Julie Delpy est de retour dans les salles obscures avec Les Barbares, un long-métrage dans lequel les habitants d’une petite ville bretonne voient arriver une famille syrienne. L’Éclaireur a pu rencontrer la réalisatrice et actrice afin de parler de cette nouvelle comédie de mœurs aussi grinçante qu’amusante.
Quand on découvre Les Barbares, ce qui nous marque en premier lieu, c’est la satire et l’ironie. Qu’est-ce qui vous plaît tant dans ces ressorts comiques ?
J’avais envie d’une satire, car ça m’amusait beaucoup d’étudier ce microcosme, ce village avec des gens qui vont du plombier raciste à l’institutrice, ainsi que toute la palette entre les deux. Je voulais montrer les différentes réactions face à la venue de cette famille de réfugiés. Je voulais montrer leur bonne volonté, leur racisme convaincu, mais aussi un racisme qu’ils ne savent même pas qu’ils ont en eux. Je voulais rire de toutes ces différences et de nos travers, d’une certaine manière.
Vous n’épargnez personne, en réalité…
Absolument ! Je ne veux pas dire qu’il y a de bonnes et de mauvaises personnes, car le film ne se veut pas moralisateur. C’est vraiment une étude. D’ailleurs, c’est pour cette raison que je dis que le film est plus social que politique, parce que c’est plus une étude de notre façon de réagir, de nos propres faiblesses, de nos défauts, mais surtout de nos humanités, de nos qualités. On découvre aussi que les gens sont capables de changer, de se sortir de leurs idées. Par exemple, le personnage de Sandrine Kiberlain, Anne, évolue et se sort de son mal-être.
Était-ce important pour vous d’offrir une fin heureuse à vos personnages ?
Ce n’est pas un vrai happy-end, mais c’est une fin pleine d’espoir, car j’avais envie de faire un film qui, malgré le côté cinglant de certaines choses et son aspect douloureux, reste solaire. Je voulais qu’il en ressorte une forme d’espoir, notamment au travers des deux adolescents qui tombent amoureux. J’avais envie qu’en les voyant, on se dise que tout cela est bienfaisant. Je veux que les spectateurs se sentent bien après avoir vu ce film !
« J’ai choisi des gens qui ont quelque chose de spécial au niveau de leur humanité. »
Julie Delpy
Comment l’inspiration pour Les Barbares vous est-elle venue ? Pourquoi était-ce le bon moment d’écrire et réaliser ce film ?
Cela fait cinq à six ans que je travaille sur l’écriture des Barbares. L’idée est évidemment venue en réaction à des reportages que j’ai vus sur la crise des migrants, avec cette tristesse de voir des gens mourir dans la Méditerranée. J’ai aussi vu des images sur la façon que l’on avait de les accueillir plus ou moins bien, avec des gens qui étaient très bien intentionnés.
Je me suis dit qu’il y avait quelque chose d’intéressant. Il y a bien sûr de nombreux films qui ont été faits sur le sujet, mais peut-être pas à travers la comédie. Je pense que, grâce à cela, mon approche est différente. Il tombe forcément à pic aujourd’hui, étant donné la situation, mais je l’ai longtemps pensé.
Peut-on dire que Les Barbares est votre film le plus politique à ce jour ?
Le Skylab, l’un de mes films précédents, comportait déjà cette étude sociale, dans le sens où j’étudiais une famille déchirée entre deux politiques opposées. Les Barbares est une continuité de cela, que je tourne au même endroit en plus ! C’est dans la continuité de l’étude de deux mondes et, au milieu, il y a ces Syriens qui ont aussi leur point de vue sur les Français.
Car le film montre le point de vue des habitants de Paimpont qui accueillent cette famille, mais aussi le point de vue de cette famille sur la ville. On le voit notamment dans cette scène tournée façon far-west avec Laurent Lafitte et Ziad Bakri. On ne pense pas souvent à ça en fait : comment eux nous voient-ils ?
Est-ce qu’à travers le regard de cette famille syrienne, il n’y a pas un peu de votre vécu, vous qui avez vécu aux États-Unis en tant qu’actrice française ?
Attention, je ne suis pas une réfugiée ! Mais disons qu’on me rappelle souvent que je ne suis pas Américaine quand je suis là-bas. Il m’est arrivé, il y a deux ans, une petite aventure durant laquelle on m’a bien rappelé que j’étais Française, car j’ai refusé un gros film américain qui n’était pas du tout fait pour moi, ce n’était du tout mon style de cinéma. Il s’agissait d’une comédie romantique à deux balles, mais avec plein d’argent ! Évidemment, les agents étaient furax, l’actrice était hors d’elle que je dise non, mais je n’étais pas la bonne personne pour le film.
Ça aurait été une erreur et je me serais emmerdée à mourir. Mais surtout, je devais faire mon film en France ! Ils voulaient que je réécrive le scénario, mais je n’avais aucun pouvoir sur le film. Je leur ai dit de prendre quelqu’un d’autre. Ils ont finalement choisi un homme et l’ont d’ailleurs laissé faire ce qu’il voulait… Alors que, pour ma part, j’aurais dû dire oui à tout ! C’était vraiment horrible, mais en refusant, ça m’a beaucoup libérée, bien que les commentaires aient été très condescendants outre-Atlantique, car je suis Française. Partir faire un petit film français était vraiment une insulte pour eux, mais au moins j’ai pu travailler avec des gens adorables et je me suis amusée pendant plusieurs mois !
Vous avez composé votre casting grâce à des talents d’horizons différents. Comment s’est déroulé l’assemblage de cette nouvelle troupe de comédiens ?
J’adore réunir des gens qui viennent d’univers différents. Je ne pense pas avoir de jugement snob en mettant des acteurs et des actrices dans des cases. J’aime réunir des artistes qui vont être justes, qui vont être les bonnes personnes pour le rôle. Laurent Lafitte était très insistant pour jouer ce rôle-là. Sandrine Kiberlain a dit oui dans la minute. C’est marrant, parce que je l’ai joué au feeling. Plusieurs autres acteurs et actrices voulaient ces rôles, mais quand j’ai rencontré “mes” comédiens, j’ai senti qu’il y avait une cohésion d’humanité.
Je me souviens de mon rendez-vous avec India. Elle avait les larmes aux yeux de parler de certaines choses, les réfugiés, l’immigration, des choses qui la touchaient personnellement. J’ai touché à quelque chose d’humain avec chaque personne que j’ai mise dans le film. J’ai choisi des gens qui ont quelque chose de spécial au niveau de leur humanité, qui sont plus touchés par certaines choses que d’autres. D’ailleurs, quand j’ai parlé de cela au Festival d’Angoulême, devant la presse, j’ai senti que ça a touché Laurent et Sandrine, parce qu’ils savent qu’ils sont mêlés à une comédie qui raconte toutefois quelque chose de douloureux.
“Humanité” pourrait-il être le maître mot de votre film ?
Oui ! J’ai rencontré d’autres acteurs sur certains rôles. Par exemple, quand j’ai rencontré India, j’ai su que c’était elle pour le rôle ! Ça a été un vrai déclic, elle avait cette sensibilité et cette humanité que je cherchais dans mes acteurs. Ceci s’est mêlé à l’humour qui se dégage du film, parce que c’est avant tout une comédie. C’est un peu comme une force de gravité, ça a attiré tous ces gens de différents bords. Et même quand certains n’ont que de petites scènes, chacun y apporte son humanité. Je pense à la scène du cimetière à laquelle Brigitte Rouän apporte son humanité, à cette scène magnifique, toute simple, qui ne tombe jamais dans le mélodrame. C’est pareil pour les acteurs syriens. Ce sont des gens qui ne sont pas forcément dans la comédie : Ziad Bakri qui accepte de faire une comédie, c’est totalement inhabituel !
Écrit-on différemment une comédie en anglais et en français ? Et qu’est-ce qui est le plus difficile ou le plus challengeant ?
On écrit clairement différemment ! Avant Les Barbares, ça faisait quelques années que je n’avais pas écrit en français, d’autant plus que je fais tout le temps des fautes d’orthographe [rires] ! Ici, j’avais aussi mes coscénaristes, heureusement. Après je ne saurais pas vous dire quelle est la vraie différence. Vous savez, on a découvert que les gens qui parlaient deux langues avaient deux personnalités ; je suis complètement différente selon la langue que j’emploie, même mon fils me le dit ! En fait, en français, je suis beaucoup plus comme mes parents. En anglais, j’ai appris le langage soutenu. Il y a donc deux Julie Delpy !
Comment voyez-vous Les Barbares dans votre filmographie ?
Je ne réfléchis pas vraiment à ce genre de choses, ou du moins je ne m’en rends pas compte. Je dirais que ce n’est pas forcément une évolution, mais plutôt une exploration de genres différents. J’aime explorer des tons différents, même des tons de comédies. D’ailleurs, Les Barbares est construit comme un kaléidoscope avec plein d’énergies différentes. Ceci dit, j’ai sûrement une patte, car j’aime le chaos organisé dans mes films, ce chaos un peu vivant !
Les Barbares, de Julie Delpy, avec Julie Delpy, Zyad Bakri, India Hair, Rita Hayek, Sandrine Kiberlain et Laurent Lafitte, 1h41, au cinéma le mercredi 18 septembre.