Entretien

Martin Luminet, notre talent du mois : “La musique est pour moi une façon de créer des liens pour se sentir moins seul”

07 juin 2024
Par Benoît Gaboriaud
Martin Luminet.
Martin Luminet. ©DR

Sensible et combattant, Martin Luminet magnifie la tristesse et le banal à travers des chansons cinématographiques poignantes et lumineuses, qui rassemblent de plus en plus de monde. L’Éclaireur est allé à sa rencontre.

En février 2023, Martin Luminet dévoilait Deuil(s), un disque consacré à celui de son grand-père, de sa relation amoureuse et de la société, mais finalement plein de vie. Le trentenaire l’a porté haut, jusque sur la scène de La Cigale où l’a rejoint Gaëtan Roussel. Fort de ces expériences, il a souhaité l’étoffer en y ajoutant quatre titres et en retravaillant ses voix et certains arrangements. En résulte Après deuil(s).

Après deuil(s) est-il la suite “augmentée” de votre premier album ?

L’idée était de répondre à la question : “Comment vit-on un deuil un an après l’avoir traversé ?”, mais aussi de faire vivre le disque plus longtemps et de lui apporter de nouveaux morceaux qui pourraient faire le pont entre ce projet initial et le suivant. Quand tu as été envahi par un deuil, une blessure ou une tristesse, il faut apprendre à les laisser partir et à s’en détacher, sinon ils finissent par te définir. J’ai donc réécrit des chansons sur ces deuils, mais avec davantage de recul. Aussi, l’album fonctionnait bien sur scène. Nous avions retravaillé les titres en ce sens. Sur le plan musical, la scène est pour moi l’endroit où les morceaux s’épanouissent le plus, j’ai donc voulu donner au disque la saveur du live en y intégrant ces arrangements spécifiques. 

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Ce qui signifie qu’Après deuil(s) est plus organique que Deuil(s) ?

Sur scène, je suis au clavier accompagné d’un combo basse-batterie. On retrouve donc dans cette nouvelle version du disque des lignes de basse que nous avions spécialement composées pour le live, car nous trouvions cela plus vivant. Pour la batterie, nous avons tout réenregistré en prise live, donc au final, cet enregistrement est plus organique, plus proche du live, sans en être un. Pour garder une certaine cohérence, j’ai aussi réenregistré mes voix.

« Je vois mes chansons comme des petits films et j’aime les traverser à la manière d’un travelling. »

Martin Luminet

Lors de votre concert à La Cigale en mars dernier, vous avez eu le privilège d’avoir Gaëtan Roussel en première partie, comment ça s’est fait ?

Nous nous sommes rencontrés sur le plateau de Taratata. Il m’y a invité sans que je le connaisse, mais il est très curieux des artistes émergents. Après le spectacle, maladroitement, je l’ai remercié et invité à mon tour à ma Cigale, mais il m’a répondu qu’il avait déjà sa place. Il m’a alors proposé d’y chanter un duo, voire de faire ma première partie en guitare-voix, sans l’annoncer pour garder la surprise.

Martin Luminet – La Cigale 2024.

À ce moment-là, nous nous connaissions depuis une heure à peine, j’ai pris ça pour une blague. Le lendemain, je reçois un message de sa manageuse qui me dit que Gaëtan était sérieux. Du coup, il a bien fait ma première partie, mais ce n’est pas tout, nous avons aussi écrit un texte ensemble, Jusqu’ici, que nous avons joué ce soir-là.

Après deuil(s) commence par le nouveau titre intitulé Générique. Vos chansons sont justement très cinématographiques. Le 7e art est-il une source d’inspiration pour vous ?

Oui, totalement. Je vois mes chansons comme des petits films. J’aime cette idée de les traverser à la manière d’un travelling. Le réalisateur du disque, Benjamin Geffen, avec qui j’ai composé certains titres, écrit aussi beaucoup de musiques de film. Cette atmosphère me parle beaucoup. J’ai grandi avec les films de Christophe Honoré comme Les Chansons d’amour, écrit par Alex Beaupain, mais aussi ceux de Greta Gerwig. Elle me bouleverse à chaque fois.

Martin Luminet est notre talent du mois.©DR

J’aime beaucoup les films qui parviennent à parler du quotidien de manière remarquable. Ça rejoint mon idée de traiter ces deuils qui ne sont pas extraordinaires et que tout le monde vit. La façon dont nous les regardons peut faire en sorte que ces périodes ne soient pas vaines. Au maximum, j’essaie d’écrire sur de la matière vécue et non fictionnelle. Plein d’événements paraissent anodins, mais ils sont en réalité remarquables. 

De quoi parle Générique ?

De ces deuils ou de ces personnes malveillantes qui finalement agissent comme une maladie qui te donne des anticorps.

Après deuil(s) est-il finalement davantage sur la réparation ?

Quand je me suis lancé dans l’écriture de ces quatre nouveaux titres, j’ai fait le constat que je ne me suis pas effondré, malgré toute la tristesse provoquée par ces deuils. Quelque chose m’a soutenu et nous tient tous. Des gens se relèvent de maladie, de chagrins d’amour ou de traumatismes. Parfois, nous y arrivons alors que ça nous semblait hors de portée, grâce à des forces que nous ne soupçonnions pas. C’est l’idée de ces quatre nouvelles chansons.

(Nouveau) Monde – Martin Luminet.

Dans le disque, il est aussi question d’une critique de la société et de ses dérives.

Oui, nous vivons tous un deuil climatique, générationnel ou social : un deuil de l’équilibre du monde. On nous avait mis dans la tête que toutes les guerres et que toutes les bêtises avaient été faites avant nous. On croyait être une génération à l’abri de tout cela, et que le pire était derrière nous. Mais non ! L’histoire se répète. Pire, on revient en arrière sur plein de sujets. Intellectuellement et socialement, une partie de la société régresse. Dans cet album, je fais un état des lieux pour savoir contre quoi se révolter et comment résister. 

Dans la chanson Pardon, vous écrivez : “La parole se libère, l’écoute se referme”.

La politique, mais aussi nos rapports aux réseaux sociaux qui n’ont plus rien de social, sont en toile de fond du titre. Je pense que les réseaux sociaux nous éloignent de la vérité et dénouent les liens. Ne faudrait-il pas passer à autre chose ?

Pardon – Martin Luminet.

Je n’ai jamais vu autant de violence de ma vie que sur les réseaux sociaux où personne ne s’écoute. La patience et la nuance n’y ont pas leur place et c’est dommage. Bon, je parle un peu comme un vieux c.. [rires], mais c’est quand même un constat alarmant.

Vous considérez-vous comme un artiste militant ?

Pas vraiment, il ne faut pas mélanger son art et son militantisme comme sa thérapie et son art. Je préfère garder une distance entre les deux. Il y a un équilibre à trouver. Plus que du militantisme, il s’agit dans mon album de sensibilité qui dépasse la sphère de l’intimité. La musique est pour moi une façon de créer des liens pour se sentir moins seul.

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