Entretien

Wagner Moura pour L’agent secret : “Je veille à choisir des rôles politiques”

15 décembre 2025
Par Pauline Weiss
Wagner Moura dans “L'agent secret”, en salle le 17 décembre 2025.
Wagner Moura dans “L'agent secret”, en salle le 17 décembre 2025. ©2025 CinemaScópio - MK Production - One Two Films - Lemming

Dix ans après avoir incarné Pablo Escobar dans la série à succès « Narcos », l’acteur brésilien Wagner Moura a reçu au Festival de Cannes, en mai 2025, le prix d’interprétation masculine pour son rôle dans « L’Agent Secret » de Kleber Mendonça Filho. Il est désormais également en lice pour un Golden Globe alors que le film sort dans les salles françaises le 17 décembre prochain. Rencontre.

Il était l’un des favoris de la compétition du 78e Festival de Cannes. Le 24 mai 2025, L’agent secret, quatrième film du Brésilien Kleber Mendonça Filho, est le seul à avoir décroché deux prix : celui de la mise en scène pour son réalisateur et celui d’interprétation masculine pour son acteur principal, Wagner Moura.

À 49 ans, l’acteur dont la carrière a débuté dans son pays natal au début des années 2000 avant de se poursuivre également aux États-Unis, la décennie suivante (la série Narcos, Civil War d’Alex Gardland plus récemment), trouve dans ce thriller un rôle complexe qu’il déploie pendant plus de deux heures et demie. Dans le Brésil de la fin des années 1970, aux environs de Recife, Marcelo (parfois appelé Armando) est un véritable héros au parcours mystérieux qui se retrouve menacé de mort en pleine dictature militaire.

La bande-annonce de L’agent secret.

Alors que sa prestation époustouflante sera à découvrir au cinéma le 17 décembre et qu’il reviendra en France pour se produire au Festival d’Avignon, en juillet 2026, Wagner Moura s’est confié à L’Éclaireur lors de son passage en France avant la saison des prix à Hollywood. Premier acteur brésilien nommé pour le Golden Globe du meilleur acteur dans un film dramatique, il pourrait encore entrer dans l’histoire du cinéma début janvier.

On vous rencontre en France quelques mois après votre prix d’interprétation au Festival de Cannes. Qu’avez-vous ressenti en le recevant ?

Je n’étais pas là. J’étais en tournage à Londres, c’était un week-end et ce n’était pas prévu, mais j’ai dû faire quelques prises supplémentaires avec des gens que je ne connaissais même pas. Je ne m’attendais pas du tout à recevoir un prix même si je pensais que le film avait ses chances. Un des membres de l’équipe m’a appelé en vidéo, j’ai vu l’image de Kleber sur scène et j’ai pensé qu’il avait gagné le prix de la meilleure réalisation… Et puis j’ai compris.

Juste après, j’ai été appelé pour retourner sur le plateau de tournage, filmer une scène où je mettais un sac en plastique sur ma main et où je ramassais de la merde de chien. Mais j’ai reçu le prix quelques semaines plus tard, à Paris, des mains de Juliette Binoche [Ndlr, présidente du jury du Festival de Cannes 2025].

Quel est votre rapport au cinéma français ?  

Le cinéma français a eu un énorme impact sur tout le monde, mais aussi sur un mouvement cinématographique très important au Brésil : le Cinéma Novo. Des réalisateurs comme Glauber Rocha, Carlos Diegues, Leon Hirszman ont été énormément influencés par Truffaut et Godard. Et d’une certaine manière, je pense que L’agent secret est venu de ce moment-là où les gens pensaient que les films, la musique, l’art et la politique pouvaient changer le monde. Les films politiques, la tradition de faire des films politiques au Brésil est très influencée par ce que les Français faisaient à l’époque.

Comment avez-vous rencontré Kleber Mendonça Filho avec qui vous vouliez tourner depuis longtemps ?

La France est très spéciale pour nous… On s’est rencontrés au Festival de Cannes il y a 20 ans. Il était critique et je venais présenter Bahia, ville basse de Sergio Machado. Cela faisait vraiment longtemps qu’on voulait faire quelque chose ensemble. Tout le monde nous demandait d’ailleurs quand est-ce que ça allait arriver. Bizarrement, ce qui nous a réunis, c’est Bolsonaro, le président fasciste du Brésil. Entre 2018 à 2022, le Brésil a vraiment été difficile à comprendre. L’agent secret est le résultat de cette complexité qui se passait alors au Brésil. Donc peut-être que si Bolsonaro n’avait pas été président… Disons que nous réunir est probablement la seule chose positive qu’il ait réalisée indirectement dans sa vie.

 » Pendant le tournage, on parlait tout le temps de politique parce qu’il fallait se mobiliser contre ce gouvernement dont nous connaissions les conséquences. »

Wagner Moura

Après 25 ans de carrière, quand on tourne avec un cinéaste qui fait partie de sa liste de rêve, que ressent-on, qu’apprend-t-on ? Qu’avez-vous appris de ce film, de Kleber, votre ami ?

C’est l’une des meilleures collaborations de ma carrière. C’est le premier film qu’on a fait ensemble, mais pas le dernier, je l’espère. Kleber est un réalisateur unique qui est devenu un très bon ami. Je pourrais passer toute cette interview à raconter ce que je pense de lui [Rires]. Je ne pense pas que tous les réalisateurs doivent être cinéphiles ou avoir été critiques, pour devenir réalisateurs. Mais lui sait tout sur l’histoire du cinéma. Il aime les films américains des années 1970. Il utilise des objectifs anamorphiques, des zooms… Et pourtant, il a réussi à transformer toutes ces influences en quelque chose de très personnel et de très brésilien. Il incorpore des éléments de la culture brésilienne et du folklore dans ses œuvres pour créer une familiarité.

En voyant ses films on peut se dire : “je connais ce lieu, je peux le sentir”. Il crée aussi un sens de mystère. Dans une scène très ordinaire, tu te dis : “quelque chose de terrible va se passer”. Il donne de l’importance à chaque personnage du film, même pour celui qui dit seulement deux phrases.

Le personnage que vous incarnez, Marcelo, restera majeur dans votre filmographie. Avez-vous aimé l’incarner ? Qu’aimez-vous chez lui ?

J’ai adoré. Il très proche de moi. Pendant le tournage, on parlait tout le temps de politique parce qu’il fallait se mobiliser contre ce gouvernement dont nous connaissions les conséquences. Les thématiques du film étaient très proches de moi et de Kleber. Je savais ce qu’allait être le film même avant de lire le scénario.

Wagner Moura dans L’agent secret. ©Victor Juca

Le récit commence en 1977, au milieu de la dictature militaire au Brésil. Vous êtes né un an plus tôt. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?

J’ai beaucoup de souvenirs d’autant plus que la dictature n’a pas vraiment pris fin en 1985. Les échos de la dictature ont duré. Bolsonaro est une manifestation physique de cela, mais aussi de l’histoire du pays, du colonialisme, de l’impérialisme américain, de l’esclavage, de la violence. Il n’est pas venu du Mars, il est venu des bases profondes de ce pays. Un pays qui est aussi brillant, divers, fascinant, complexe, culturel, incroyable… J’aime d’ailleurs la scène où Marcelo réalise que des hommes le recherchent. Il descend et se rend compte qu’il y a un carnaval : c’est très brésilien comme situation. Il y a la tristesse et la peur, mais on peut aussi rire.

Pendant cette période, on était des êtres humaines comme les autres. Quand je tournais Narcos en Colombie, j’ai demandé à des amis comment ils vivaient à Bogotá dans les années 1980. “On partait, on allait dans les bars, on vivait nos vies, on dansait et exprimait notre volonté de vivre”, m’ont-ils répondu. Je me souviens d’ailleurs quand mon père est mort, j’étais avec ma mère et ma sœur dans une pièce, on s’est souvenus de lui et on ne s’arrêtait pas de rire. C’est comme ça qu’on est, des êtres humains.

En 2019, avez d’ailleurs réalisé Marighella, un film sur la dictature brésilienne…

Oui, j’ai réalisé ce film parce que je me souviens bien de la dictature ; de la façon dont les gens disparaissaient. C’était important de le réaliser à ce moment-là [Ndlr, l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro]. 

La bande-annonce de Marighella.

Quels films brésiliens recommanderiez-vous à un public français qui a envie de découvrir ce cinéma ?

Je vais vous en partager cinq de différentes périodes, tous politiques, qui sont très importants pour moi et me viennent rapidement à l’esprit : Sécheresse de Nelson Pereira Dos Santos (1963), Cabra Marcado para Morrer d’Eduardo Coutinho (1984), Bye Bye Brasil de Carlos Diegues (1980), Pixote, la loi du plus faible d’Héctor Babenco (1981) et Terre lointaine de Walter Salles et Daniela Thomas (1995).

La bande-annonce de Terre lointaine.

Vous vivez aux États-Unis. En tant qu’acteur engagé qui prend parole sur les sujets politiques, comment vivez-vous sous cette nouvelle présidence de Donald Trump ?

J’aime débattre, j’aime la confrontation et je n’ai pas peur de ces choses. Je pense que L’agent secret est un film qui parle de quelqu’un qui tient à ses valeurs. C’est le moment pour les Américains de tenir leurs valeurs. Et je veille justement à choisir des rôles politiques.

Il y a dix ans, vous avez connu un succès international en jouant le rôle de Pablo Escobar dans la série Narcos, qui vous a aussi ouvert à un autre public. Quel regard portez-vous sur ces dix dernières années ? Les choses ont-elles changé pour vous ?

C’est difficile de répondre à cette question. Je pense que ça n’a pas changé grand-chose. Et vous, comment était votre vie 10 ans auparavant ?

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Cela ne veut pas dire que je ne reconnais pas que Narcos est la chose la plus populaire que j’ai faite. Tout le monde a vu cette série, et d’ailleurs aujourd’hui encore, tout le monde me présente comme “Wagner Moura de Narcos”. Et j’aime cela parce que ça a résonné avec le public. J’ai un bon souvenir de cette période. J’ai vécu en Colombie, j’ai appris l’espagnol, mes enfants ont appris l’anglais…

Avez-vous un dernier coup de cœur culturel à nous partager ?

Le dernier film que j’ai vraiment aimé et qui m’a beaucoup touché : Valeur sentimentale.

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