Dix ans après sa sortie, le best-seller de l’auteur de bandes dessinées Fabcaro est devenu un classique du 9e art. À l’occasion de cet anniversaire, retour sur un succès littéraire qui a remis l’absurde au goût du jour.
Il y a dix ans, le 21 mai 2015, un auteur de bande dessinée oublie sa carte de fidélité au moment de faire ses courses. Après avoir menacé le vigile du supermarché avec un poireau, il s’enfuit. S’ouvre alors une folle course-poursuite, une véritable traque du bédéiste devenu fugitif et ennemi public numéro un. Ce scénario au sommet de l’absurde, c’est celui de Zaï Zaï Zaï Zaï (6 pieds sous terre), le chef-d’œuvre de Fabrice Caro, alias Fabcaro, qui fête cette année sa première décennie.
L’absurde poussé à son paroxysme
Il fallait oser. Des planches plus loufoques les unes que les autres et une farandole de personnages hauts en couleur : un auteur de BD en cavale (le double de fiction de Fabcaro), un policier qui parle couramment le lozérien, un ingénieur en « exothermie des liaisons moléculaires », un groupe de gospel qui fait du stop ou encore un homme passionné par les appareils à raclette. C’est le pari réussi de Fabcaro : prendre une situation banale et la faire déraper.
Mais ce n’était pas gagné d’avance. À sa sortie en 2015, l’album était destiné à rester confidentiel, avec seulement 2 500 tirages. L’auteur qualifiait lui-même ce récit de « trop absurde et trop décalé ». Mais c’est justement dans le « trop » que Fabcaro excelle. La preuve : dix plus tard, les ventes se sont envolées et la BD cumule des centaines de milliers d’exemplaires vendus.
Le secret d’un tel succès ? L’auteur du roman-photo Guacamole vaudou (Seuil, 2022) avec Éric Judor, de l’album Moins qu’hier, plus que demain (Glénat, 2018), ou encore de L’iris blanc (éditions Albert René, 2023), le dernier tome de la légendaire série Astérix et Obélix, est connu pour sa maîtrise hors pair de l’absurde. Dans Zaï Zaï Zaï Zaï, Fabcaro expérimente.
Jusqu’où peut-il pousser le curseur ? Chaque planche isolée est un sketch en elle-même et peut être lue indépendamment du reste de l’album, pensé comme un récit choral. Côté dessin, le dessinateur fait le choix de la simplicité, sans perdre en réalisme. De case en case, les variations graphiques sont minimes, presque à la manière d’un folioscope, pour renforcer l’effet comique. Le tour de force de Fabcaro, c’est qu’il parvient à casser les codes traditionnels du rire. Il faut dire que l’auteur a été à bonne école : il a collaboré avec des revues de bande dessinée incontournables, telles que L’écho des savanes, Zoo ou encore Psikopat, et a lu religieusement Gotlib, maître des délires absurdes en BD.
Avec ce livre, la carrière de Fabcaro décolle et l’auteur rafle de nombreux prix comme le Grand Prix de la critique bande dessinée 2016 (ACBD), le prix Ouest-France/Quai des bulles 2015 ou encore le prix Landernau BD « Coup de cœur » 2015. La sortie de cet album marque aussi un tournant pour l’humour en bande dessinée, un nouveau souffle.
Autant d’adaptations que de Zaï
Le succès de Zaï Zaï Zaï Zaï ne se limite pas à l’album de bande dessinée paru en 2015. En une décennie, le récit imaginé par Fabcaro a été adapté de multiples fois sous diverses formes. D’abord, une pièce radiophonique imaginée par l’émission Mégacombi de Radio Canut, (disponible sur Arte Radio), qui conserve l’énergie communicative et réjouissante de la BD.
Mais c’est au théâtre que cette histoire est la plus adaptée. Les planches de Fabcaro ont pris vie sur les planches du théâtre grâce au jeu d’actrices comme Adèle Haenel et Blanche Gardin dans la version de Zaï Zaï Zaï Zaï proposée par Paul Moulin et Maïa Sandoz, qui préparent la prochaine tournée du spectacle en 2025 au Théâtre de l’Argument à Paris. Autre adaptation théâtrale marquante : les metteurs en scène Nicolas Charlet et Bruno Lavaine ont choisi d’incarner à eux deux tous les personnages de Fabcaro dans une « lecture vivante » qu’ils interprètent régulièrement depuis 2019.
Fabcaro n’en finit pas d’inspirer ses contemporains puisqu’en 2022, c’est le cinéma qui s’empare de l’œuvre. Le réalisateur François Desagnat parvient à transposer Zaï Zaï Zaï Zaï dans un road movie aussi burlesque que haletant, avec Jean-Paul Rouve dans la peau d’un comédien à succès en cavale. Ce n’est d’ailleurs pas le premier ouvrage de Fabcaro à avoir été transposé sur grand écran. Le cinéaste Laurent Tirard avait adapté son roman Le Discours (2018) en 2020. Du 9e au 7e art, il n’y a qu’un pas.
Un miroir grossissant de la société ?
En bande dessinée comme au cinéma, en podcast comme au théâtre, l’histoire de Zaï Zaï Zaï Zaï pose un regard drôle et percutant sur le monde et questionne : pourquoi un auteur de BD qui oublie sa carte de fidélité devient-il une menace pour l’ensemble de la société ? Derrière l’absurdité de certaines situations, c’est bien l’absurdité des normes sociales qui est pointée du doigt par Fabcaro et les créateurs qu’il a inspirés.
L’auteur de bande dessinée ne s’en cache pas : son œuvre est une satire de notre époque et des dérives de la société capitaliste. Le titre Zaï Zaï Zaï Zaï n’est pas choisi au hasard. C’est un clin d’œil direct à la chanson Siffler sur la colline de Joe Dassin qui chante son désir de s’extraire du monde et de ses agitations. Dans Zaï Zaï Zaï Zaï, Fabcaro invite à se détacher des injonctions à la consommation, à prendre de la distance avec les emballements médiatiques et à dénoncer les dérives autoritaires.
Avec une bonne dose de provocation dans les dialogues, une pincée de tendresse pour la bêtise humaine et un enrobage 100 % absurde, Fabcaro a trouvé la recette d’un succès qui dure.
