[Rentrée littéraire] Dans son thriller post-pandémie, Lauren Beukes imagine un monde sans hommes – ou presque. Et dans la fuite éperdue d’une femme blanche à travers les États-Unis avec son fils noir, elle imagine un monde où la disparition brutale du patriarcat ne résout pas tous les problèmes.
Autrice sud-africaine ayant longtemps vécu aux États-Unis, Lauren Beukes est connue pour ses œuvres de science-fiction (Moxyland, 2014) et de fantasy (Zoo City, 2013) qui bousculent les préjugés sur le genre, la race et l’identité. Dans son dernier roman, Afterland, écrit au début de la pandémie liée au Covid-19, elle imagine un monde où une maladie semblable à la grippe évolue chez les hommes en cancer de la prostate fulgurant. Deux ans après, 99,9 % d’entre eux ont disparu. Dans ce contexte, Cole, une Sud-Africaine blanche, se retrouvée coincée aux États-Unis au décès de son mari, un scientifique américain noir, avec Miles, son fils pré-adolescent. Elle n’a alors plus qu’une idée en tête : faire sortir son fils du pays et rentrer chez eux, avant que le gouvernement ne le récupère pour en faire un sujet d’expérience. Mais la sœur de Cole, elle, veut mettre la main sur Miles dans le but de vendre ce qui est devenu « l’or blanc » (son sperme) aux plus offrantes. Une course-poursuite s’engage alors entre les deux sœurs dans les bas-fonds d’une Amérique aussi violente et déchirée qu’avant la pandémie.
Loin des nazis du quotidien, des tueries si fréquentes qu’elles faisaient désormais presque partie du calendrier scolaire, au même titre que le bal de fin d’année ou la saison de foot, loin de la lente mise à mort de la démocratie, des flics à la gâchette facile et de la terreur d’élever un fils noir en Amérique. Comment faites-vous pour vivre à Johannesburg ? lui demandait-on en Amérique (et particulièrement Devon, son mari américain). N’est-ce pas trop dangereux ? Elle avait envie de leur répondre : Et vous, comment faites-vous pour vivre ici ?
Lauren BeukesAfterland
Avec un tel point de départ, Afterland aurait pu être une fresque gigantesque sur le nouveau visage des États-Unis post-pandémie ou du nouvel ordre mondial qui s’est imposé peu à peu à la disparition des hommes. Mais Lauren Beukes préfère rester dans le domaine de l’intime, avec un thriller psychologique où chaque chapitre est raconté du point de vue de l’un des trois personnages principaux : Cole, la mère ; Miles, le fils qui découvre les premiers émois de l’adolescence dans leur fuite ; et Billie, la sœur cadette de Cole, ambitieuse et lâche. Par leur prisme, l’autrice donne à voir des États-Unis où la disparition d’une moitié de l’humanité n’a pas résolu les problèmes de violence, de racisme, ou d’extrémismes religieux. Plus intéressant encore, elle raconte un monde dans lequel persistent les violences patriarcales – comme si toute une partie de la population féminine ne pouvait se définir qu’en référence aux hommes et à la masculinité.
Mais ce que Lauren Beukes s’attache tout particulièrement à montrer, c’est le lien entre une mère et son fils, le fait que la maternité n’est pas un état naturel, mais une expérience au contraire toujours pleine d’incertitudes et de peurs de « mal faire ». Si le thème de la survie dans un contexte pandémique et au coeur d’une société gangrénée par les violences est particulièrement attirant pour le lectorat, c’est ainsi surtout l’évolution de ces personnages si atypiques pour un thriller qui va retenir l’attention tout au long des 512 pages du roman, alors qu’on se demande jusqu’au bout s’ils parviendront à retrouver l’Afrique, « berceau de l’humanité ».
Ouais, c’est vraiment pas de bol, Miles. Je ne suis pas ta copine. Je suis ta mère. C’est mon boulot. Je prends les décisions. Je sais que tu grandis. Je sais qu’à un moment, je devrais te laisser partir tout seul dans le monde. Mais pas encore. Je me suis battue pour toi toute ma vie, et je veux ce qu’il y a de mieux pour toi.
Lauren BeukesAfterland