Après avoir marqué toute une génération de lecteurs, la trilogie romanesque s’offre une adaptation périlleuse en jeu vidéo. Les fans de l’œuvre de Bernard Werber et les amateurs de stratégie vont-ils être conquis par ce titre au rendu photoréaliste ? Voici notre verdict.
C’est dans sa version PS5 que nous avons pu nous lancer à la découverte de ce titre boosté par la puissance du moteur Unreal Engine 5. La qualité de la réalisation est immédiatement bluffante : jamais encore un jeu ne s’était rapproché d’aussi près du monde de l’infiniment petit. Le niveau de détails sidérant devrait, à juste titre, interpeller les gamers autant que le grand public. Car tous deux sont potentiellement concernés par la sortie de ce titre développé par le studio français Tower Five.
Pour mieux comprendre le pourquoi de cette adaptation du premier tome de la trilogie des Fourmis, nous avons posé quelques questions à Renaud Charpentier, Game Director de ce projet – et ses explications complètent de manière très intéressante notre incursion mouvementée dans la société fascinante des insectes.
Le point de vue de l’infiniment petit
Premier élément à garder à l’esprit : Les Fourmis est un jeu de stratégie en temps réel d’un genre nouveau. Afin de s’adresser au plus grand nombre, ses concepteurs ont voulu diversifier les phases de gameplay en intégrant des missions de pure exploration. L’aventure principale est donc scénarisée, mais l’équipe a fait le choix de laisser de côté toute la partie du récit dédiée aux humains qui apparaissait pourtant dans le roman.
Le Game Director Renaud Charpentier explique ainsi que « le jeu se concentre uniquement sur le point de vue des fourmis, et plus précisément sur celui de la fourmi rousse 103 683e », car « ce que l’on voit, ce que l’on comprend de ce monde correspond précisément à ce qu’elle en comprend. Pour elle, la famille Wells n’existe pas, pas plus que les humains dans leur ensemble. 103 vit et combat dans une jungle à son échelle, peuplée de monstres redoutables et de champs de bataille pour des guerres gigantesques ».
Les péripéties relatées dans les pages du roman donnent ainsi lieu à des expéditions mouvementées, voire à des batailles épiques à l’échelle du monde des insectes. Mais la campagne solo ne s’interdit pas non plus d’ajouter quelques chapitres originaux qui prennent place durant les périodes laissées ouvertes au sein du roman.
Avec la participation de l’écrivain Bernard Werber en tant que consultant, le studio Tower Five a pu se consacrer pleinement au défi que représentait la reproduction de l’infiniment petit dans un jeu vidéo. Un seul mot d’ordre : rester toujours au plus près de l’expérience vécue par la fourmi 103 683e.
Arpenter le monde à 360°
Loin d’être anodin, le choix de nous faire vivre en permanence les événements du jeu à travers ses yeux est probablement le point le plus pertinent du projet. Cela lui permet de se démarquer de manière très originale de l’interface habituelle des STR (jeux de stratégie en temps réel), tout en offrant une prise en main vraiment adaptée à la manette. Le maniement de cette fourmi qui se moque impunément des lois de la gravité apporte des sensations inédites pour une œuvre de ce type.
C’est d’ailleurs précisément ce qui fait l’intérêt des missions d’exploration qui consistent à se balader dans des environnements gigantesques en découvrant une tout autre manière de surmonter les obstacles naturels aux proportions vertigineuses.
Le Game Director le reconnaît volontiers : si l’aventure est accessible à tous, même aux joueurs occasionnels, son maniement demande cependant un certain temps d’adaptation. « Si vous n’avez strictement jamais joué à un jeu vidéo en 3D, vous allez sans doute mettre un peu de temps à vous habituer aux contrôles à la troisième personne utilisant les deux joysticks du contrôleur », admet-il.
D’autant plus que les déplacements d’une fourmi peuvent être effectués à 360°, ce qui complique drastiquement la donne. Et le niveau de détails est tel que l’on peut facilement passer juste à côté d’une fourmi alliée sans la voir… comme dans la réalité.
Lors de notre partie, nous avons constaté que les missions d’exploration auraient mérité de proposer davantage d’indications pour nous aider à trouver la voie à suivre, avec un outil de détection plus précis. En définitive, ce sont bien les missions de pure stratégie qui nous ont semblé les plus équilibrées sur le plan ludique.
Gérer un écosystème microscopique
Bien que son approche rappelle forcément le principe de la série Pikmin, Les Fourmis s’en distingue radicalement. Selon Renaud Charpentier, les deux propositions ne sont similaires « ni dans leur gameplay, ni dans leur direction artistique. Pikmin déploie un univers beaucoup plus stylisé et cartoon, et son gameplay est plus teinté de puzzle game que de stratégie en temps réel ». Effectivement, une fois les batailles engagées, ce sont bien les codes du STR que l’on retrouve entièrement revisités.
Durant les missions stratégiques, notre fourmi ne prend pas directement part aux batailles, car elle supervise toutes les opérations. On sent d’ailleurs que le jeu a été pensé pour une prise en main à la manette, en permettant par exemple de cibler à distance les nids pour faire évoluer nos unités très rapidement.
C’est en prenant le contrôle des nids isolés (ou adverses) que l’on peut étendre notre base. La développer passe ensuite forcément par la collecte de ressources telles que le bois ou la nourriture, destinées à produire de nouvelles escouades d’unités et à les améliorer.
L’art de la guerre revisité
Entre la gestion des différents types de fourmis, l’utilisation des phéromones utilisables directement sur le terrain et les structures défensives propres à chaque base, les possibilités sont plutôt nombreuses. Mais le terrain est jalousement défendu par d’autres hordes d’insectes, comme les termites, les fourmis noires, les gendarmes ou les coccinelles (voire des créatures nettement plus dangereuses). Il n’est donc pas question de se lancer dans la mêlée sans une tactique solide.
Tout repose alors sur le rang auquel est parvenu chaque bataillon, ainsi que sur les liens de domination entre les différentes classes de fourmis. Le principe est simple : les artilleuses abattent à distance les guerrières, mais celles-ci sont plus fortes que les ouvrières, qui sont les plus efficaces contre les artilleuses. L’idée est la même que la loi du triangle des armes dans la série Fire Emblem (épée > hache > lance > épée).
On peut aussi créer des pucerons en guise d’unités de soutien ou des légions de coléoptères super-prédateurs. Une fois assimilées toutes ces subtilités, il ne reste plus qu’à se délecter du photoréalisme de ces batailles où des insectes plus vrais que nature déferlent comme des torrents sur les unités ennemies.
Une adaptation enfin digne du roman
C’est encore plus fascinant lorsqu’on se souvient que l’œuvre de Bernard Werber avait déjà été adaptée une première fois en décembre 2000 sur PC. Et le gouffre qui sépare les deux jeux est impressionnant, comme le souligne Renaud Charpentier.
« Ce nouveau jeu a été conçu pour la génération PS5, ce qui nous a permis de réaliser énormément de choses impossibles à l’époque, à commencer par un rendu réaliste utilisant les dernières technologies disponibles, en l’occurrence l’Unreal Engine 5, détaille-t-il. C’était le bon moment, en termes de technologie et aussi de thèmes. »
« Les Fourmis est un jeu qui s’intéresse à la microvie, celle qui nous permet de survivre, à l’équilibre des écosystèmes et au problème des espèces exotiques invasives introduites par l’homme, ajoute le spécialiste. Tous ces sujets étaient présents dans le roman et sont, malheureusement, devenus encore plus pertinents aujourd’hui. »
Ce à quoi il convient d’ajouter l’efficacité de l’ambiance sonore et une narration qui avance au rythme des saisons. Sans oublier la possibilité de mettre à l’épreuve nos talents de stratège contre d’autres joueurs en ligne.
Quant à savoir si des suites sont prévues pour adapter les autres tomes de la trilogie, le Game Director se veut optimiste : « Si les joueurs apprécient ce premier jeu, en tant que développeurs, nous serions ravis de passer plus de temps avec ces chevaliers en armure de chitine ! » Une chose est sûre : même dans le monde virtuel, la vie des fourmis est incomparablement plus trépidante que la nôtre.