
À l’occasion de la sortie de la deuxième saison d’Escort Boys le 13 juin sur Prime Video, L’Éclaireur a échangé avec les acteurs et le réalisateur Ruben Alves sur les thématiques de cette série hybride.
Chevaux au galop, torses poussiéreux, sueur au front : dès les premières images, Escort Boys s’amuse à brouiller les pistes. Derrière ces silhouettes de cow-boys virils, pas de héros de western, mais quatre potes de la campagne française, fauchés et paumés, qui s’improvisent escorts pour sauver la ferme apicole familiale.
La série, déviante et burlesque, a surpris en 2023 par son ton hybride, entre comédie décomplexée – mais jamais idiote – et satire sociale. La deuxième saison, attendue le 13 juin sur Prime Video, revient avec des personnages encore plus cabossés, rattrapés par la réalité.
Guillaume Labbé, Corentin Fila, Thibault Evrard, Simon Ehrlacher, Marysole Fertard et le réalisateur Ruben Alves reviennent avec nous sur cette saison plus âpre, et sur ce qu‘Escort Boys raconte en creux : la marchandisation des corps, l’intimité, la masculinité, et ce qui, envers et contre tout, tient des personnages ensemble.
Là où la première saison posait un cadre résolument comique, tout en abordant des questions de fond, la deuxième prend un virage plus sombre. Pourquoi ce changement de ton ?
Guillaume Labbé : On ne voulait pas refaire la même chose. Les personnages ont traversé beaucoup d’épreuves dans la première saison, ça les a profondément changés. Faire de l’escorting pendant plusieurs mois, ça laisse des traces – sur le corps, l’esprit, le rapport aux autres. Les retrouver aussi naïfs, avec la même légèreté, n’aurait tout simplement pas eu de sens.

Ruben Alves : Ils grandissent, tout simplement. Cette saison, ils deviennent adultes, et leurs problématiques changent : les parents vieillissent, la maladie surgit, il y a des séparations, la question de la paternité… Ce sont des poids qu’on ne porte plus de la même manière lorsqu’on quitte l’insouciance.
Thibault Evrard : Dans la première saison, le récit se concentrait surtout sur les clientes. Nous, les garçons, restions dans une forme de légèreté. Mais cette fois, il se penche davantage sur les conséquences que ce métier peut avoir sur ceux qui le pratiquent.
Quels effets cela a-t-il sur les personnages ?
T. E. : Les conséquences varient selon les personnages. Pour Ludo, par exemple, ça prend la forme d’une addiction. Pour Mathias, c’est l’impossibilité d’établir une relation intime avec une femme… Le but, c’était de montrer l’envers du décor pour chacun.

Corentin Fila : Zac aussi évolue fortement. Dans la première saison, il avait une énergie adolescente, une forme d’insouciance, presque de candeur. Dans la suite, c’est l’âge de raison. Il est plus ancré, plus sombre, il traverse un vrai parcours de revanche sociale. Il est aussi confronté à des questions d’“objectification”, de racisme.
Simon Ehrlacher : Mathias, de son côté, fait face à d’autres dilemmes – notamment familiaux – qui exacerbent la complexité de sa situation. Cette bascule exigeait de ma part une sincérité totale, pour que ça ne sonne pas faux. J’ai eu la chance que Ruben me laisse une vraie liberté dans le jeu et Marysole m’a beaucoup apporté dans nos scènes.
Et Charlie, dans tout ça ? Quelle place occupe-t-elle dans cette saison plus tourmentée ?
Marysole Fertard : Dans cette saison 2, tout le monde est un peu à la dérive, avec ses propres fêlures… Mais Charlie, elle, reste debout. Elle a grandi, elle s’affirme, elle guérit aussi, parce qu’elle n’est plus seule – même si Mathias s’éloigne. Elle continue de craindre pour son domaine, elle s’épuise à chercher des solutions, mais elle ne lâche rien. C’était une vraie chance, en tant qu’actrice, de pouvoir suivre une telle trajectoire, avec deux ans d’écart entre les tournages. On revient avec du recul et une autre énergie.

La série aborde une multitude de sujets. S’il ne fallait en retenir qu’un seul, lequel serait-ce ?
G. L. : Ce qui m’a le plus touché, c’est la notion de terre. Mon personnage est profondément lié à son territoire, à son histoire familiale. Il se demande jusqu’où il peut aller pour garder sa maison, quitte à mettre en péril ses liens les plus intimes. Il y a cette phrase, dite par un prêtre dans la saison : “Qu’est-ce que tu emportes ? Ta maison ou les liens ?”

R. A. : Pour moi, ce serait la fraternité. C’est, au fond, l’histoire de gens qui avancent ensemble. Réussir, oui, mais si c’est en laissant les autres derrière soi, à quoi bon ? Chacun des personnages est confronté à ce dilemme : Mathias face à la maladie de sa mère, Ludo dans son combat contre l’addiction, Guillaume dans sa lutte pour conserver sa propriété… Mais, à un moment, ils doivent se retrouver. C’est là, je crois, que réside la vraie force du récit.
La Camargue joue un rôle presque symbolique dans la série. Pourquoi ce choix ?
R. A. : Quand la productrice m’a parlé de cette région, je ne la connaissais pas. Mais en la découvrant, j’ai tout de suite su que c’était le bon endroit. C’est un territoire rude, où l’on ne débarque pas comme ça. J’ai passé du temps avec les habitants, chez Bob par exemple, une véritable institution locale. Un jour, on m’a dit : “Tout le monde a voulu tourner ici. On a toujours dit non. Mais toi, tu vas tourner là.” C’était très fort. Et cette puissance se ressent dans les images : la virilité, le cheval, le taureau… Tout cela participe à la symbolique de la série.

Cette puissance passe aussi par une certaine frontalité, notamment dans les scènes de nudité. Comment avez-vous abordé ces séquences ?
S. E. : Pour pouvoir jouer ce genre de scènes, il faut d’abord accepter son corps. Ce n’est pas évident d’être nu devant une équipe de 30 personnes. Il y a une barrière de pudeur à franchir. Mais une fois que c’est fait, ça devient une scène comme une autre.
C. F. : Je pense notamment au premier épisode de la saison 2, avec la séquence de l’orgie. On s’est retrouvés face à 80 figurants nus, avec des paillettes partout. On était tous séparés, mais on passait une tête pour voir ce que vivaient les autres… C’était à la fois fou, absurde et amusant !

Je pense qu’être quatre acteurs à tourner – auxquels s’ajoutent les comédiennes qui jouent les clientes – rend l’expérience décomplexante. On a chacun un rapport différent à la nudité, mais on sait qu’on est tous passés par là. Si j’avais été seul à tourner, cela aurait peut-être été plus difficile.
T. E. : Pour la première saison, on est partis avec une confiance aveugle en Ruben. On a immédiatement vu qu’il filmait avec justesse, que son approche était stylisée, jamais gratuite. Du coup, pour la seconde, on avait déjà cette confiance et cette expérience. Même quand c’est cru, ce n’est jamais vulgaire.

G. L. : En fait, c’est toujours du cas par cas. L’important, c’est de discuter à l’avance avec les comédiennes : qu’est-ce qui peut être montré ? Qu’est-ce qui peut être touché ? Il faut que ce soit clair dès le départ. Parce que quand tu joues, tu ne dois pas être dans le doute.
Côté mise en scène, comment avez-vous pensé ces scènes souvent très exposées ?
R. A. : L’objectif était de filmer le désir, pas l’exhibition. Il y a plus de gros plans dans cette saison, mais c’est toujours dans une logique de bienveillance. Certaines comédiennes m’ont dit : “Je n’aime pas telle partie de mon corps, mais je veux qu’on montre le reste.” C’est une manière de revendiquer la diversité des corps et leur capacité à ressentir du plaisir.
M. F. : C’est une question de regard. Au début, j’étais très pudique. Et puis, à force, on comprend que le corps est un outil. Avec Ruben, on sait qu’on est entre de bonnes mains. Tous les corps sont beaux dans Escort Boys : il filme avec respect.