Au cours de la dernière décennie, l’image de Britney Spears au sein de la pop culture s’est transformée. D’abord icône de la musique, la chanteuse est aujourd’hui perçue comme un symbole de lutte pour les droits des femme.
En septembre 2007, Cara Cunningham (anciennement connue sous le nom de Chris Crocker) avait fait sensation sur YouTube avec la vidéo intitulée Leave Britney Alone. Dans celle-ci, elle défendait, en larmes, la star planétaire après sa performance ratée durant les MTV Music Awards – intervenue alors qu’elle était en pleine dépression, divorçait de son premier mari et risquait de perdre la garde de leurs deux enfants. Devenues rapidement virales, ces images avaient d’abord entraîné l’hilarité des internautes et favorisé de nombreuses parodies. Avec le recul, difficile de ne pas repenser à ce buzz sans avoir froid dans le dos.
En effet, quelques mois plus tard, le tribunal de Los Angeles prononçait la mise sous tutelle de Britney Spears, dont la vie est « confiée » à son père (qui devra gérer sa vie personnelle et sa carrière) et à un avocat (chargé de sa fortune) après un séjour de la jeune femme en hôpital psychiatrique. Censée durer un an, la tutelle est prolongée jusqu’à ce que Britney Spears « présente des signes d’amélioration durable ». Concrètement, la star mondiale n’est plus maîtresse de son argent, de ses déplacements, de son lieu de vie, de ses choix de carrière… Pendant plus de 13 ans. Le calvaire de la chanteuse est désormais terminé : le 12 novembre 2021, le tribunal de Los Angeles a révoqué la tutelle dont elle était prisonnière. Mais les paroles d’une de ses plus ferventes supportrices résonnent de nos jours de façon funeste.
Le féminisme dans la pop culture des années 2000 : le paradoxe Britney Spears
Lorsque Cara Cunningham publie cette vidéo, Britney Spears a déjà marqué la pop culture et a su s’imposer comme l’idole de toute une génération. Qu’elle batte des records de ventes d’albums, qu’elle embrasse langoureusement Madonna sur scène en 2003, ou qu’elle se déguise en gladiateur pour Pepsi, difficile de ne pas voir la chanteuse comme la figure phare des années 2000, d’un point de vue artistique, commercial, mais aussi social. Or, ce titre semble être accompagné d’une malédiction. Britney Spears a fait les frais des années MTV, dont les coulisses sont loin d’être glorieuses. En effet, là où la star revendiquait une libération des corps tout en s’exprimant sur sa sexualité, l’envers du décor n’était pas aussi rose. « L’image était façonnée pour les puissants de l’industrie musicale, souvent des hommes cisgenres et bourgeois », note Lola Levent, journaliste musicale et activiste, dans un article des Inrockuptibles, et les médias se pressaient de commenter la virginité de la chanteuse et son tour de poitrine.
L’omerta était le maître mot et créait un paradoxe autour de l’image qu’elle véhiculait sur scène, mais aussi dans la pop culture en général. Difficile d’imaginer qu’elle ne contrôlait pas sa vie en coulisses alors qu’elle célébrait l’empowerment et le girl power dans ses chansons. Pire encore, son intimité était scrutée en permanence. « Au début de sa carrière, son image était façonnée. C’était une jeune fille blonde qui allait plaire à tout le monde. Elle avait vraiment cette image de l’American sweetheart. On était encore dans une Amérique florissante, avant les attentats du 11 septembre et au début d’Internet. Britney est arrivée à un moment charnière, d’un point de vue médiatique, au sein de la pop culture », explique Maëlle Le Corre, journaliste société pour Madmoizelle et autrice de l’article « De la putain de cruauté » : Britney Spears fait de nouvelles révélations.
La journaliste explique que la pop star symbolisait déjà quelque chose en parlant de sa sexualité ou de sa non-sexualité prétendue, de la façon dont son couple avec Justin Timberlake était scruté puis la manière dont s’est faite la rupture. « Au moment du deuxième, puis du troisième album, elle réinvente son image en affirmant qu’elle est une femme, qu’elle est un corps sexualisé. Elle se réapproprie cela. Le problème, lorsqu’on est une star et que l’on veut s’émanciper, c’est qu’il faut faire face aux critiques. » Cette pop culture trash a été récemment mise en lumière dans le documentaire Framing Britney Spears (2019). Réalisé par Samantha Stark, il est également revenu sur les dessous de la tutelle de son père. Cette décision de justice, déclarée le 1er février 2008 a bousculé la vie de la chanteuse et a fortiori son image.
Britney Spears : de pop star planétaire à symbole féministe
Aujourd’hui, celle à qui l’on doit les tubes Baby One More Time, Oops !… I Did It Again ou encore Toxic n’est plus perçue de la même manière dans la pop culture. Personnification des années 2000, biberonnée au Mickey Mouse Club, Britney Spears est passée d’une icône de la musique à un symbole de lutte pour les droits de la femme dans la société actuelle. Pour Maëlle Le Corre, « elle n’incarne pas la même chose que d’autres pop stars, comme Beyoncé. Par contre, par rapport à son parcours et la trajectoire récente, elle incarne quelque chose dans le féminisme qui concerne le droit des femmes du point de vue de l’autonomie et de l’indépendance. Ce qui est intéressant, c’est qu’on n’aurait jamais imaginé que Britney Spears puisse subir ça. La tutelle de Britney est très intéressante, car elle symbolise quelque chose d’extrême, sur une durée incroyable. Elle incarne quelque chose dans le féminisme et la pop culture, qu’elle le veuille ou non. »
Néanmoins, le basculement de son image au sein de la pop culture et a fortiori au sein du féminisme ne va pas s’opérer dès 2008. Quand la tutelle de la chanteuse est confiée à son père, James Parnell Spears, peu de voix s’élèvent pour contester la décision de justice. L’œil médiatique, la brutalité de la société et le regard social ont même participé à l’époque à sa justification. « En 2008, la tutelle est plutôt gardée secrète. On sait que Britney Spears ne va pas bien et cela passe notamment à travers un regard sur la sécurité de ses enfants, sur le fait qu’elle n’est pas capable de s’en occuper. » Maëlle Le Corre explique qu’elle a l’image médiatique de la mauvaise mère et on ne la reconnaît qu’à travers cette instabilité. « L’idée de la tutelle n’est pas très visible, surtout en France. En plus, Britney continue de sortir des albums et de donner des concerts. Il y a aussi le fait que les gens s’en fichaient à l’époque. Je pense que ça a commencé à bouger assez récemment, autour de 2018-2019. »
Du #FreeBritney au #MeToo : les causes de l’évolution
Plusieurs raisons ont favorisé l’évolution de son image, à commencer par la mobilisation de ses fans. À travers le hashtag #FreeBritney, apparu dès 2009, les fidèles se sont rassemblés afin de dénoncer le traitement abusif subi par la chanteuse. Par ailleurs, le mouvement a connu une résurgence inédite en 2019, grâce aux réseaux sociaux, au moment où cette tutelle est devenue un conflit judiciaire familial aux contours opaques. « Les fans se sont mobilisés et, même là, ça a mis du temps. Parce qu’un fan, ce n’est pas sérieux, c’est frivole et déraisonnable. Pourtant, ils ont raison depuis le début et je pense que s’il n’y avait pas eu ces soutiens, la tutelle aurait été maintenue encore quelque temps. Ça a joué sur l’opinion médiatique. Il y a aussi un attachement pour elle. Elle a ce charme, cette fraicheur et ce sourire désarmant, qui font qu’aujourd’hui, on regrette de ne pas avoir été plus juste avec elle. Tout le monde l’a maltraitée », note Maëlle Le Corre.
Ces soutiens sont à l’origine des récents documentaires diffusés sur les plateformes de streaming : Netflix avec Britney vs. Spears et Amazon Prime Vidéo avec Framing Britney Spears. Ils ont permis de démocratiser les problématiques de l’affaire. Grâce à ce genre de contenus, les enjeux féministes et, en l’occurrence, ceux liés à l’indépendance d’une femme, ne sont plus réservés à une élite ou aux recherches universitaires. Un argument défendu par la journaliste Jennifer Padjemi dans son essai Féminismes et pop culture, qu’elle avait également expliqué lors d’un entretien accordé aux Inrockuptibles en mars 2021.
La fin d’un enfer de 13 ans et un nouveau départ
Pour Maëlle Le Corre, il n’y a pas qu’un seul élément déclencheur : l’évolution de l’image de Britney Spears est aussi le reflet d’un contexte plus général, propice à l’écoute et à une meilleure compréhension des enjeux féministes. Ce levier a notamment été enclenché depuis l’arrivée du mouvement #MeToo, qui a impacté le secteur artistique à plusieurs niveaux. « C’est une histoire de contexte. Pour que cela ait duré 13 ans, c’est qu’il a fallu que les maillons de la chaîne se raccrochent pour créer ce moment et que judiciairement ça puisse fonctionner. S’il n’y a pas eu de mobilisation avant, c’est aussi parce que le moment n’était peut-être pas favorable, en tout cas l’attention n’était pas là. En termes médiatiques, je pense que le fait qu’il y ait eu cette libération de la parole avec #MeToo, a joué et a facilité une meilleure compréhension de la question féministe. »
Le « conte macabre de Britney Spears » a finalement pris fin le 12 novembre 2021, après 13 ans de calvaire. Ce traitement archaïque et extrême en fait une figure féministe inédite dans le paysage médiatique actuel. Autrefois pop star sexualisée, elle est aujourd’hui la figure d’un mouvement d’indépendance de la femme planétaire, dont il nous tarde d’observer les répercussions tant sur le plan personnel qu’artistique. Avec cette nouvelle décision de justice, Britney Spears aura pris sa revanche sur les années MTV et l’influence néfaste de son entourage. Un pied de nez qui en fait finalement une créature fascinante de la pop culture et du féminisme. Reste à savoir si cette image perdurera et si 2021 aura marqué la renaissance de celle qui, malgré la tutelle, martelait dans ses chansons « It’s Britney Bitch ».