Critique

Le Goût des garçons, de Joy Majdalani : le désordre du désir adolescent

27 décembre 2021
Par Sophie Benard
Le Goût des garçons, de Joy Majdalani : le désordre du désir adolescent
©J.F. Paga/Grasset

[Rentrée littéraire] Le premier roman de Joy Majdalani restitue avec impudeur et insolence l’intensité du désir des jeunes adolescentes autant que la violence des normes sociales qui s’abattent sur elles.

Jeune fille privilégiée parmi les privilégiées, la narratrice du Goût des garçons est collégienne dans un établissement privé – français et catholique – à Beyrouth, au Liban. Dans une langue crue et honnête, elle ouvre les portes de ce collège de petites filles de bonnes familles ; se révèle alors l’obsession des adolescentes pour les garçons et la sexualité avec eux.

Entre interdits sociaux et religieux, les toutes jeunes femmes du collège Notre-Dame de l’Annonciation se démènent pour avoir accès, sans aller trop loin ni trop vite, aux garçons, à leurs corps et à leurs désirs. Et c’est là le premier geste transgressif de ce texte brûlant : il rend compte de l’intensité du désir des adolescentes.

Je me flattais à présent d’avoir visé juste, de savoir que mes fantasmes correspondaient aux mouvements instinctifs des garçons. J’étais née pour exciter.

Joy Majdalani
Le Goût des garçons

Mais la langue maîtrisée et crue de Joy Majdalani ne se contente pas d’explorer la violence du désir des jeunes femmes. Elle décortique aussi les dynamiques amicales, la manière dont les amitiés – entre filles, uniquement – se font et se défont au gré des expériences et de la réputation de chacune. Véritable exercice d’équilibriste, tenir sa réputation impose à la fois d’être séduisante, de plaire aux garçons, et de ne pas se compromettre avec eux – en allant « trop loin » ou en se soumettant aux désirs d’un garçon d’un milieu social inférieur.

Le Goût des garçons, de Joy Majdalani. En librairie le 5 janvier 2022.

Avec l’air de ne pas y toucher qu’on apprend à manier dans les collèges privés, Le Goût des garçons renvoie la société à la cruauté qu’elle fait subir aux jeunes femmes. Les adolescentes se trouvent ainsi soumises à des normes physiques et de comportements aussi contradictoires qu’inatteignables. Les premières pages du texte contiennent ainsi de très beaux paragraphes sur la pilosité envahissante de ces jeunes libanaises qui se doivent pourtant d’offrir aux garçons une peau lisse d’enfant. La façon dont leur désir est bridé par leur environnement avant même d’éclore oriente de manière terrible le contenu de ce dernier. C’est ainsi qu’un passage particulièrement marquant rapporte le fantasme de viol de la jeune adolescente ; souvenir dont la narratrice a honte mais dont elle témoigne néanmoins, comme pour souligner que les constructions autour de la chasteté des femmes et de la virilité désirante et violente des hommes conduisent les imaginaires au pire.

Entre fougue et courage, le premier roman de Joy Majdalani lève ainsi le voile sur l’intimité d’une toute jeune femme aux prises avec son désir envahissant et des normes sociales aussi défaillantes que dangereuses.

Le soir venu, je m’endormis dans un corps neuf, qui ne m’appartenait plus tout à fait.

Joy Majdalani
Le Goût des garçons

Le Goût des garçons, de Joy Majdalani, Grasset, coll. « Le courage », 176 p., 16 €. En librairie le 5 janvier 2022.

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Article rédigé par
Sophie Benard
Sophie Benard
Journaliste