Rencontre avec le grand mage des lettres britanniques à l’occasion de la parution de son nouveau roman, Le cercle des jours.
Ken Follett remonte le temps et nous plonge 2 500 ans avant notre ère, aux fondations d’un édifice qui alimente légendes et mystères : Stonehenge. Comment cet étrange monument mégalithique, sorte d’autel circulaire composé de gigantesques blocs de pierre, a-t-il pu être érigé à un âge si reculé ? Pourquoi ? Avec quel rôle et quelle signification ? L’auteur tente de répondre à toutes ces questions, associant un travail acharné de reconstitution historique et un talent éblouissant pour combler les vides par la fiction.
Vous étiez au Théâtre de la Madeleine pour une soirée exceptionnelle avec vos lecteurs français ; comment s’est passée cette rencontre ?
C’était merveilleux ! La salle était pleine à craquer, il y avait même des gens assis par terre. Les questions ont fusé dans tous les sens, il a fallu tempérer l’enthousiasme du public, c’était fou. J’ai adoré l’expérience.

Vous venez tout juste d’obtenir la nationalité française, pour vos nombreuses actions de soutien à Notre-Dame de Paris, mais aussi pour votre défense indéfectible de la culture française. Comment décririez-vous le lien qui vous unit à la France ?
Depuis les années 1980, je viens régulièrement en France. J’ai même habité quelques années sur la Côte d’Azur. Au fur et à mesure, je me suis senti de plus en plus français dans ma manière de vivre. Le rapport à la nourriture, par exemple, le cérémonial du repas, le verre de vin… Mais aussi le poids de la culture dans les discussions. En Angleterre, toute discussion sérieuse est vite balayée pour parler football. Ici, on aime les débats intellectuels, on peut se fâcher à propos de cinéma, de littérature. Je me reconnais beaucoup là-dedans.
Justement, la littérature française a-t-elle exercé une influence sur votre œuvre ?
Ma découverte de la littérature française est en fait assez tardive. Au début de la trentaine, j’ai commencé à lire Alexandre Dumas, mais aussi Victor Hugo, Proust, puis, plus tard, des auteurs comme Patrick Modiano, que j’adore. Cette manière de nous entraîner dans Paris, d’en connaître les moindres recoins, c’est fabuleux. Mais les influences les plus importantes remontent à plus loin. Ce sont les livres que j’empruntais à la bibliothèque quand j’étais petit ; c’était un moment magique, je dévorais des romans d’aventure, de la science-fiction et bien sûr des récits historiques.
Les piliers de la terre nous offrait une immersion au Moyen-Âge, son prequel, à l’époque des Vikings, La chute des géants nous faisait revivre la Première Guerre mondiale… Avec Le cercle des jours, on remonte dans le temps pour plonger dans la Préhistoire. Qu’est-ce qui vous passionne tant dans cet exercice de reconstitution historique ?
Ce que j’aime par-dessus tout, c’est comprendre l’évolution des époques et des sociétés. Explorer le passé, c’est interroger le présent. Prenez la liberté, par exemple. Aujourd’hui, elle est sur toutes les lèvres, c’est une évidence, mais, il y a quelques siècles, cette notion n’existait même pas. Tout le monde vivait sous le joug d’une tyrannie, quelle qu’elle soit – un roi, un empereur, un tsar. Les différentes luttes pour la liberté à travers les époques me fascinent. Le droit de vote ou la liberté de culte sont des acquis fondamentaux qui ont mis tellement de temps à s’imposer, qui ont généré tellement de drames. Ça, c’est pour le volet plus politique, mais il y a aussi un volet humain. J’aime raconter ce que c’était concrètement de vivre à telle ou telle époque, comment on se nourrissait, comme on se soignait, comment on s’aimait ou réglait nos comptes aussi, parce que ce sont des pulsions qui existent depuis la nuit des temps.
Les recherches préalables à l’écriture ont une grande importance dans votre manière de travailler. Mais, avec Le cercle des jours, qui s’attache à la Préhistoire, le défi était tout autre. Comment avez-vous procédé ?
Effectivement, je n’avais aucune documentation à disposition. Mais j’avais en revanche accès à de nombreuses fouilles archéologiques. Les outils retrouvés m’ont renseigné sur l’importance du silex, par exemple. On a retrouvé des armes, bien sûr, mais aussi des structures d’habitat et même les ancêtres des toilettes !
Comment construire de la fiction à partir de vestiges ?
Je vais vous donner un exemple tout simple qu’on peut retrouver à plusieurs moments du Cercle des jours. Si un archéologue a trouvé des milliers de silex enfouis au même endroit, vous pouvez partir du principe qu’il y a eu une bataille et là, c’est l’imaginaire qui prend le relais, vous vous rejouez la scène dans votre tête, vous la faites revivre grâce à l’écriture.
Je voudrais qu’on évoque Stonehenge : qu’est-ce que ça représente pour les Anglais ?
C’est l’endroit le plus touristique de Grande-Bretagne après Londres. C’est drôle, parce qu’il y a 15 ans, ma femme, qui était alors ministre de la Culture, en a fait l’un de ses chevaux de bataille. Avant, on pouvait arriver en voiture, se garer devant et visiter le monument. Aujourd’hui, tout est fait pour le protéger et surtout pour faciliter une immersion totale. Forcément, nous avons un attachement particulier à ce monument, puisque c’est une trace laissée par nos ancêtres. Qui est plus est, une trace mystérieuse : des mégalithes de sept ou huit mètres de haut, érigés d’une étrange manière pour on ne sait quelle raison. Ça participe de la fascination collective. Certains avancent que ce sont les aliens, d’autres évoquent des géants irlandais, d’autres encore assurent que c’est Merlin l’enchanteur le responsable. Rien de tout ça n’est dans mon livre, puisque rien de tout ça n’est vrai.
À l’image de votre saga culte Les piliers de la terre, ce nouveau roman interroge la figure des bâtisseurs. Qu’est-ce qui vous obsède chez eux ?
J’aime l’idée que ce soient des petites gens, et pas des puissants, qui, en suant sang et eau, aient bâti des monuments capables d’offrir à l’humanité une part d’éternité.
Vous aimez vous décrire comme un romancier populaire, un terme qu’on a encore du mal à ne pas dénigrer en France…
Je n’attache aucune importance au snobisme littéraire. Je crois qu’il faut être très conscient de ce qu’on écrit et surtout de ce qu’on écrit bien. Je pourrais essayer d’écrire des romans pour plaire à la critique ou pour essayer de remporter le prix Goncourt, mais je ne serais pas bon, parce que ce n’est pas ce que j’aime ni ce que j’ai au fond de moi. Je suis passionné par les romans historiques que j’écris, c’est ça qui m’obsède. Finalement, je crois que je n’ai pas d’autre choix que d’être un romancier populaire et j’en suis fier !
Vous avez dit tout à l’heure qu’explorer le passé, c’est interroger le présent. On vit aujourd’hui une époque particulièrement trouble. Quel regard portez-vous sur le monde ?
Vous savez, je suis né en 1949, j’ai grandi au cœur de la guerre froide, donc je suis habitué aux menaces inquiétantes, aux promesses de danger imminent… mais c’est vrai que le monde semble prêt à exploser de toute part. Surtout, il est devenu encore plus imprévisible. Quelle folie diplomatique Trump va-t-il encore inventer ? Les marchés vont-ils s’écrouler et plonger le monde dans une nouvelle crise économique ? Impossible d’avoir une vision nette de notre futur.
Quel peut être selon vous le rôle de l’écrivain dans ce chaos ambiant ?
Je ne crois pas aux romans qui vous adressent des messages, vous incitent à prendre telle ou telle position. Mais, nous autres romanciers avons tout de même un rôle à jouer. Avec nos histoires, on doit contribuer à élargir les imaginaires, à élargir les horizons. Raconter la vie de personnes différentes de nous, dans d’autres lieux, d’autres époques, montrer la souffrance de certaines personnes ou communautés, c’est aussi faire naître une empathie qui manque cruellement à nos sociétés. Se mettre à la place de quelqu’un d’autre, même si c’est un personnage de fiction, tenter de comprendre, de partager ses émotions, c’est le point de départ d’un monde plus humain.