L’autrice nous livre avec brio un témoignage bouleversant sur sa transition et la façon qu’ont eu ses troubles de la personnalité de mettre celle-ci en péril. L’occasion pour nous de revenir sur l’histoire de la représentation des personnages transgenres dans les comics américains.
Il est bien connu qu’au royaume des comics, les super-héros sont roi. Cela ne veut pas dire pour autant que ce medium n’offre que des combats survoltés entre mutants, créatures surnaturelles et autres envahisseurs de l’espace. En effet, dès la seconde moitié des années 1960, les comics Marvel commencent à intégrer dans leurs aventures des sujets de société de plus en plus importants. Il n’est donc pas surprenant de réaliser que la bande-dessinée américaine se mette, petit à petit, à intégrer des personnages qui reflètent l’expérience quotidienne d’hommes et de femmes transgenres à travers le monde.
Une évolution constante
Nous pouvons citer plusieurs exemples, dès le début des années 1990, de personnages qui brisent les stéréotypes autour de ces communautés longtemps marginalisées et ce, au sein même de comics mainstream. Lorsque Neil Gaiman débarque chez DC Comics avec sa série phare Sandman en janvier 1989, nous assistons à un véritable raz-de-marée dans le monde de la BD américaine. Fer de lance avec Alan Moore et une poignée d’autres artistes de la British Invasion qui frappe l’industrie du comics de l’Oncle Sam, Gaiman et ses compatriotes brillent par leurs histoires matures, complexes et résolument littéraires.
C’est dans le chapitre Jouons à être toi qu’apparaît pour la première fois Wanda Mann, protagoniste transgenre au cœur de cette intrigue. Quelques années plus tard, une autre héroïne fera son apparition dans les pages d’un comics Vertigo (collection mature de DC que rejoindra également Sandman dès le numéro 47) à succès : The Invisibles. Cette série (considérée par beaucoup comme une source d’inspiration inavouée de la trilogie Matrix) écrite par Grant Morrison met en scène Lady Fanny, une shaman transgenre qui brillera elle aussi par son écriture fouillée et sa psychologie complexe.
De son côté, la bande-dessinée américaine indépendante a pu permettre à des artistes de s’inspirer directement de leurs propres expériences d’hommes et de femmes transgenres, sans avoir à se limiter aux carcans des deux géants de l’industrie, Marvel et DC. Nous pouvons citer, à titre d’exemple, le très sombre et sans concessions The Pervert, scénarisé par Michelle Perez.
C’est aujourd’hui au tour d’Emma Grove, d’être publiée en France. Radicalement différent du dernier exemple cité, La troisième personne propose un regard neuf. L’autrice y articule son récit autour de séances entre son avatar de papier et son psychologue pour fournir une œuvre dense (mais jamais lourde) dans laquelle la dureté de certaines questions abordées est adoucie par son parti pris narratif. Elle n’hésite pas pour autant à révéler son expérience dans toutes ses contradictions. La troisième personne sera disponible dès mercredi aux éditions Delcourt.