Attendue le 9 janvier sur Netflix, la mini-série American Primeval (À l’aube de l’Amérique) s’inscrit dans le renouveau du western sur le petit écran. Et qui dit western, dit peuples autochtones. Entre stéréotypes tenaces, dénonciation explicite et appropriation culturelle, comment la représentation des peuples natifs américains a-t-elle évolué sur les écrans ?
Avant la colonisation européenne, qui s’étend du XVe au XXe siècle, 5 à 10 millions de personnes vivaient en Amérique du Nord, selon les estimations. Entre les épidémies de maladies importées par les Européens (variole, grippe, typhus), les massacres, les famines et les déplacements forcés, le recensement des peuples autochtones s’élevait à 250 000 personnes aux États-Unis à la fin du XIXe siècle. C’est à cette époque que naît le cinéma. Ceux qu’on appelle alors les Indiens en sont les premières vedettes. Leur culture en voie d’extinction fascine. Sorti en 1894, Buffalo Dance, une danse des bisons effectuée par des Sioux, est l’un des premiers films tournés avec une caméra Kinétographe.
De star des films muets au “sauvage” des westerns
Dans les années 1910 et 1920, plus d’une centaine de films muets prennent pour sujet des tribus amérindiennes, au point de former le genre des « Indians Pictures ». Joués par les concernés, ces personnages sont admirés pour leur force et leur sens de l’honneur. « Il y avait des réalisateurs et des comédiens indiens, explique David Kiehn dans le documentaire Hollywood et les Indiens, réalisé en 2009 par le cinéaste cri Neil Diamond. Ils exprimaient leur point de vue, on les écoutait. C’était une époque très ouverte. »
James Young Deer est considéré comme le premier cinéaste amérindien de l’histoire du cinéma. Il a écrit et tourné de nombreux films muets, à l’instar de Tragedies of the Osage Hills (1926), première adaptation fictive d’un fait divers marquant. Durant les années 1920, une série de meurtres d’autochtones osages est perpétrée par des Blancs, dans le but de s’emparer de leurs terres pétrolières. Dans L’ennemi silencieux (1930), le cinéaste H.P. Carver filme quant à lui les activités d’une tribu isolée dans les forêts canadiennes.
Mais, à partir des années 1930, la représentation des peuples natifs évolue. En plein essor, le genre du western adopte le point de vue des pionniers pour raconter la naissance de l’Amérique. Réalisé en 1939 par John Ford, La chevauchée fantastique devient le modèle par excellence. On y suit la périlleuse traversée, en 1883, d’une diligence de Blancs à travers la région de Monument Valley. Le groupe est attaqué par des membres de la tribu apache, menés par le célèbre Geronimo (incarné par Whitehorse).
Pour Jesse Wente, journaliste canadien des Premières Nations, La chevauchée fantastique est « l’un des films qui ont le plus nui aux Amérindiens, explique-t-il dans le documentaire. […] Les Blancs sont assaillis de toutes parts par des sauvages. Les Indiens empêchent le progrès. Ils sont arriérés, méchants, sanguinaires. Ce film a conditionné pendant des décennies l’image que les Américains se sont faite des Indiens. […] Et nous avons fini par nous-mêmes intégrer cette image. »
“Un bon indien est un Indien mort”*
Les westerns vivent leur âge d’or dans les années 1950, avec des films comme La flèche brisée (1950), La captive aux yeux clairs (1953) ou Convoi de femmes (1952) . Ils se concentrent en général sur la période historique dite des « guerres indiennes », entre 1850 et 1890, durant laquelle les peuples autochtones se défendent face à l’expansionnisme américain. La figure du cow-boy bourru et héroïque, incarnée par John Wayne, excuse toutes les actions. Dans La prisonnière du désert (1956), son personnage profane une tombe indienne et tire sur le visage d’un Indien mort.
Environ 2 700 westerns ont été réalisés à Hollywood entre 1930 et 1954. Ils ont façonné le mythe de la conquête de l’Ouest dans l’imaginaire collectif. Dans cette histoire épique de la naissance de l’Amérique, les peuples natifs américains tiennent le rôle d’antagonistes, de caillou dans la chaussure des valeureux pionniers venus chercher une vie meilleure.
Les spécificités des peuples indigènes sont gommées pour créer un archétype reconnaissable, celui du guerrier féroce, qui scalpe les Blancs, se déplace sur son cheval, un arc sur l’épaule, vêtu de son costume en bison, sa coiffe à plumes et ses colliers de dents animales.
Les Indiens de cinéma vivent tous dans des tipis et pratiquent les mêmes rites, comme la danse du soleil. Le western met en place la dichotomie du « bon sauvage », qui souhaite la paix entre les peuples, et du « mauvais sauvage », qui fait la guerre aux Blancs. Les grandes stars blanches de l’époque, comme Chuck Connors, Burt Lancaster ou Anthony Quinn, jouent des rôles de chefs indiens, grimés avec du fond de teint. Quelques Amérindiens, comme Iron Ice Cody, Jay Silverheels ou Beulah Archuletta, parviennent néanmoins à faire carrière dans des rôles de second plan.
Les westerns prennent aussi d’assaut les foyers américains durant les années 1950, avec des succès comme la série The Lone Ranger (1949-1957) et son guerrier comanche, Tonto (Jay Silverheels). Le personnage sera repris en 2013 par Johnny Depp, accusé d’appropriation culturelle. D’autres séries, comme Gunsmoke (1955-1975) ou Bonanza (1959-1973) proposent parfois des intrigues centrées sur les peuples indigènes. De par sa nature épisodique, la télévision a permis aux Amérindiens une plus grande visibilité, mais elle a aussi perpétué des stéréotypes racistes.
Une vision plus nuancée
Les premières revendications de l’identité indienne voient le jour dans les années 1960. La contre-culture hippie, qui prône la vie en communauté et le retour à la nature, admire le mode de vie des peuples autochtones. Cependant, la fiction est rattrapée par la réalité. En 1973, Marlon Brando refuse son Oscar pour Le parrain et envoie une membre de la tribu apache pour le représenter.
Sous les huées, Sacheen Littlefeather dénonce le mauvais traitement des Amérindiens par l’industrie du cinéma, de la télévision et attire l’attention sur la situation à Wounded Knee, où un affrontement a lieu entre des militants amérindiens et le FBI.
Situé dans le Dakota du Sud, Wounded Knee a été le théâtre de l’un des pires massacres de l’histoire américaine. En 1890, l’armée tire sur 300 personnes désarmées de la tribu Lakota, dont son chef, Big Foot. En 1970, plusieurs films représentent le génocide des Amérindiens de façon explicite.
Le soldat bleu raconte le massacre des Cheyennes par l’armée américaine, Un homme nommé cheval l’initiation d’un aristocrate anglais à la culture des Sioux, et Little Big Man la vie de Jack Crabb (Dustin Hoffman), un blanc adopté par des Cheyennes. Arthur Penn utilise les codes du western, sans en reprendre les clichés racistes.
Il dépeint ses personnages amérindiens de façon plus juste. Par exemple, au sein de la tribu Cheyenne vit un Indien « Heemaney », c’est-à-dire homosexuel, en harmonie avec les siens. Le film Jeremiah Johnson, réalisé par Sydney Pollack en 1972, explore la cohabitation d’un ermite (Robert Redford) avec diverses tribus amérindiennes, sans diabolisation ni angélisme.
Un génocide vu par les Blancs
Les néo-westerns des années 1970 ont créé un nouveau trope, celui de l’homme blanc qui adopte les coutumes indiennes. Le grand succès des années 1990, Danse avec les loups, joué et réalisé par Kevin Costner, reprend cette idée. Traumatisé par la guerre de Sécession, le soldat John Dunbar se lie d’amitié avec une tribu sioux. Il finit par vivre avec elle et s’opposer au colonialisme américain. Il assiste au génocide progressif de son peuple d’adoption.
D’un côté, ce procédé encourage l’empathie du public blanc envers les peuples amérindiens. De l’autre, le personnage tombe dans le syndrome du « sauveur blanc » et se révèle souvent meilleur guerrier que les membres de la tribu.
« On sent bien que ce film n’est pas réalisé par les Amérindiens, analyse Jesse Wente dans le documentaire Hollywood et les Indiens. C’est un film sur nous, fait avec bienveillance, mais il ne nous décrit pas tels que nous sommes. » En 1992, Le dernier des Mohicans de Michael Mann reprend ce trope en suivant l’épopée de Nathanael (Daniel Day-Lewis), un orphelin européen élevé par les Mohicans, qui va se révéler le plus héroïque des guerriers.
Ces succès au box-office ont le mérite de laisser une place à des acteurs amérindiens comme Graham Greene, Russell Means, Wes Studi ou Gary Farmer, qui tournent dans des films comme Cœur de tonnerre (1992), Geronimo (1993) et Dead Man (1995).
Le dessin animé Disney Pocahontas, une légende indienne (1995) critique quant à lui les ravages de la colonisation et de l’ethnocentrisme, tout en romantisant l’histoire de la jeune femme, bien plus tragique en réalité. À Hollywood, les femmes autochtones ont longtemps été reléguées à des seconds rôles stéréotypés d’épouses et de mères sacrificielles. Dans les westerns, elles servent de monnaie d’échange et leur temps de parole est extrêmement réduit.
Se réapproprier son histoire
À la fin des années 1990, une voix artistique indigène se fait entendre, partout dans le monde. En 1998, le film Phoenix, Arizona réalisé par Chris Eyre, membre des tribus Cheyenne et Arapaho, suit les péripéties contemporaines de deux ados amérindiens en road trip, avec un humour bienveillant. Le réalisateur confiait ainsi à Variety : « La seule chose que vous obtenez en faisant des films d’époque sur les Indiens est la culpabilité. Je m’intéresse à ce que les cinéastes non indiens ne peuvent pas faire, qui est de représenter les Indiens contemporains. »
Dans les années 2000, le western renaît de ses cendres à la télévision et tente de diversifier les points de vue. La mini-série épique Into the west, produite en 2005 par Steven Spielberg, suit les vies entremêlées de deux familles au XIXe siècle, l’une de la nation Lakota et l’autre blanche. La double perspective laisse une vraie place aux personnages autochtones comme Loved by the Buffalo, qui cherche à préserver la tradition Lakota.
À la même époque, le très bon téléfilm de HBO Enterre mon cœur à Wounded Knee (2007) retrace le massacre historique de 1890 à travers les yeux de Charles Eastman (Adam Beach), un médecin sioux ayant réellement existé.
Pour le réalisateur Chris Eyre, le retour en force du western sur le petit écran est « vraiment le reflet de notre situation actuelle, à savoir que nous sommes toujours aux prises avec les questions de nos origines et avec notre identité en tant qu’Amérique unifiée ». Portée par Jason Momoa dans le rôle d’un hors-la-loi cri, la série Frontier (2016-2018) évoque par exemple les luttes des peuples autochtones au XVIIIe siècle pour défendre leurs terres et leur culture face aux corporations.
Des séries plus réalistes
Lancée en 2018 et portée par Kevin Costner, la série Yellowstone suit de son côté les aventures contemporaines de la famille Dutton, qui possède le plus grand ranch des États-Unis, situé près d’une réserve amérindienne. Ce néo-western, très populaire outre-Atlantique, a été épinglé pour sa représentation des Natifs américains. Pour Liza Black, chercheuse à UCLA, le showrunner Taylor Sheridan « efface l’histoire entre les autochtones et les colons, transformant le Montana en un lieu de force brute sans passé national ».
Réalisée par Peter Berg et disponible le 9 janvier sur Netflix, la mini-série American Primeval (À l’aube de l’Amérique en français) se présente comme un savant mélange entre Jeremiah Johnson et Danse avec les loups. Sara Rowell (Betty Gilpin), une femme blanche en fuite avec son fils, va croiser le chemin d’Isaac (Taylor Kitsch), un ermite blanc élevé par une tribu d’Amérindiens, et de Two Moons (Shawnee Pourier) une adolescente amérindienne muette. Le groupe hétéroclite tente de rejoindre Cook Springs, au milieu de la soif expansionniste des mormons, qui deviennent les « méchants » de l’histoire.
À l’image de westerns sériels comme Godless (2017) et The English (2022), la série explore la violence inhérente à la colonisation. Le génocide des Premiers Peuples est présent en arrière-plan, dans les terres volées, les massacres et les arcs narratifs des personnages secondaires.
Un regard natif américain tourné vers l’avenir
Avec le western, le polar est le genre dans lequel les peuples autochtones sont le plus représentés. En 2022, Chris Eyre réalise des épisodes de la série Dark Winds. Écrite par des scénaristes natifs américains, elle suit les enquêtes de trois officiers de la police tribale navajo dans les années 1970, riches en contestation.
L’excellente saison 4 de True Detective (2024,) tourne quant à elle autour de la résistance des femmes de la tribu Iñupiaq, en Alaska. Sorti en 2023, le film Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese explore à son tour les tueries des Osages dans les années 1920 et révèle le talent de Lily Gladstone, première actrice native américaine à remporter un Golden Globe.
Écrite par des scénaristes autochtones – dont ses créateurs Taika Waititi et Sterlin Harjo – au début des années 2020, Reservation Dogs suivait le quotidien d’adolescents indigènes dans une ville de la nation Muscogee. Le personnage de Spirit (Dallas Goldtooth), un esprit amérindien facétieux, était alors une réponse burlesque aux stéréotypes des westerns. La série explorait ainsi les conséquences du génocide amérindien en s’intéressant aux générations qui portent cet héritage et perpétuent un esprit de résistance. Malheureusement, ces récits-là nous parviennent encore trop peu.
*Phrase célèbre attribuée au général Sheridan