Critique

The Apprentice : le film sur le passé de Donald Trump mérite-t-il la Palme d’or ?

22 mai 2024
Par Agathe Renac
Présenté au Festival de Cannes, “The Apprentice” n'a pas encore révélé sa date de sortie française.
Présenté au Festival de Cannes, “The Apprentice” n'a pas encore révélé sa date de sortie française. ©Scythia Films

Présentée en compétition officielle au 77ᵉ Festival de Cannes, l’œuvre d’Ali Abbasi nous dresse un portrait subtil, intelligent et très réaliste de l’ancien Président des États-Unis.

« Ceci n’est pas un film sur Donald Trump, prévient Ali Abbasi en conférence de presse. C’est un film sur un système et son fonctionnement. » À six mois des élections américaines, The Apprentice était l’un des longs-métrages les plus attendus du Festival de Cannes. Son actualité brulante et son casting (très) prestigieux ont éveillé la curiosité des critiques et des cinéphiles, et pour cause.

Réalisée par le cinéaste dano-iranien Ali Abbasi (connu et reconnu pour Border et Les nuits de Mashhad), l’œuvre est portée par un Sebastian Stan (Captain America) plus vrai que nature dans la peau de Donald Trump, un Jeremy Strong (Succession) époustouflant dans le rôle de Roy Cohn, ou encore une Maria Bakalova (Borat) qui excelle dans son rôle d’Ivana Trump et nous fait découvrir un tout nouveau visage de l’ex-femme du milliardaire. Fascinant, dynamique et subtil, le film nous plonge dans le New York des années 1970 pour nous faire revivre l’ascension de Donald Trump, un jeune homme ambitieux qui n’a qu’une envie : ne faire qu’une bouchée de la grosse pomme.

Make New York great again

New York vu d’en haut, avec ses gratte-ciel infinis. New York vu d’en bas, avec ses rues sales et laissées à l’abandon. Des scènes de violence, de fête, de drogue. La caméra capture « la ville de la peur » avec une musique rock entraînante, et la magie opère tout de suite. Dès les premières minutes, on écoute, captivés, une voix masculine qui nous décrit cette ville qui avait tout pour faire rêver, mais qui a perdu de sa splendeur. Cette voix, c’est celle de Donald Trump.

Un homme aux 1000 vies (mais qui ne le sait pas encore), et dont le parcours a été capturé dans ce long-métrage de deux heures. Parce que The Apprentice n’est pas seulement un film sur le monde de la politique. C’est l’histoire d’un parcours hors normes et d’un homme façonné par un père autoritaire, raciste – même s’il assure qu’il ne l’est pas car « [s]on chauffeur est noir » –, patriotique et homophobe, qui a tellement banalisé l’insulte « pédé » qu’elle est devenue une ponctuation naturelle dans ses phrases.

Cependant, l’œuvre s’intéresse tout particulièrement à une rencontre qui a tout changé : celle de Donald Trump et de Roy Cohn dans un club très sélect de la ville. Dès leurs premiers échanges, le célèbre avocat américain voit le potentiel de son nouveau poulain et met beaucoup d’espoir dans ce « pur-sang magnifique » qui veut « rendre à New York sa grandeur ».

Les secrets du pouvoir

Ce nouveau mentor va l’aider et le conseiller pour qu’il puisse mener à bien son projet auquel personne ne croit : rénover le Commodore pour en faire l’un des plus beaux hôtels new-yorkais. Politiques, journalistes, artistes, sportifs… Il lui présente les personnes les plus influentes de la ville et lui apprend à corrompre tout le monde, car ici, tout est question de relations – même quand il s’agit de demander au maire un abattement de 160 millions de dollars pour construire le bâtiment de ses rêves.

Roy Cohn lui livre aussi ses trois règles pour gagner : « 1. Attaquer », « 2. Nier », « 3. Ne jamais s’avouer vaincu », sans savoir qu’il est en train de créer un monstre. En effet, le « Donny boy » a bien appris ses leçons, et près de 50 ans plus tard, les principes de l’avocat semblent plus actuels que jamais. The Apprentice nous fait ainsi entrer dans les coulisses du pouvoir, dressant par la même occasion le portrait d’un homme dont la tête déborde d’idées ambitieuses.

Le film fait aussi le pari de s’immiscer dans l’intimité de Donald Trump en nous relatant sa rencontre avec sa future épouse, Ivana, et comment il est parvenu à conquérir cette femme indépendante. Interrogée à ce sujet lors de la conférence de presse, l’actrice s’est confiée sur son rôle, rapportant que « plus [elle a] étudié ce personnage, plus [elle l’a] aimé ». On est, nous aussi, tombé sous le charme, prenant plaisir à découvrir une femme passionnée, ambitieuse et en avance sur son temps.

Human after all

Le long-métrage fait un sans-faute, à tous les niveaux. Les dialogues sont très bien écrits et rythmés, et fusent comme des missiles – à l’image de son protagoniste. Le scénario est sublimé par une réalisation léchée avec un grain propre aux seventies, mais aussi par un montage frénétique et une BO exceptionnelle qui nous reste en tête un long moment après la fin du générique. Il ne souffre d’aucune longueur et parvient à nous embarquer dans son histoire du début à la fin, durant deux heures. Ali Abbasi a clairement atteint son objectif : « Déconstruire le personnage (…), l’image mythologique de l’icône pour le rendre plus humain ».

Le pari est brillamment relevé, et le film parvient même à nous faire ressentir (parfois) de l’empathie pour un homme que l’on ne connaît que trop bien et qu’on apprécie très peu. Il doit surtout cette réussite à son trio d’acteurs exceptionnel qui crève l’écran. Qu’il s’agisse de Jeremy Strong avec son regard désabusé et cerné ou Sebastian Stan avec sa mèche laquée, ses mimiques et ses lèvres pincées, les ressemblances physiques sont troublantes et participent à ce réalisme.

Anatomie d’une réussite

Tout le monde connait le personnage de Donald Trump. Cependant, Ali Abbasi souligne très justement le fait que « quand on l’étudie au fil des décennies, on a l’impression que c’est une personne complètement différente (…) ». Le réalisateur et Sebastian Stan sont néanmoins parvenus à s’emparer de ce personnage pour nous en proposer une version complexe et fascinante. Le long-métrage est juste et intelligent, et dresse le portrait d’un homme imbu de lui-même et de pouvoir, mais aussi du monde de la politique et ses institutions, un univers injuste et cruel, gangréné par la corruption.

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The Apprentice devient ainsi un film nécessaire, qui, comme le souligne Jeremy Strong, paraît « dans un monde où la vérité est attaquée ». « C’est ce que nous voyons avec la campagne de Donald Trump : une atmosphère de fake news se répand. Ali Abassi a fait un film sur un monstre. Il a essayé de comprendre le monde dans lequel nous vivons, et comment cette situation de folie peut perdurer. »

Sans surprise, l’équipe de Donald Trump a menacé d’attaquer l’œuvre en justice. Cependant, Ali Abbasi rappelle que l’homme politique « dit très souvent qu’il va porter plainte contre telle ou telle personne, [qu’]on parle beaucoup [de ses procès], mais beaucoup moins de ses succès. » En attendant le verdict de l’ancien Président des États-Unis, celui du jury de ce 77e Festival de Cannes pourrait être très positif. Après le triomphe d’Anatomie d’une chute l’an passé, la dissection de cette ascension a toutes ses chances de remporter la Palme d’or.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste