Le nouveau film de Grand Corps Malade et Mehdi Idir s’intéresse à la vie du chanteur, de ses débuts à son ascension au sommet. Un biopic classique, mais efficace.
Si un genre est bien inépuisable, c’est celui du biopic basé sur une personnalité historique ou artistique. Alors qu’Hollywood offre à toutes les figures importantes du siècle dernier leur film – avec prochainement A Complete Unknow sur Bob Dylan ou Michael sur le Roi de la pop, Michael Jackson –, le cinéma français n’est pas en reste et s’empare depuis plusieurs années de ses grandes icônes, leur permettant de toucher de nouvelles générations et de prolonger leur impact.
La preuve la plus récente ? Monsieur Aznavour, consacré à Charles Aznavour. Le film offre un regard tout en simplicité sur la vie et la carrière du chanteur. Un biopic qui ne cherche pas à révolutionner le genre – en restant (trop) sage la plupart du temps –, mais qui bénéficie de l’authenticité absolue de ses réalisateurs Grand Corps Malade et Mehdi Idir, ainsi que de son acteur principal, Tahar Rahim.
Une œuvre pensée par son sujet
Tout le monde connaît Charles Aznavour. Que cela soit par sa musique, son image ou sa participation à plus d’une cinquantaine de films, l’artiste a traversé plusieurs décennies, touchant le public par sa simplicité, son abnégation et son travail acharné. Véritable perfectionniste, il a, tout au long de sa carrière, cherché à s’imposer malgré les mauvaises langues et ceux qui ne lui présidaient aucun avenir dans la musique. Les bases de son biopic ont donc toujours été là ; raison pour laquelle Charles Aznavour envisage, dès son vivant, la production d’une telle œuvre cinématographique.
En plus de s’entourer de son gendre, Jean-Rachid Kallouche, pour la production, il s’approche de deux réalisateurs prometteurs, dont un déjà bien installé dans le monde de la musique, Grand Corps Malade, et Mehdi Idir. Le décès soudain de Charles Aznavour en 2018 met un frein au projet, avant que les cinéastes ne s’emparent à nouveau du film et offrent en 2024 une grande fresque revenant sur plusieurs épisodes de la vie du chanteur.
Avec une vie aussi dense et riche que celle de Charles Aznavour, le film doit faire des choix. Accentuer certaines thématiques, montrer plusieurs épisodes essentiels de sa carrière, tout en laissant de côté d’autres moments aussi importants, mais ne s’articulant pas avec le récit et l’angle choisi. Une approche qui bénéficie tout d’abord d’un travail d’écriture et de documentation méticuleux de la part de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, aidés par la famille du chanteur concernant les aspects plus privés et confidentiels de sa vie.
En réalisant un film avec le concours des proches d’Aznavour, la question de l’impraticabilité pourrait se poser. Qu’est-ce que ce Monsieur Aznavour ? Un film purement objectif et documentaire sur la vie d’un grand monsieur de la chanson ? Un biopic engagé montrant ses facettes plus obscures ? Ou, au contraire, une lettre d’amour biaisée par l’importance du souvenir et de l’héritage (on se souvient du catastrophique Bohemian Rhapsody, totalement plombé par des conflits d’intérêts et d’images) ?
Trouver le juste équilibre sans révolutionner le genre
Monsieur Aznavour est un peu tout à la fois. Dès le titre, la notion de respect et d’admiration se ressent de la part des deux réalisateurs. Néanmoins, ils ne s’empêchent pas de montrer certains aspects plus mitigés de l’artiste, concernant son rapport à la famille – ou à son collaborateur Pierre Roche, brillamment interprété par Bastien Bouillon –, et parlant aussi des dégâts que l’obsession pour le travail peut provoquer dans la sphère privée. Une façon pour Grand Corps Malade et Mehdi Idir de toucher à plusieurs thématiques, au delà même de l’exercice du biopic : le rapport à l’art par les artistes eux-mêmes, la perception du public et le poids de l’attente du succès, le regard sur son propre style et sur son évolution à travers le temps…
Grand Corps Malade, également auteur, musicien et interprète, semble apporter une vision très personnelle de ce que représente la musique. Avec Mehdi Idir, ils filment la musique avec beaucoup d‘inventivité, insistant autant sur la force de la performance en live que sur l’intimité convoquée par le chanteur pour délivrer des textes puissants et des émotions authentiques.
Tahar Rahim se glisse dans la peau de Charles Aznavour et s’essaie à l’exercice délicat de ne jamais tomber dans le mimétisme, tout en étant en mesure de se confondre avec l’artiste lors de certaines scènes bluffantes de vérité. L’acteur livre une prestation habitée : il est explosif dans son langage corporel, touchant dans son intonation et éblouissant dans sa performance vocale. En choisissant d’interpréter lui-même les morceaux d’Aznavour, Tahar Rahim ajoute à l’exercice un challenge de taille, mais gagne en humilité.
Derrière chaque morceau, le poids de l’héritage se fait ressentir. Tout comme Grand Corps Malade et Mehdi Idir, Tahar Rahim fait preuve d’authenticité, de bienveillance et de premier degré à l’extrême. Jamais cynique, jamais moqueur, toujours à l’écoute de son propre personnage, l’acteur fait illusion.
C’est probablement la force principale de ce Monsieur Aznavour. Derrière le rythme classique du biopic découpé en chapitres sur plusieurs épisodes de vie – et ne s’épargnant pas un sévère ventre mou au milieu –, l’approche pleine de sympathie des principaux concernés emporte l’adhésion. À la fois drôle et énergique dans sa première partie, pour aller vers plus d’émotion dans la seconde, le film concilie ses trois approches : porte d’entrée du mythe Aznavour pour les néophytes, confirmation d’une icône pour les puristes, et questionnement autour de l’art et des sacrifices faits au nom de la musique avec une réelle approche cinématographique.
Après Patients et La Vie scolaire, Grand Corps Malade et Mehdi Idir réussissent la transition vers un film plus ambitieux, sans perdre leur approche touchante du cinéma, de l’art et de l’humain.
Monsieur Aznavour, de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, avec Tahar Rahim, Marie-Julie Baup et Bastien Bouillon, 2h13, au cinéma le 23 octobre 2024.