Décryptage

Et si la prélogie Star Wars était en fait la meilleure trilogie ? 

22 mai 2024
Par Robin Negre
Le poster de “Star Wars : la revanche des Sith”.
Le poster de “Star Wars : la revanche des Sith”. ©Lucasfilm

Alors que George Lucas reçoit une Palme d’or d’honneur au Festival de Cannes dans quelques jours, retour sur les trois films les plus mal-aimés du cinéaste.

Il y a longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine, George Lucas terminait de réaliser un film essentiel du 7e art, fondateur et déterminant pour plusieurs générations à venir, Star Wars : un nouvel espoir (1977). Éreinté par la production, il décide de laisser la place derrière la caméra à Irvin Kershner pour Star Wars : l’Empire contre-attaque (1980) et à Richard Marquand pour Star Wars : le retour du Jedi (1983).

Des attentes démesurées

Le travail de Lucas en tant que réalisateur aurait pu s’arrêter là, mais il revient à sa saga à la fin des années 1990 et réalise entièrement la prélogie : La Menace fantôme (1999), L’Attaque des Clones (2002) et La Revanche des Sith (2005).

La bande-annonce de Star Wars : la menace fantôme.

Affirmant un style et un propos se démarquant de la trilogie originale, George Lucas fait face à de nombreuses critiques regrettant plusieurs éléments de cette prélogie, à commencer par le casting, le ton et l’utilisation à outrance des effets visuels. Pourtant, ces trois films continuent de montrer avec intelligence l’effondrement d’un système, d’une civilisation et d’une société, en cultivant un rapport à la politique particulièrement important. La prélogie est en réalité la colonne vertébrale de l’univers Star Wars.

Elle permet d’apprécier ce qu’il y a avant et – naturellement – ce qui vient après. En termes de dramaturgie, elle ose également construire une intrigue basée sur l’échec, la perte et la défaite des protagonistes.

Pour l’occasion, Thibaut Claudel, spécialiste Star Wars et auteur du livre Le Mythe Star Wars – Épisodes VII, VIII & IX : Disney et l’héritage de George Lucas (Third Editions) revient également sur son rapport à la prélogie : « Étant né dans les années 1990, j’ai grandi avec la prélogie, et elle a toujours eu une place spéciale dans mon cœur, même après ma découverte de toute la haine et la déception qu’elle a pu engendrer. Après, pour être tout à fait honnête, j’ai eu ma petite période rebelle en arrivant à l’adolescence. Un peu rattrapé, malgré moi, par l’avis des gens sur un Internet naissant, je me suis mis à douter de la prélogie, notamment sur sa mise en scène. Et il est vrai que quand on commence à ouvrir ses horizons cinématographiques, on découvre que cette trilogie aurait pu être réalisée avec plus de folie. Mais, depuis, j’ai appris à comprendre et respecter le style de Lucas. Et surtout à faire la part des choses : un film ne se limite pas à sa mise en scène. »

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Dès l’écriture de la trilogie originale, George Lucas se rend compte que son histoire est suffisamment riche pour s’étendre à plusieurs films. Après la fin de la trilogie, il commence ainsi à réfléchir à un prequel, pour expliquer et montrer comment le règne de l’Empire et l’avènement de Dark Vador ont lieu. Initialement, il pense axer l’histoire sur la guerre des Clones et Obi-Wan Kenobi, avant de recentrer le tout sur Anakin Skywalker, enfin de suivre sa vie et sa transformation en seigneur noir des Sith.

Plus de 20 ans après Star Wars : un nouvel espoir, le cinéaste ne se refuse rien. L’évolution de la technologie a suffisamment progressé pour lui permettre de donner vie à ses obsessions visuelles et esthétiques, et l’importance du mythe Star Wars fait que, cette fois, il n’est plus seul. Le monde entier croit en son projet et attend les nouveaux films avec impatience. Une attente démesurée ? Probablement. L’importance de la trilogie et sa capacité à stimuler l’imagination du spectateur – qui crée ses propres histoires de l’espace et se met à rêver et à fantasmer autour de la vie des personnages – rendent la découverte de Star Wars : la menace fantôme décevante pour de nombreux fans. Ce n’est plus exactement pareil.

Un nouveau Star Wars

Les personnages sont pour la plupart inédits, le contexte a changé et George Lucas opère deux distinctions majeures : visuellement, tout d’abord, son film se démarque de la trilogie. Concernant les thématiques ensuite, il ne construit pas son intrigue en suivant les étapes du mythe du héros – développé notamment par Joseph Campbell – ou de la quête initiatique. Le film est plus politique, plus collégial et se base moins sur l’aspect mythologique ou la fantasy spatiale des premiers films.

Pour Thibaut Claudel, cet aspect politique est bien l’une des forces principales des films : « Ce que la prélogie arrive à dire de nos démocraties, des menaces qui planent sur leurs têtes, de l’impérialisme, du fascisme, c’est très fort. Surtout pour des films qui, rappelons-le, se destinent avant tout aux enfants et aux adolescents. Je trouve que c’est une force incontestable de cette trilogie face aux deux autres. Mais je pourrais aussi citer son sens de l’échelle et son inventivité. Il y a dans la prélogie des centaines de créatures, de vaisseaux, de planètes et de personnages secondaires toujours marquants, même lorsqu’ils n’apparaissent que pour quelques minutes voire quelques secondes. »

Star Wars : la menace fantôme.©Lucasfilm

George Lucas a également une dernière carte dans sa manche : les Jedi sont resplendissants, deviennent des sur-hommes à la maîtrise martiale absolue. Les combats de Star Wars : la menace fantôme sont prodigieux. Lors du final, le cinéaste dévoile un nouvel antagoniste instantanément culte – même lors de la sortie du film, le Sith est plébiscité –, Dark Maul.

Armé d’un double sabre laser rouge, face à deux Jedi et leurs sabres bleu et vert, le « duel du destin » (en référence au titre de la composition magistrale de John Williams Duel of the Fates) fait entrer la saga dans une nouvelle ère : celle de la démesure, du panache, de l’outrance assumée. Cette démesure, George Lucas la gardera dans les deux films suivants.

Si Star Wars : l’attaque des Clones est probablement le film de la prélogie le plus critiqué, il pose les bases d’un lore régulièrement évoqué dans la saga : la fameuse guerre des Clones, menant à l’avènement de l’Empire. Ce second opus est effectivement laborieux par moments. Plus à l’aise dans l’action que dans la romance – la relation dépeinte entre Anakin et Padmé a souvent été moquée et caricaturée –, il s’inscrit en réalité dans une vision profondément authentique de George Lucas. Toute la saga est empreinte d’un premier degré imposant. Même dans le tout premier film, la naïveté et l’innocence de Luke – en opposition à la malfaisance de Vador – font partie intégrante du propos de Lucas.

En montrant une romance à l’eau de rose, le réalisateur pose la base de la déchéance d’Anakin. Dark Vador est un personnage de l’excès. Tout, de son design à sa voix, hurle l’absolutisme et la chute d’un être lumineux dans les bas-fonds du côté obscur ne peut se faire qu’en acceptant et montrant une raison tout aussi absolue : l’amour inconditionnel porté par Anakin à Padmé.

Star Wars : l’attaque des Clones.©Lucasfilm

Star Wars : l’attaque des Clones, en plus des autres thématiques développées – autour de la sécurité, du contrôle et des instances politiques – est un film romantique, romanesque et profondément naïf.

John Williams livre une nouvelle fois un thème en accord avec l’esprit du film, le splendide et émouvant Across the Stars. Sans cet aspect premier degré autour d’Anakin et Padmé, Star Wars : la revanche des Sith n’aurait pas pu briller comme il le fait.

Évoluer avec son temps et son époque

Aussi marquant, le style de Lucas s’affirme et embrasse le nouveau millénaire. « Techniquement, son style a beaucoup changé. Si on s’intéresse de près au matériel et aux techniques employés, il est certain que la prélogie faisait un véritable bond en avant par rapport à son aîné, ne serait-ce que le fait de filmer totalement en numérique et non en pellicule à partir de L’Attaque des Clones, par exemple. Mais si on se penche sur la forme, c’est plus ou moins la même chose. Le style de Lucas a toujours été assez naturaliste, inspiré des documentaires, le plus proche de la réalité possible. Et même dans la prélogie, connue et reconnue pour sa direction artistique très riche, on se rend compte que la mise en scène reste très sobre. Finalement, ce sont surtout les séquences entièrement en images de synthèses réalisées par Industrial Light & Magic qui viennent pimenter le tout et permettent de distinguer cette trilogie de la précédente. Je pense notamment aux pirouettes de Yoda où l’ouverture sur les vaisseaux de La Revanche des Sith« , précise Thibaut Claudel.

« Lucas a montré à maintes reprises que le style Star Wars évoluait continuellement, s’adaptant certes à la technologie, mais aussi aux possibilités offertes par le scénario, et même aux réactions du public, déjà à l’époque. Les making of de la prélogie, par exemple, montrent très bien comment le réalisateur et ses concept artists ont travaillé d’arrache-pied pour faire évoluer le style de Star Wars tout en le maintenant cohérent. »

Le troisième film de la prélogie sort en 2005 et vient faire le pont entre les nouveaux films et la trilogie originale. George Lucas y livre un spectacle impressionnant, fait chuter toutes les pièces en place dans le feu et le sang et arrive à caractériser par la narration et l’esthétique de son film la décadence d’Anakin Skywalker.

Après la relation avec Padmé, c’est bien le lien entre Anakin et Obi-Wan qui intéresse Lucas. Maître et élève évoluent dans une relation fraternelle, les Jedi tombent de leur piédestal et, dans une séquence totalement démesurée, George Lucas met en scène le combat le plus long (et fou) de la saga. L’affrontement entre Anakin et Obi-Wan n’est pas seulement une prouesse technique et visuelle. Il encapsule toute la thématique de Star Wars, questionne la place et le rôle des Jedi, tout en parvenant à raconter sa propre histoire par le mouvement et l’implication totale de son casting. Même Hayden Christensen, critiqué pour son jeu, trouve dans le troisième épisode une épaisseur insoupçonnée.

Star Wars : la revanche des Sith.©Lucasfilm

La prélogie détaille avec courage l’aveuglement des Jedi et leur déclin. « C’est l’un des paradoxes avec lequel Star Wars apprend encore à composer aujourd’hui. Un peu comme les Stormtroopers qui sont à la fois des soldats fascistes et des mascottes de la franchise, Les Jedi sont à la fois les stars de cet univers et son bourreau », nous indique Thibaut Claudel, qui voit également une thématique reprise plus tard dans la postlogie : “C’est aussi parce que la prélogie se montre prudente avec les Jedi qu’elle reste marquante. Mais cet avertissement échappe encore à certains, si on en croit les réactions à Star Wars : les derniers Jedi (2017), par exemple. C’est d’ailleurs triste de voir que seul le film de Rian Johnson semble poursuivre cette thématique de fond et, en ce sens, qu’il soit l’un des rares à se connecter à la prélogie. À voir ce que donnera la prochaine série The Acolyte, qui elle aussi devrait avoir beaucoup de choses à dire sur les Jedi”.

La bande-annonce de The Acolyte.

Et si la prélogie Star Wars était la meilleure ? Derrière cette question volontairement provocatrice se cache surtout l’idée de reconnaître à leur juste valeur des films trop souvent critiqués pour de mauvaises raisons. Ces trois films Star Wars sont de grandes œuvres de science-fiction, assumées et cohérentes selon la volonté de George Lucas. Profondément politiques et inventifs, ils ont initié une nouvelle génération à Star Wars. Plus de 20 ans après – La Menace fantôme fêtait récemment ses 25 ans –, le regard nostalgique peut biaiser l’appréciation des longs-métrages, mais force est de constater que la prélogie conserve une même puissance narrative et visuelle, que peu de blockbusters actuels peuvent revendiquer.

Un constat également partagé par Thibaut Claudel : « Cette démesure fait toujours du bien, oui. Pas seulement en comparaison avec le « nouveau » Star Wars, mais aussi avec toute une industrie hollywoodienne qui depuis s’est considérablement standardisée. Elle se recroqueville sur les mêmes ambiances, copie inlassablement la même formule et, pire encore, donne parfois l’impression d’avoir peur des idées ! Heureusement, quelques exceptions demeurent, mais entre deux exceptions, justement, il est toujours bon de revenir à la prélogie, malgré ses défauts ! Je pense que les succès de ces derniers mois montrent que les gens sont de nouveau prêts pour un spectacle plus radical, ou au moins authentique. Et je pense que c’est ce que la prélogie symbolisera toujours. »

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