages pour dépasser le cadre basique de la fiction. Le but ici est de jouer avec la dichotomie entre le personnage et l’acteur. On le retrouve dans Ocean’s Twelve dans lequel le personnage de Julia Roberts, Tess Ocean, se retrouve forcé d’incarner Julia Roberts pour que l’équipe de son mari procède au casse. Dans sa comédie philosophique, La Rose Pourpre du Caire, Woody Allen brouille également les frontières, en faisant sortir Tom Baxter de l’écran durant une projection.
Ceci étant dit, la métafiction est utilisée de diverses façons pour briser la délimitation classique entre le réel et la fiction. Souvent à travers la satire et l’humour, elle permet à une création de se réinventer, d’imposer son style, sa mise en scène, mais surtout de rapprocher le public de l’adaptation. C’est peut-être d’ailleurs pour cette raison que ces procédés séduisent autant les cinéphiles. Une occasion inventive et amusante de plonger dans la magie du divertissement.