Entretien

Patrick Chesnais : “C’est toujours le texte qui commande, qui indique comment il faut le jouer”

13 juillet 2024
Par Robin Negre
Patrick Chesnais dans “Lettres d'excuses”.
Patrick Chesnais dans “Lettres d'excuses”. ©Emmanuel Faure

À l’occasion de sa venue à la Fnac d’Avignon, L’Éclaireur s’est entretenu avec le comédien Patrick Chesnais autour de son nouveau spectacle, Lettres d’excuses, présenté durant le Festival qui a lieu actuellement dans le sud de la France.

Pouvez-vous nous parler de votre rapport au Festival d’Avignon ?

J’y suis venu il y a longtemps, pour voir des spectacles à la Cour d’honneur, un endroit mythique. J’avais aussi un ami, Jean-Pierre Bisson, qui était le petit prince du Festival. Il avait écrit tout un tas de pièces dans lesquelles il jouait avec des personnages un peu cultes comme “l’écrivain”, “l’acteur” ou “l’empêcheur de tourner en rond”. Ma femme a également joué dans le Off en 2012. J’avais trouvé ça très plaisant. C’est pour cette raison qu’en 2014, j’ai présenté un spectacle. Il s’agissait de lectures des correspondances de Dostoïevski à l’Atelier théâtre actuel, toujours en Off.

Chaque fois que je viens, je fais toujours un petit détour par la Cour d’honneur, parce que c’est un lieu magique, qui comporte aussi son lot de déceptions. Mais ça ne fait rien, ça reste la Cour d’honneur avec les trompettes de Maurice Jarre et la ferveur du public. Cette année, je reviens au Festival Off parce que j’ai écrit un livre et que l’on m’a proposé, l’année dernière, d’en faire des lectures. On m’a donné l’opportunité de le faire pendant ces trois semaines à Avignon.

Redécouvrir votre texte [le livre Lettres d’excuses, paru aux éditions Archipels en février 2023, ndlr] a-t-il nécessité un travail de réécriture avant le spectacle ?

Non, pas du tout. Il a simplement fallu faire des choix, sinon ça allait durer quatre heures. Faire des choix et organiser les sélections des textes en fonction des choses drôles et des choses plus émouvantes ou parfois dérangeantes.

Patrick Chesnais dans Lettres d’excuses.©Emmanuel Faure

Le faire comme un musical, c’est-à-dire avec une espèce de succession de moments doux et de moments plus durs, de moments drôles et de moments plus intimes… J’ai réaménagé l’ordre des séquences pour pouvoir faire un spectacle, mais je n’ai pas touché une virgule de ce qui était écrit.

En revenant à votre livre quelques mois après, avez-vous redécouvert votre texte ? Des choses vous ont-elles surpris ?

Absolument. C’est une bonne question, oui. On oublie assez vite les textes qu’on a écrits, donc le fait de le relire, puis de l’interpréter – parce qu’il y a quand même une interprétation – m’a fait redécouvrir ce que j’avais écrit. C’est toujours des moments intéressants. Cela fait plusieurs jours que je joue et je redécouvre cette écriture qui est, quand même, assez théâtrale, assez dramatique dans le sens théâtral du terme. Ce sont des lettres d’excuses, donc on s’adresse à quelqu’un ou quelque chose, et cette adresse a quelque chose de très théâtral. Les gens s’identifient à la personne ou au concept et cela donne une force.

Le spectacle est une incarnation, un show, du jeu et, en même temps, c’est une lecture. Il faut respecter l’écrit, la façon dont on le dit, sans y mettre trop d’intention, mais aussi, la ligne d’après, ou la séquence d’après, laisser la place au plaisir de la représentation. C’est cet équilibre-là que j’essaie de trouver. Comme c’est une lecture, on peut aussi improviser les humeurs, les moments, les états, mais c’est toujours le texte qui commande, qui indique comment il faut le jouer, comment il faut le faire. Je ne m’interdis pas de changer les textes, de prendre d’autres lettres du livre ou de faire des passages plus drôles que j’ai laissés de côté.

Est-ce que vous avez l’impression, en montant sur scène, de jouer votre propre rôle ? Y a-t-il une distance qui se met entre vous et votre texte qui pourrait être nécessaire pour quelque chose d’aussi intime et personnel ? 

Je crois que c’est un peu les deux. Il faut qu’il y ait un peu une distance, parce qu’on est dans une représentation, il y a un public qui est venu écouter, voir, assister à une représentation. Cette représentation, qu’est-ce que c’est ? C’est Patrick Chesnais qui parle de sa vie et qui a été un petit peu stylisé, en tout cas distancé, par l’écriture. C’est moi qui parle ; c’est moi qui parle de ce que je connais, de ce que j’ai connu, de mes envies, des gens que j’aime, de mes humeurs, de mon point de vue sur la vie, l’amour, la mort.

« Je veux suggérer et pas souligner ou surligner ce que je dis et ce que je joue. »

Patrick Chesnais
Comédien

En même temps, la théâtralité et la représentation créent une distance. J’aime bien les choses qui ne sont pas mises sur la table directement, mais qu’on sent derrière. J’ai une pudeur aussi. Cette pudeur, je pense, crée une théâtralité, beaucoup plus que de surligner les choses ou de les surjouer.

Comment avez-vous abordé la mise en scène ?

Je voulais que ce soit avant tout le spectacle d’un homme qui arrive avec un texte sous le bras et qui va essayer de le dire le mieux possible. Rester dans ça et non pas le sophistiquer. Avec ma fille [Émilie Chesnais, collaboratrice artistique du spectacle, ndlr], on s’est dit qu’on pouvait quand même ponctuer de temps en temps, un moment, avec un peu de musique et se laisser aller à des envies comme ça. D’ailleurs, ce n’est pas finalisé. On peut changer de photos, changer de musique, changer l’ordre des textes. Tout est ouvert, c’est une rencontre avec le public. Je veux suggérer et pas souligner ou surligner ce que je dis et ce que je joue.

La rencontre avec le public vous surprend-elle par rapport, justement, au texte ?

Comme j’avais déjà joué à deux reprises dans des festivals, j’avais déjà ma référence ; ma référence des rires. J’ai fait des salons du livre où je lisais des extraits, comme ça, au hasard. Il y a une espèce d’écoute religieuse, vraiment, avec de temps en temps beaucoup de rires. C’est ce que je cherche en général au théâtre. Pour les autres représentations qui vont venir, il y a des choses beaucoup plus drôles que je vais peut-être ajouter.

Patrick Chesnais dans Lettres d’excuses.©Emmanuel Faure

C’est un spectacle qui est donc amené à évoluer ?

Exactement. Il y a une liberté, il y a un choix. Je peux piocher dans le bouquin autant que je veux. Là, c’est à peu près un tiers ou une petite moitié du livre, donc il y a encore toute cette grosse moitié qui reste et qui manque.

Il ne faut pas que ça dure plus de 1h15, donc l’idée serait d’enlever des chapitres et d’en mettre d’autres à la place. C’est intéressant aussi, c’est amusant. Je ne dis pas que c’est une routine, mais ça casse un peu l’habitude ou le rendez-vous. Là, je vais découvrir en même temps que le public l’impact de ces nouveaux arrivants. 

Avez-vous hésité à écrire de nouveaux textes également ?

Non, le livre suffisait. Seulement, comme c’est un spectacle, avec un seul acteur en l’occurrence, qui est là pour se donner en spectacle face à un public, il y a l’idée ou l’envie que ça soit un peu débridé, de laisser le choix au public. De lui demander ce qu’il veut. “Vous voulez qu’on continue à rire ou vous voulez un petit autre chose ?” : et voir comment ils vont réagir avec ça. J’aimerais jouer avec eux.

« Je suis chaque fois étonné de découvrir quelque chose que je ne connaissais pas, qui va me nourrir et qui, j’espère, par rebond, va nourrir les gens qui regardent. »

Patrick Chesnais
Comédien

Quelle est, selon vous, la spécificité des planches de théâtre ? Pourquoi cette envie d’y retourner et de continuer à explorer cette expression artistique ? 

Vous savez, j’ai joué deux pièces à Paris cette saison. Deux pièces très différentes. Grave et sérieuse d’un côté et une autre plus burlesque, dans la comédie. L’expérience sert, on ne peut pas la nier. Malgré tout, chaque fois, c’est une découverte en terre inconnue. C’est en cela que résident l’excitation et l’aventure. C’est-à-dire que c’est une aventure artistique, humaine, ainsi qu’une découverte. C’est ce qui en fait le prix. On ne peut jamais se lasser de ça. D’ailleurs, il faut un peu se méfier de l’expérience, des habitudes, des routines. Il faut essayer de redevenir totalement vierge, comme un jeune homme qui débuterait, alors que ce n’est pas du tout mon cas. Disons que ça me fait du bien, le jeu me fait bien.

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Je n’ai plus tellement d’angoisse de tout cela. Je sais exactement comment ça marche, mais je suis chaque fois étonné de découvrir quelque chose que je ne connais pas, qui va me nourrir et qui, j’espère, par rebonds, va nourrir les gens qui regardent. Je vais m’emparer chaque fois de quelque chose de différent dans une pratique que je connais par cœur, pour avoir des sensations différentes, donner aux gens qui regardent des sensations différentes et découvrir des choses que je ne connaissais pas. C’est irremplaçable. C’est un éternel recommencement. Ça me permet de rester éternellement jeune !

Lettres d’excuses, de Patrick Chesnais, au Festival Off d’Avignon, 1h10, du 29 juin au 21 juillet 2024.

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