Pour survivre à son vieillissement, Magic: The Gathering multiplie les crossovers. Résultat : un succès commercial historique, mais une fracture profonde entre les anciens et les nouveaux joueurs.
Des gobelins, des elfes, des zombies et des dragons. Pour les vieux de la vieille, Magic: The Gathering ressemble à un multivers composé d’un ensemble cohérent de mondes connectés à un même lore. Mais, pour les nouveaux joueurs, ce n’est pas la même histoire. En 2020, le plus vieux jeu de cartes à collectionner s’ouvre à une édition spéciale avec The Walking Dead. C’est une première : des personnages d’une franchise extérieure deviennent désormais des cartes jouables. Personne ne pouvait s’en douter, mais ce n’était qu’un début.
Cinq ans plus tard, les collaborations avec des licences prestigieuses comme Final Fantasy ou Assassin’s Creed sont désormais monnaie courante, et même regroupées dans une catégorie à part : les « Universes Beyond ». Les cartes basées sur l’univers original de Magic se font logiquement de plus en plus rares. Le 26 septembre dernier, lors de la présentation des extensions à paraître en 2026, les crossovers ont clairement pris l’ascendant. Au programme : de nouvelles cartes inspirées par les super-héros Marvel, par les personnages du Hobbit de Tolkien, par les aventures des Tortues Ninja et par l’univers de Star Trek. Sur les sept sets prévus, quatre seront issus des « Universes Beyond ».
Une communauté historique méfiante
Cette tendance est accueillie sans éclats de joie par la communauté historique. « J’ai un avis partagé sur le sujet, admet Théo, qui joue depuis une quinzaine d’années. La collaboration avec le Seigneur des anneaux se fondait bien dans l’univers Magic, comme ce sont deux licences d’heroic fantasy. Le problème, c’est que beaucoup d’autres extensions collent moins à la trame narrative du jeu. » Intéressé par l’aspect compétitif du jeu, ce trentenaire est d’autant plus déçu qu’il est obligé d’acheter des cartes de ces extensions s’il veut être dans le coup. Théo se montre donc « méfiant » vis-à-vis de l’avenir de la licence.
Joël, 37 ans, est lui aussi un peu déçu. Collectionneur de longue date, il a repris MTG il y a quatre ans avec enthousiasme, avant de déchanter. Au-delà des univers, pour lui, le jeu n’a plus l’équilibre qui faisait son charme. « On dirait qu’il est développé par des gens qui ne le comprennent pas et qui se moquent des autres cartes existantes, confie-t-il. C’est peut-être la raison d’un tel acharnement à développer ces “univers au-delà” : personne ne verra que c’est raté. » Mais si les anciens joueurs n’y trouvent pas toujours leur compte, ce n’est pas le cas des équipes de Magic: The Gathering. En effet, le jeu n’a jamais aussi bien marché.
Une dynamique qui vient de loin
Ces crossovers sont au centre d’une stratégie de rajeunissement. Quitte à perdre une partie de sa communauté, la licence a choisi, dans les années 2020, de se renouveler pour ne pas se cantonner à un public vieillissant. Et quoi de mieux qu’attirer les fans d’autres franchises pour créer une dynamique et faire de ses produits des objets pop ? Comme d’autres licences avant elle, Magic a donc choisi de ne plus se limiter à son support d’origine. Les collaborations ne sont plus seulement un clin d’œil, mais un modèle économique à part entière.
Cette voie empruntée par LEGO depuis 20 ans a fait ses preuves. En perte de vitesse dans les années 1990, le jeu de construction danois est aujourd’hui partout. Magic connaît le même triomphe. Fin juillet, son propriétaire Hasbro a annoncé dans un communiqué que sa collaboration avec Final Fantasy était son plus grand succès. Depuis trois ans, MTG franchit même le milliard de dollars de chiffre d’affaires. Cette croissance donne des ailes : une série Netflix en animation va même se baser sur le lore original du jeu de cartes. Pas sûr que cela suffise pour autant à mettre du baume au cœur des vieux de la vieille.