Entretien

Winshluss : “Il y a une grande force créatrice dans les dessins animés”

09 juin 2024
Par Agathe Renac
“Angelo dans la forêt mystérieuse” sortira le 23 octobre 2024 au cinéma.
“Angelo dans la forêt mystérieuse” sortira le 23 octobre 2024 au cinéma. ©Le Pacte

On le connaît pour ses BD et ses films sombres. Après le succès de Persepolis, Vincent Paronnaud, dit Winshluss, était de retour à Cannes cette année avec Angelo dans la forêt mystérieuse. Un film profond, qui sera aussi présenté dans la sélection officielle du festival d’Annecy.

Cette année, le cinéma d’animation était à l’honneur au Festival de Cannes. Six œuvres ont été présentées et la palme d’or d’honneur a été remise au Studio Ghibli. Comment expliquez-vous ce regain d’intérêt et de reconnaissance ?

J’ai l’impression que l’animation suit le même parcours que la bande dessinée. C’est un genre qui, à l’origine, était destiné aux enfants, mais le public a finalement compris – après un long processus – qu’il s’adressait à tout le monde et qu’on peut raconter des histoires très différentes et matures. Il y a une grande force créatrice dans les dessins animés ; il suffit de voir toute la vague japonaise et les œuvres des studios Ghibli pour le réaliser. Même les plus réfractaires ne pouvaient plus passer à côté de ce phénomène.

L’offre est aussi de plus en plus conséquente. Comment se démarquer dans cette industrie ?

Je ne sais pas si j’ai la recette ultime, mais je pense qu’il faut s’imprégner de son sujet et y croire. L’originalité naît de nos histoires personnelles et de nos implications. Le film est particulier, justement parce qu’il nous appartient. Quand on s’est lancé sur Angelo dans la forêt mystérieuse avec mon coréalisateur Alexis Ducord, on était en autarcie. On était focalisés sur le projet. On avait le nez dans le guidon pendant des mois, et ce n’est qu’à la fin qu’on a vraiment réalisé le travail qu’on avait produit.

Je viens de la BD, et je dois dire que l’animation est une sacrée épreuve. Ce n’est pas du tout le même tempo, on est sur du long terme – le projet d’Angelo a été lancé il y a six ans, par exemple. Ça peut être éprouvant, car il y a énormément de frustration, on doit tout le temps trouver des astuces et des solutions. C’est aussi un budget conséquent – 10 millions d’euros –, mais en même temps, c’est de la 3D, donc on doit toujours trouver des moyens pour arriver au bout de ses ambitions.

Persepolis, que vous aviez coréalisé avec Marjane Satrapi, a reçu un prix à Cannes, puis aux César, avant d’être nommé aux Oscars. Comment expliquez-vous un tel engouement ?

On était très impliqués dans ce projet avec Marjane, que ce soit d’un point de vue moral ou intellectuel. Ce sujet me portait vraiment, au même titre qu’Angelo. Finalement, Persepolis nous a propulsés à Cannes, qui n’est pas du tout mon monde. Je ne viens pas du cinéma, j’ai eu un parcours assez alambiqué. Donc pour en revenir au Festival, je me souviens que j’étais très fatigué, je n’en pouvais plus de ce film. J’ai monté les marches en état d’hypnose et je ne comprenais absolument pas ce qu’il se passait. Ensuite, il y a eu un emballement gigantesque autour de ce long-métrage. C’est sûrement lié à l’honnêteté du projet, mais je ne pensais pas que ce serait possible. Pas à ce point. C’était un moment intriguant, exotique.

Le mois dernier, vous étiez dans une salle remplie d’enfants pour la première projection d’Angelo dans la forêt mystérieuse. Qu’est-ce que ça fait d’être de retour à Cannes et de vivre en direct les émotions des spectateurs ?

C’est terrifiant. Je n’ai jamais aimé cet exercice. Quand je suis dans la salle, je n’ai pas un regard de spectateur. Je regarde le film en me disant que j’aurais dû faire différemment et je vois tous les défauts. On sent si la salle réagit ou pas, c’est plutôt angoissant. Je préférerais être une petite souris et observer ça de plus haut. Encore une fois, je viens de la bande dessinée et c’est très différent. Quand on produit un livre, on le lâche dans la nature et on n’est pas derrière l’épaule du lecteur pour voir ses réactions. Là, il y a une sorte de fusion qui peut être désagréable.

©Le Pacte

Le film commence quand Angelo est oublié sur une aire d’autoroute par ses parents. Était-ce, aussi, votre pire phobie ?

Non, mais ça me rappelle une histoire vraie qui est arrivée à une personne que je connais. Quand on n’a pas d’enfant, on pense que ce scénario est impossible. Mais quand on en a plusieurs, on réalise que ça peut clairement arriver. Toute la famille est sur l’aire d’autoroute, on rentre dans la voiture, on demande si tout le monde est là, on entend des “oui”, on est dans le rush, on part, et l’enfant est resté sur l’aire d’autoroute. C’est aussi la terreur pour les parents, parce qu’il y a encore beauuucoup de chemin avant de retrouver la bretelle pour sortir !

Philippe Katerine, José Garcia et Yolande Moreau ont prêté leur voix à votre film. Comment avez-vous vécu cette expérience ?

Je ne vais pas faire ce genre de making-of en mode “Tout le monde était sympa”, mais il se trouve que ça s’est très bien passé. José Garcia était à fond, c’était très agréable. Si les personnes avec qui on travaille ne sont pas impliquées un minimum, on perd du temps en fait. Donc quand quelqu’un arrive et nous donne tout, c’est génial. Il nous faisait beaucoup de propositions et s’impliquait énormément.

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Philippe Katerine, c’est Philippe Katerine. Il a un ton et une manière de parler qui sont super. On n’a rien à faire à part être là et assister à ce machin bizarroïde. Il incarne vraiment cet écureuil. Yolande Moreau, c’est la gouaille. En fait, il n’y a pas grand-chose à faire quand les gens ont du talent. Quand ils sont bons, on a juste à appuyer sur “On”, et c’est réglé. On se contente de regarder le spectacle.

Comment garder son âme d’enfant quand on est auteur ou cinéaste ?

Quand je suis dans un registre plus adulte, que ce soit pour un film ou une BD, j’imagine des univers très sombres – et qui finissent toujours mal. Cependant, le moment de bascule vers un monde plus enfantin est très facile. Un jour, je me suis dit : “J’ai des enfants, j’aimerais faire un livre qui leur est destiné.” Je pense que c’est une très bonne chose de se contrarier. Ce type de projet me permet de retrouver un peu de naïveté et d’idéalisme.

Avec Alexis Ducord, on voulait diffuser des messages assez simples sur la tolérance et sur le fait de résister. Quand on voit le monde dans lequel on vit, c’est très difficile de ne pas être négatif, mais on voulait vraiment parler de résistance dans ce film. C’est une thématique qui fait forcément écho à de nombreuses situations actuelles.

Vous abordez d’autres sujets très sérieux et difficiles, comme l’identité ou la mort. Comment traite-t-on de tels thèmes quand on sait qu’ils vont toucher des enfants ?

Il faut les aborder de manière honnête, tout simplement. Mon objectif n’est pas d’être pédagogique ou dogmatique, mais je me dis que je peux transmettre certains messages importants, notamment sur la mort, la tolérance ou l’identité. Il faut trouver un moyen de raconter toutes ces histoires sans être lourdingue. Par exemple, la symbolique derrière ce personnage d’écureuil qui rêve d’être un oiseau est assez évidente. On en a fait un héros comique qui galère, mais qui essaie. C’est aussi ce qu’on voulait défendre : le fait d’essayer. On a créé des protagonistes qui se cherchent – comme l’ogre qui tente de ne plus manger des gamins – et qui sont à la fois pathétiques et merveilleux.

©Le Pacte

J’ai aussi emprunté de nombreux passages de ma vie pour écrire et réaliser Angelo, comme la mort de ma grand-mère, qui était ma première douleur d’enfant. J’étais dans l’incompréhension face à cet événement. Mais les enfants ne sont pas bêtes. Quand Angelo dit que toutes les histoires ne finissent pas bien, les jeunes spectateurs comprennent ce qui se cache derrière le mot et le concept de “la mort”. Moi, j’aimais beaucoup ma grand-mère. Et elle est partie, du jour au lendemain. Je me suis donc permis d’être Dieu et je l’ai ranimée dans mon film. Ça sert aussi à ça, d’être un artiste.

Quels messages souhaitez-vous transmettre aux enfants à travers vos films ?

L’idée que rien n’est simple. La vie est complexe, les personnes le sont tout autant. Ce qui me perturbe et m’énerve, c’est qu’on vit dans un moment hyper idéologisé et dogmatique. Aujourd’hui, tout le monde a raison. On ne s’écoute pas les uns les autres. C’est hyper violent et il y a beaucoup de haine. La pensée n’est plus développée, on n’a plus le temps. J’aimerais donc dire à ce jeune public qu’on peut être plein de choses, un peu comme ci, un peu comme ça… Et que la réalité n’est pas aussi simple qu’elle n’y paraît.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste