
Retour sur événement visant à positionner les pions européens sur un échiquier où seuls la Chine et les États-Unis semblent pour le moment jouer.
Des poignées de main… et de gros chèques pleins de promesses. Voilà quelques images que l’on peut retenir de ces quelques jours de débats et de conférences organisés à Paris par l’initiative conjointe de la France et de l’Inde. Un événement qui a abouti à la signature d’une « déclaration pour une intelligence artificielle ouverte, inclusive et éthique », à laquelle les États-Unis et le Royaume-Uni ont choisi de ne pas adhérer.
L’Europe passe la seconde sur l’IA
La tenue de ce sommet pour l’IA arrive après des semaines particulièrement tendues dans ce domaine en pleine ébullition. Entre l’investiture de Donald Trump aux États-Unis, qui va œuvrer pour une IA débridée via Stargate, son projet de financement maous (500 milliards de dollars sur quatre ans), et l’entrée en vigueur de l’AI Act européen qui, lui, invite à garder une main prudente sur le frein à main… il y a déjà une belle fracture. Rien d’étonnant à ce que J. D. Vance, vice-président américain présent à Paris ces derniers jours, ait fait part à de nombreuses reprises de ses inquiétudes sur le « retard » que risque de prendre l’Europe en matière d’IA en s’engageant dans la voie de la « régulation excessive ».
Qu’importe, car Emmanuel Macron avait déjà créé l’événement quelques jours plus tôt en annonçant au 20 heures de France 2 pas moins de 109 milliards d’euros d’investissements dans l’IA. Un montant dont profitera notamment la licorne française Mistral, qui va entamer la construction de son premier centre de données dans l’Hexagone. Un pot commun qui a encore pris de l’ampleur en fermeture du sommet pour l’IA, lorsque la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé vouloir mobiliser quelque 200 milliards d’euros pour le développement de l’IA en Europe.
Des sommes importantes, où se mêlent des investissements en provenance des Émirats arabes unis, des États-Unis, du Canada et des fonds issus de grandes entreprises françaises comme Orange, Thales ou Illiad.
« Trop souvent, j’entends dire que l’Europe est en retard dans la course, tandis que les États-Unis et la Chine ont déjà pris de l’avance. Je ne suis pas d’accord. Car la course à l’IA est loin d’être terminée. En vérité, nous n’en sommes qu’au début. Les frontières bougent constamment et le leadership mondial est toujours à saisir. »
Ursula von der LeyenPrésidente de la Commission européenne
Une adoption inconséquente ?
Si la course n’est donc pas perdue d’avance, l’Europe doit encore faire ses preuves et parvenir à imposer ses modèles d’IA dans un monde déjà dominé par OpenAI (ChatGPT), Google (Gemini), Microsoft (Copilot) ou DeepSeek, le nouveau venu de Chine.
Mais, pendant que des milliards changeaient de main, se tenait à 400 mètres du Grand Palais de la capitale le « contre-sommet de l’IA », où se sont pressés des journalistes, traducteurs, artistes, acteurs, fonctionnaires… L’Intelligence artificielle et son adoption à marche forcée ont déjà un impact sur ces personnes, voire menacent leurs emplois.
Sept heures de débats qui ont permis de dresser un constat glaçant : « L’IA est déjà là. » Présent à l’événement, le journal Le Monde rapporte notamment le témoignage de Habib El Kettani, qui a fait les frais du « premier plan social en France directement lié à l’IA » chez Onclusive : « Cent cinquante salariés qui avaient un savoir-faire en revue de presse ont été remplacés par l’IA, les gens ont été abandonnés à leur propre sort », se désole ce délégué syndical.
La culture est également un domaine particulièrement ébranlé par l’émergence de l’intelligence artificielle générative (IAG). Les comédiens et comédiennes de doublage sont notamment en lutte pour faire valoir leurs droits face à des entreprises qui pillent sans vergogne leurs voix pour pouvoir les répliquer sans leur intervention.
Si l’IA est, pour les uns, promise comme une terre d’opportunités, elle représente pour d’autres une véritable menace sur laquelle il est capital de ne pas fermer les yeux. Car il y a peu de chances que les milliards débloqués par l’Europe ces derniers jours servent à améliorer leurs conditions de travail.